Psychanalyse et idéologie

Micheline Weinstein • Un cynisme sous influence...

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L'innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Micheline Weinstein • 31 janvier 2008

« Un cynisme sous influence »
ou
Comment s’agréger les puissants « Lobbies » de l’Édition 

En bref et de mémoire  : dans l’un de ses discours, Nicolas Sarkozy a énoncé deux propositions étrangement dissemblables, 1 • l’une où, tel Humpty-Dumpty dans « Alice au Pays des Merveilles », il énonce que les mots, les concepts, ont le sens qu’il leur attribue ; et 2 • où, quelques phrases plus loin, il affirme, indigné, dans sa réponse à une question posée par un journaliste  : “Les mots ont quand même un sens !”
Plus récemment, il déclare pouvoir apprécier Proust sans être homosexuel ainsi que Céline sans être antisémite. 1 • Proust ne serait pas Proust s’il n’avait pas été homosexuel ; 2 • je ne sais pas comment on peut lire Céline en ignorant délibérément, sciemment, ses éructations antisémites, qui, à mes yeux et oreilles, ne sont pas de l’écriture, mais de la bave ordurière.
Ces successives déclarations sembleraient vouloir s’agréger, efficacement ou non, le monde éditorial, via ses prestigieuses écuries, sinon je ne saisis pas très bien la démarche intellectuelle qui les meut.
Monsieur Sarkozy, célèbre aujourd’hui pour son peu d’attrait dans les domaines de l’art,  n’a très certainement pas lu une ligne de Proust. Peut-être a-t-il retenu quelques lignes de Céline, elles sont tant jouissives... !
Mais dans tous les cas, Freud ne l’intéresse pas, qui développe ce sujet de la bisexualité fondamentale de l’être humain et du fort potentiel homosexuel des artistes majeurs de tous temps - que leur homosexualité, celle de Thomas Mann, de Mauriac...  et celle de quelques milliers d’autres depuis La Genèse... soit ou non agie, ce qui n’est absolument pas le problème. Potentiel qui confère à l’artiste une sensibilité particulière, singulière, d’exception. Je ne suis pas très indulgente envers le nouveau marié, mais il semblerait qu’on le conseille bizarrement du point de vue de la psychanalyse...
Si, c’est parce que Proust était homosexuel qu’il est Proust. Si, c’est parce que Céline est un antisémite pathologique que son écriture l’est.
Non, pour ce qui nous concerne, nul ne peut être psychanalyste quand il est inféodé philosophiquement à Heidegger, via Lacan, lui-même ayant refusé l’analyse - cf. pour ex. : Lettre de Lowenstein à Marie Bonaparte,

LA PAIX INACCESSIBLE

Le 21 décembre [1952] d’Athènes, Marie écrit à Anna qu’elle prévoit une scission de la Société car il y a eu en son absence une nouvelle démission de Nacht, remplacé cette fois par Lacan. Mais il s’agit d’un remplacement temporaire. Lacan n’est pas intéressé par la présidence de l’Institut. Il souhaite devenir président de la Société à l’échéance du mandat de Nacht, en janvier.
À ce moment-là, Marie est prête à soutenir Nacht. Depuis le procès Williams, elle n’avait plus confiance en lui, mais à son retour de Grèce ils ont une explication et comme elle 1’écrit elle-même dans son agenda, le 13 janvier 1953 elle change de bord (c’est elle qui souligne). Elle s’en explique dans une lettre à Lœwenstein du 5 février 1953. Elle croyait que Nacht voulait exclure les psychologues et les analystes non médecins et lui pensait qu’elle lui en voulait personnellement. Grâce à ce retournement de la princesse, Nacht est de nouveau nommé directeur de l’Institut tandis que Lacan comme il le souhaitait, devient président de la Société, malgré la candidature de Cénac soutenue par Marie qui, elle, est nommée membre à vie du conseil d’administration de 1’Institut.
Aussitôt quelle a fait la paix avec Nacht, sa vieille rancune contre Lacan se ranime. Il a, « en didactique », quinze médecins candidats analystes qu’il prend à temps écourté comme d’habitude. « Désormais le règlement de l’Institut (prévaudra) : au moins trois quarts d’heure et quatre fois par semaine mais les cas déjà analysés par sa méthode de “1’acte bref” il veut les imposer. Les élèves de Laforgue, Boutonnier, Dolto, Berge, Parcheminey (votre élève) sont côté Lacan, ainsi que Schlumberger... Il faut essayer de garder la majorité malgré les candidats formés par Lacan à la va-vite [1]. »
La question des étudiants était grave et Marie ne se faisait pas d’illusion là-dessus.
Le 22 février 1953 Lœwenstein lui écrit : « Ce que vous me dites de Lacan est navrant. Il a toujours présenté pour moi une source de conflit, d’une part son manque de qualités de caractère, d’autre part, sa valeur intellectuelle que j’estime hautement, non sans désaccord violent, cependant le malheur est que quoi que nous soyons convenus qu’il continuerait son analyse après son élection, il n’est pas revenu. On ne triche pas sur un point aussi important impunément (ceci entre nous). J’espère bien que ses poulains analysés à la va-vite, c’est-à-dire pas analysés du tout ne seront pas admis.
« Ici (à New York)...

