© Micheline Weinstein
9 • Suite Journal ininterrompu
par intermittence 2020
Extension des post-it en vrac
Ich will
Zeugnis ablegen bis zum letzten
[Je veux témoigner
jusqu’au dernier jour]
Victor Klemperer • Journal 1933-1947
Lettre à un ami
Sur une lassante Antienne
Si ma théorie de la relativité est prouvée,
l’Allemagne me revendiquera comme Allemand et la France déclarera que je suis
un citoyen du monde. Mais, si ma théorie est fausse, le France dira que je suis
un Allemand et l’Allemagne déclarera que je suis un Juif.
Selon Loïc Dayot :
Si la
relativité se révèle juste, les allemands diront que je suis allemand, les
suisses que je suis citoyen suisse, et les français que je suis un grand homme
de science. Si la relativité se révèle fausse, les français diront que je suis
suisse, les suisses que je suis allemand et les allemands que je suis juif.
Albert
Einstein • 1922
[N. B. N’ayant pas
trouvé le verbatim de cette allocution d’Einstein à la Sorbonne le 6 avril
1922, circonspecte quant aux informations
diffusées par Internet, j’ai préféré reproduire ces deux versions.]
ø
Paris, le 24 août 2020
Cher ami
Vous savez que mon esprit pense pour
moi, de telle sorte que la réflexion, disons plutôt la réfraction des choses de
la vie s’y présente en continu. Sachant que vous êtes, vous aussi, surchargé de
travail, vous voudrez bien m’excuser de vous en faire part, à mesure qu’elle
émerge.
Pour aller au plus bref, soyez assuré
que j’ai entendu la nécessité de votre éloignement, disons géographique, qui
n’est pas d’ordre temporel, matériel.
Cependant, et vous le savez aussi, je n’ai à aucun moment douté de
votre sincère amitié.
Vous savez enfin que je suis plus que
circonspecte face au domaine des idéologies. D’origine, mon histoire a fait que
la seule idéologie qui aurait pu m’être attribuée eut été, comme le préconisait
mon cher Rabelais, l’utopie en un monde meilleur.
J’aurai mis du temps à y renoncer.
Je ne suis ni un électron libre, pas plus qu’une
marchande du temple, ainsi qu’ont bien voulu, parmi d’autres invectives
charmantes, me désigner certains collègues, pourtant impétueux écumeurs et
écumeuses sans vergogne des points de vue d’autrui grâce à Internet, au mépris
de la nature de mon travail qu’il eut été loisible, cela va de soi, de soumettre
à controverse… pour autant qu’ils eurent été intéressés par son élaboration. Parmi
eux, en un demi-siècle, trois, des femmes, eurent toutefois l’urbanité de
m’apprendre que leurs délicieux vocables relevaient de leur jalousie, voire
pour l’une, de sa méchanceté.
Or, je ne permets simplement pas à
quiconque de m’assujettir, me coincer dans un box idéologique, une secte, un
cénacle, et ne fais de l’ombre à personne.
Mon terrain d’investigations, ce n’est
pas un scoop, est l’ignorance délibérée* de moralistes censés être éclairés, celui des imprécations automatiques sans que
l’on ait cherché à savoir de quoi on parle.
Mais voici qu’une interrogation me
turlupine.
Je viens, une fois encore, c’est loin
d’être la première, d’entendre une jeunesse qui, ayant découvert Freud par les
hasards de son itinéraire personnel, s’étonne que des professeurs de la classe de
philosophie, la sienne et celle de camarades dans différents lycées, annoncent
à leurs élèves, entre autres “perles” empoisonnées, que Freud était, non seulement juif, mais que dans sa pratique il poussait
les candidats à l’analyse au suicide.
Au XXe siècle, à la suite de
ses échanges avec l’historien Jules Isaac, le pape Jean XXIII, hélas trop
éphémère, promoteur du Concile Vatican II en 1962, fit retirer non sans mal la perfidie des Juifs des textes de prières,
cependant que le catéchisme auprès d’enfants en bas âge continuait volontiers d’insinuer
que les Juifs étaient responsables de l’assassinat de Jésus. À ce propos,
rappelons que les Pharisiens étaient une secte, non pas Les juifs.
Antérieure à cet appel d’air salubre, une
grande partie de la chrétienté avançait l’argument selon lequel la décision inexorable
d’Hitler, approuvée par ses suiveurs, d’anéantir [Vernichten, en allemand] les
Juifs, émanait de la colère de Dieu, en punition de leurs péchés.
Un peu avant, encore, il y eut Freud.
Quoiqu’il en soit, les Juifs étant
alors épargnés du moins publiquement par elle de l’accusation d’homicide, il fallut
trouver un autre filon. Celui d’incitation à l’autolyse par le Juif de langue
allemande Freud s’offrit et, semblerait-il, fut agréé.
Toutefois, pour d’autres motifs idéologiques
implantés depuis, en vertu de l’égalité dans tous les domaines, bien des professeurs
de philosophie dans l’enseignement public, laïque, ne sont pas en reste de
cette accusation. Je ne suis pas la seule à, consternée, les entendre.
Les jeunes, encore naïfs, néophytes
quant à ce qu’est la psychanalyse, qui ignorent même ce que signifie la
création par Freud du néologisme Psycho-analyse [la contraction en « psychanalyse » est de Jung], assommés par les médias,
absorbent en toute bonne foi ces extravagances dues à l’ignorance délibérée de leurs enseignants, véhiculée
par la génération de leurs parents et grands-parents. Ils transmettent alors à
l’entourage ce qui ne s’apparente qu’à de sordides ragots, lesquels circulent de droite à gauche dans des milieux infatigables.
Je suis éberluée par ceci
que ces professeurs de philosophie ne réalisent pas l’incidence antisémite
qu’ils attisent via les réseaux dits « sociaux ».
Il y a bien longtemps, j’ai rédigé un
texte reprenant les saillies acérées dont Freud se prévalait lui-même, les replaçant
avec soin dans leur contexte du moment, coutume qui ne semble pas être
privilégiée chez nombre de penseurs de renom. Je les ai maintes fois re-évoquées en vain.
Ainsi, mais ce n’est qu’un exemple,
celle de remercier la Gestapo de le laisser partir de Vienne avec quelques de
ses proches, laquelle après que Freud eut quitté ce monde, expédia à la mort
trois de ses vieilles sœurs immobilisées en Autriche, au mépris des démarches diplomatiques
engagées par la Princesse Marie Bonaparte pour les en extirper.
Ces déclarations incultes de la part de
professeurs médisants sont inquiétantes en cette époque d’antijudaïsme ouvert,
surchauffé. D’ailleurs, la xénophobie s’étant largement développée, elle cible aussi
de nos jours le monde chrétien. Le psychiatre Frantz Fanon mettait ainsi en
garde les activistes africains, ce dont nous, Juifs, avisons de tout temps les
déserts : Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle
de vous**.
Micheline W.
* Cf. Objet de notre association-site en clair sous son logo.
** Rappelé par Alice Cherki dans À
voix nue, émission de France Culture en mars 2019, rediffusée dans la semaine
du 10 au 14 août 2020, podcast.