Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

De la projection
par
Micheline Weinstein
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Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte

Samuel Beckett • « L'Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object.
Samuel Beckett
• “The Unspeakable one”
Underlined in « Jargon of the Authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n'a le droit de rester silencieux s'il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l'âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point
ψ = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s'adresse à l'idéologie qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance délibérée, est l'antonyme de la réflexion, de la raison, de l'intelligence.

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© Micheline Weinstein   

02 août 2010

De la projection...

 Projection • B) Dans le sens psychanalytique, opération par laquelle le sujet expulse de soi et localise dans l'autre, personne ou chose, des qualités, des sentiments, des désirs, voire des « objets », qu'il méconnaît ou refuse en lui. Il s'agit là d'une défense d'origine très archaïque et qu'on retrouve à l'œuvre particulièrement dans la paranoïa mais aussi dans des modes de pensée « normaux » comme la superstition.

 

Vocabulaire de la Psychanalyse

Sous la direction de Daniel Lagache

J. Laplanche et J. B. Pontalis • PUF

Nous ne reprendrons pas ici les décisions actuelles, discutables dans les termes, positivement et négativement, du Président de la République, au sujet des sanctions prévues en cas de délinquances violentes, mineures et majeures.

[Un point discutable : comment des parents qui ne parlent pas aisément le français, peuvent-ils faire état d'une quelconque autorité sur leurs enfants nés dans la langue française ?]

Tenons-nous-en à notre propos, puisque les commentaires audio-visuels et de la presse, par des professionnels, de personnalités républicaines inattaquables - Robert Badinter, précisément sur le projet saugrenu de suppression de la nationalité -, permettent à chacun et à chacune de réfléchir aux nombreux écueils que font apparaître ces arbitrages, et ainsi de prendre position.

Ce qui nous préoccupe, c'est l'utilisation, qui nous semble déraisonnable, littéralement projetée, par certains locuteurs, au moyen d'une dégringolade de slogans indignés, et qui étrangement n'émanent pas de sensibilités idéologiques et politiques auxquelles nous nous attendrions.

Rabattre ces décisions aux Lois raciales de Pétain en 1940, ce qui revient à comparer Nicolas Sarkozy à ce Maréchal, voilà qui nous fait chavirer dans les eaux d'un marigot renversé du sens.

Certes, comme ne manque pas de le tonitruer le FN, Nicolas Sarkozy, et combien en France, sont fils et filles, petits-fils et petites-filles, voir arrières petits-fils et filles, d'immigrés juifs, demi ou quart de juifs, de convertis anciens ou plus récents, de pourchassés d'Europe de l'Est, d'Allemands communistes, sociaux-démocrates, Juifs et non-Juifs, d'Italie, d'Espagne, d'Afrique du Nord, de Tziganes, Roms, Gitans, d'Alsace, de Lorraine, du Comtat-Venaissin, du Sud-Ouest, de la Creuse et de partout, sédentaires ou itinérants, ouvriers, paysans, notables, intellectuels, artistes, de toutes conditions, des plus riches aux plus pauvres, dont une carte géographique parue dans la presse, dès 1936, nous montre crûment une certaine France qui se propose et enjoint de les exclure, de les bouter hors du pays. Qu'ont-elles à voir, ces populations, avec la délinquance ?

Ce sont ceux et celles-là, dont les parents et eux-mêmes, des êtres humains simplement, n'ayant aucune espèce d'affinité avec la délinquance, mus par l'espoir de se voir intégrés à la vie civile, militaire ou religieuse, parmi lesquels d'ailleurs nombre de résistants, qu'en 1940 les Lois raciales étiquetaient “criminels”. Jusqu'aux bébés juifs, désignés comme “terroristes”, pour justifier leur déportation.

