Psychanalyse et idéologie

Micheline Weinstein

Lettre à un ami • Sur une lassante Antienne

 

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Micheline Weinstein  

 

9 • Suite Journal ininterrompu par intermittence 2020

 

Extension des post-it en vrac

 

Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten

[Je veux témoigner jusqu’au dernier jour]

Victor Klemperer • Journal 1933-1947

 

 

 

Lettre à un ami

 

Sur une lassante Antienne

 

 

Si ma théorie de la relativité est prouvée, l’Allemagne me revendiquera comme Allemand et la France déclarera que je suis un citoyen du monde. Mais, si ma théorie est fausse, le France dira que je suis un Allemand et l’Allemagne déclarera que je suis un Juif.

 

Selon Loïc Dayot :

 

Si la relativité se révèle juste, les allemands diront que je suis allemand, les suisses que je suis citoyen suisse, et les français que je suis un grand homme de science. Si la relativité se révèle fausse, les français diront que je suis suisse, les suisses que je suis allemand et les allemands que je suis juif.

Albert Einstein • 1922

 

[N. B. Nayant pas trouvé le verbatim de cette allocution d’Einstein à la Sorbonne le 6 avril 1922, circonspecte quant aux informations diffusées par Internet, j’ai préféré reproduire ces deux versions.]

 

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Paris, le 24 août 2020

Cher ami

 

Vous savez que mon esprit pense pour moi, de telle sorte que la réflexion, disons plutôt la réfraction des choses de la vie s’y présente en continu. Sachant que vous êtes, vous aussi, surchargé de travail, vous voudrez bien m’excuser de vous en faire part, à mesure qu’elle émerge.

Pour aller au plus bref, soyez assuré que j’ai entendu la nécessité de votre éloignement, disons géographique, qui n’est pas d’ordre temporel, matériel.

Cependant, et vous le savez aussi, je n’ai à aucun moment douté de votre sincère amitié.

Vous savez enfin que je suis plus que circonspecte face au domaine des idéologies. D’origine, mon histoire a fait que la seule idéologie qui aurait pu m’être attribuée eut été, comme le préconisait mon cher Rabelais, l’utopie en un monde meilleur.

J’aurai mis du temps à y renoncer.

Je ne suis ni un électron libre, pas plus qu’une marchande du temple, ainsi qu’ont bien voulu, parmi d’autres invectives charmantes, me désigner certains collègues, pourtant impétueux écumeurs et écumeuses sans vergogne des points de vue d’autrui grâce à Internet, au mépris de la nature de mon travail qu’il eut été loisible, cela va de soi, de soumettre à controverse… pour autant qu’ils eurent été intéressés par son élaboration. Parmi eux, en un demi-siècle, trois, des femmes, eurent toutefois l’urbanité de m’apprendre que leurs délicieux vocables relevaient de leur jalousie, voire pour l’une, de sa méchanceté.

Or, je ne permets simplement pas à quiconque de m’assujettir, me coincer dans un box idéologique, une secte, un cénacle, et ne fais de l’ombre à personne.

Mon terrain d’investigations, ce n’est pas un scoop, est l’ignorance délibérée* de moralistes censés être éclairés,  celui des imprécations automatiques sans que l’on ait cherché à savoir de quoi on parle.

 

Mais voici qu’une interrogation me turlupine.

Je viens, une fois encore, c’est loin d’être la première, d’entendre une jeunesse qui, ayant découvert Freud par les hasards de son itinéraire personnel, s’étonne que des professeurs de la classe de philosophie, la sienne et celle de camarades dans différents lycées, annoncent à leurs élèves, entre autres “perles” empoisonnées, que Freud était, non seulement juif, mais que dans sa pratique il poussait les candidats à l’analyse au suicide.

Au XXe siècle, à la suite de ses échanges avec l’historien Jules Isaac, le pape Jean XXIII, hélas trop éphémère, promoteur du Concile Vatican II en 1962, fit retirer non sans mal la perfidie des Juifs des textes de prières, cependant que le catéchisme auprès d’enfants en bas âge continuait volontiers d’insinuer que les Juifs étaient responsables de l’assassinat de Jésus. À ce propos, rappelons que les Pharisiens étaient une secte, non pas Les juifs.

Antérieure à cet appel d’air salubre, une grande partie de la chrétienté avançait l’argument selon lequel la décision inexorable d’Hitler, approuvée par ses suiveurs, d’anéantir [Vernichten, en allemand] les Juifs, émanait de la colère de Dieu, en punition de leurs péchés.

Un peu avant, encore, il y eut Freud.

Quoiqu’il en soit, les Juifs étant alors épargnés du moins publiquement par elle de l’accusation d’homicide, il fallut trouver un autre filon. Celui d’incitation à l’autolyse par le Juif de langue allemande Freud s’offrit et, semblerait-il, fut agréé.

Toutefois, pour d’autres motifs idéologiques implantés depuis, en vertu de l’égalité dans tous les domaines, bien des professeurs de philosophie dans l’enseignement public, laïque, ne sont pas en reste de cette accusation. Je ne suis pas la seule à, consternée, les entendre.

Les jeunes, encore naïfs, néophytes quant à ce qu’est la psychanalyse, qui ignorent même ce que signifie la création par Freud du néologisme Psycho-analyse [la contraction en « psychanalyse » est de Jung], assommés par les médias, absorbent en toute bonne foi ces extravagances dues à l’ignorance délibérée de leurs enseignants, véhiculée par la génération de leurs parents et grands-parents. Ils transmettent alors à l’entourage ce qui ne s’apparente qu’à de sordides ragots, lesquels circulent de droite à gauche dans des milieux infatigables.

Je suis éberluée par ceci que ces professeurs de philosophie ne réalisent pas l’incidence antisémite qu’ils attisent via les réseaux dits « sociaux ».

Il y a bien longtemps, j’ai rédigé un texte reprenant les saillies acérées dont Freud se prévalait lui-même, les replaçant avec soin dans leur contexte du moment, coutume qui ne semble pas être privilégiée chez nombre de penseurs de renom. Je les ai maintes fois re-évoquées en vain.

Ainsi, mais ce n’est qu’un exemple, celle de remercier la Gestapo de le laisser partir de Vienne avec quelques de ses proches, laquelle après que Freud eut quitté ce monde, expédia à la mort trois de ses vieilles sœurs immobilisées en Autriche, au mépris des démarches diplomatiques engagées par la Princesse Marie Bonaparte pour les en extirper.

Ces déclarations incultes de la part de professeurs médisants sont inquiétantes en cette époque d’antijudaïsme ouvert, surchauffé. D’ailleurs, la xénophobie s’étant largement développée, elle cible aussi de nos jours le monde chrétien. Le psychiatre Frantz Fanon mettait ainsi en garde les activistes africains, ce dont nous, Juifs, avisons de tout temps les déserts : Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous**.

Micheline W.

 

* Cf. Objet de notre association-site en clair sous son logo.

** Rappelé par Alice Cherki dans À voix nue, émission de France Culture en mars 2019, rediffusée dans la semaine du 10 au 14 août 2020, podcast.

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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