1. Lettre à R. Lœwenstein, 5 février 1953, in Célia Bertin • La dernière des Bonaparte

Nul ne peut être “élève”, vraisemblable, de son gendre également non-analysé, créateur de sa délirante, mégalomane “école mondiale de psychanalyse” (point que j’ai développé dans je ne sais plus quel texte) ! Une telle école, avec son enseignement qui fonctionne comme celui d’un ordre religieux, ouvertement sectaire, est incompatible avec la transmission de la psychanalyse puisque incompatible avec la pensée-même de Freud, par conséquent avec ce sur quoi est établie la théorie freudienne, c’est-à-dire essentiellement sur la raison, l’humanisme, la laïcité, la recherche expérimentale...  Ce qui fait du terme même de “mondialisation” l’opposé radical de la psychanalyse, la résistance la plus irréductible à la psychanalyse.
Il est donc permis de se demander si ces gens-là, eux-aussi, ont lu, sur un siècle, une seule ligne de Freud. Car il suffit, pour témoigner de cette incompatibilité - il y en a quelques autres -, de se reporter quotidiennement aux comportements infantiles, serviles, cupides, mondains, incultes... des faiseurs de “mode” intellectuelle, “analystes” lacaniens pour la plupart, et, à leur suite identificatoire fascinée, à celle de leurs malheureux analysants non-analysés (cf. pour ex. : François Perrier, « Voyages extraordinaires en Translacanie ») sur 3 générations, dont certains et pas des moindres puisque ce sont des analystes praticiens, le disent, honnêtement, d’eux-mêmes, sans même qu’on leur ait demandé quoi que ce soit.
Il n’est pas très difficile de comparer les analysants ayant réellement suivi et supporté courageusement une analyse avec des analystes freudiens sur 3 générations en France depuis la guerre, pour se faire une idée de ce que sont véritablement la psychanalyse et son évolution depuis Freud. Certes, beaucoup d’analysants “lâchent” en route, l’analyse exigeant de l’analysant de s’obliger à accepter d’abandonner sa passivité intellectuelle, restée jusque là infantile, qui est la manifestation d’une résistance inconsciente d’origine à l’analyse, se traduisant par une demande constante d’être “pris en charge”. D’où, d’ailleurs, le succès de la psychiatrie, des para-psychologies / psychothérapies en tous genres etc.
Ces analysants de tous âges, enfants, ados, adultes, ayant accepté honnêtement de se “soumettre” - selon le verbe choisi par Freud en son temps - avec respect aux exigences de la psychanalyse, sont aujourd’hui, au participe présent et à venir, vivant, parlant et pensant.
Le mieux, ce serait si simple, pour se faire une idée de ce qu’est, sinon la psychanalyse, du moins une psychanalyse, le plus sûr, intellectuellement et humainement parlant, serait de demander de rendre compte de leur désir de savoir toujours davantage auquel incite l’analyse, de leur formation à l’analyse, encore en cours, parfois depuis des années, à ceux et celles qui, d’expérience, savent de quoi ils parlent. Ils existent pas loin de chez vous, ils sont aujourd’hui, au participe présent et à venir, vivant, parlant et pensant.


M. W.
                             

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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