Depuis un peu plus d'une trentaine d'années, progressivement les conduites aussi bien que le vocabulaire, procèdent par projection de concepts [i.e. représentation psychique, générale et abstraite, d'un “objet”de pensée, concret ou abstrait], de signes, de sigles, appliqués jusque-là à des événements, des situations, des valeurs bien spécifiques, de la part de populations diverses en difficultés réelles d'intégration. Ainsi emprunte-t-on par exemple, pour n'en relever que quelques-uns, les termes de “catastrophe” - Shoah en hébreu -, de “nazis” appliqués aux Israéliens, voire de “génocide” qui implique - bien que ne figurant pas sur la définition forgée en 1944 -, la vivisection “scientifique”, pratiquée sur des êtres humains parlant et pensant... plus généralement, celui de [manque de] “respect”, que l'on se voit rétorquer avant même que notre bouche ait eu le temps d'émettre un pacifique vocable... accompagné d'insultes toutes catégories, parfois d'atteintes physiques, préférentiellement et, il faut bien le dire, lâchement, quand ce n'est pas en “bandes”, projetées elles aussi, sur des personnes supposées vulnérables etc.

Ce n'est pas tant le Président de la République et les siens qui, vraiment mal inspirés, ont cherché à siphonner les voix de l'extrême-droite que, bien davantage, les idéologues ci-dessus évoqués, aux discours lénifiants, “bénis-oui-oui” sociologiques, empêtrés dans leur déni de prendre en compte la montée d'une violence et d'une criminalité ayant formé, là, maintenant, une poudrière difficilement maîtrisable, qui ouvre au FN une bien vaste perspective.

Il suffit d'écouter ce qui se dit, dans la rue, en privé, en public, dans tous les “milieux”... Tout le monde en a marre. Ce qu'il reste à trouver est : comment endiguer cette hémorragie sans laisser s'installer une répression indifférenciée, sauvage et incontrôlable, appelée de ses vœux par le FN.

En votant pour Strauss-Kahn ? qui, s'il est “de gauche”, alors nous voulons bien être pendus, comme on dit. Qui, avec son appétit de l'argent, rendrait antisémites les mieux intentionnés, qui, tout bon économiste soit-il, au plan de l'éthique, pour employer un grand mot, n'a vraiment rien d'un Mendès-France.

Tous les 6 / 7 ans environ, je relis tranquillement, et en ce moment-même, les deux tomes de « L'histoire de l'antisémitisme » de Léon Poliakov, tout comme je lis Freud, mais quotidiennement. Des choses nous échappent toujours. Par exemple, toutes ces années, j'avais laissé passer Louis XVI, qui préparait, je cite un extrait de Poliakov, “un édit pour améliorer la condition des Juifs, après avoir réformé celle des protestants, [lequel] édit spécifiait”,

« ... qu'il répugne aux sentiments que nous étendons sur tous nos sujets, de laisser subsister à l'égard d'aucun d'eux une imposition qui semble avilir l'humanité. »

Louis XVI n'a, comme nous savons, eu ni le temps, ni la possibilité de contrer le Parlement de Paris, opposé à cet édit, “estimant qu'il était”,

 

« infiniment dangereux par ses conséquences parce qu'il comporterait la reconnaissance publique que les Juifs ont un droit d'habitation dans le royaume. »

 

« L'histoire de l'antisémitisme », commence par une analyse de fond de chacune des 3 religions monothéistes, leurs interactions, leurs influences, et puis, pays par pays, région par région. Poliakov décrit sous tous ses aspects l'évolution spécifique de la destinée éternellement itinérante des Juifs parmi leurs semblables humains au cours des siècles, mais aussi les conversions, les inimitiés intestines séculaires, notamment entre sépharades et ashkenases, entre les courants religieux, voire sectaires et progressivement, grâce principalement aux « Lumières », les courants de plus en plus, selon la conception de l'époque, “libéraux”, il met à nu l'apparition des « Juifs de Cour », celle des Juifs antisémites, le peu de considération et la condescendance que les parvenus portaient - et continuent de porter - à leurs contemporains moins chanceux, autrement dit aux populations confinées dans la misère du stethl ou du ghetto, où qu'ils se trouvent, les places auxquelles, malgré l'évolution des idées et des mœurs, on assignait répétitivement les Juifs, leur espoir sans cesse écroulé d'assimilation, d'intégration... et ce, jusqu'à la Shoah.

Il est surprenant que « L'histoire de l'antisémitisme » de Poliakov ne soit pas enseignée avant toute chose à partir du secondaire et que les historiens, les intellectuels, les éditeurs, les penseurs de tous horizons, laïques et religieux et intermédiaires, les psychanalystes - Poliakov tient le plus grand compte de la théorie freudienne -, Juifs et non-Juifs, ne commencent pas leurs réflexions, leurs analyses sur, en général, la xénophobie, par cette étude magistrale.

Car, au terme de cette lecture, l'on se dit honnêtement que rien, depuis la fin de la guerre, depuis la création de l'État d'Israël, pas même depuis 1967, n'a véritablement bougé dans l'esprit humain. Si bien que, pour apprécier les quelques centaines d'auteurs, non-Juifs mais aussi Juifs le plus souvent convertis, qui, au cours des siècles, ont marqué l'histoire de leur géniale empreinte - par exemple, Voltaire, mentor spirituel de Céline pour ce qu'il en est de leurs obscènes éructations antisémites -, il est absolument obligatoire et sain, pour ne pas désespérer, de cliver, de laisser volontairement de côté, dans leurs œuvres,“la question juive”.*

[Pour qui est intéressé, à propos de l'État d'Israël qui, notons-le au passage, est un exemple de démocratie, bien qu'il soit devenu dans l'ensemble un État comme les autres, on peut lire dans « Marianne » de cette semaine, deux “billets” limpides. L'un, de Guy Konopnicki, intitulé « La France collante », qui espérait, “...oublier à l'étranger les comédies grotesques du pouvoir... ” ; l'autre de Élie Barnavi, « Du kibboutz et de “l'hypothèse communiste” qui, “contrainte, se noie dans le sang ; libre, elle se heurte à la nature humaine.” »

Dans un domaine plus limité, celui de la psychanalyse, le livre de Poliakov, nous amène par ailleurs, à la lumière des informations historiques complémentaires qu'il nous offre, à analyser autrement le travail, jalonné de doutes et de spéculations, auquel Freud tenait tant, celui sur son « Moïse... », avec sa nécessité de mettre en scène deux Moïse, l'un Juif, l'autre Égyptien.

Pour les kabbalistes, “initiés” et autres alchimistes - mais Freud en avait-il connaissance ? -, le problème est simplifié, Moïse était un scribe Égyptien, fils de la princesse royale, connu sous le nom de Hosarsiph - ? je n'ai pas trouvé trace de la signification exacte de ce prénom ni dans quelle langue -, devenu après son crime, guide des Hébreux, des “bannis”.

Mais revenons sur terre où nous attend un autre, petit, livre précieux, qui nous décrit en 1929 la provenance possible de la famille paternelle galicienne de Freud, d'une terre d'atroce misère et de pogroms, là-bas, dans la Pologne,

Le Juif Errant est arrivé
par
Albert Londres

Arléa 2010

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* 6 août 2010. L'ayant tant de fois dit et écrit depuis des lunes et des lustres [cf. supra dans le site], j'ai omis de nommer la seule véritable exception non-juive non-antisémite de la littérature, du moins jusqu'à la fin du XIXe siècle, dont la parole fut muselée et l'œuvre caviardée, Friedrich Nietzsche, lequel en 1862 - Freud avait 6 ans - écrivait, pour ne reprendre que deux aphorismes extraits du « Cas Wagner », “L'Allemagne est une névrose” et  “Il faut fusiller tous les antisémites”, de même que dans « Humain, trop humain » [cité par Poliakov],  ce passage, où Nietzsche justifiait la reconnaissance que l'Europe devait porter aux Juifs,

“ ...ce furent des libres penseurs, des savants, des médecins juifs qui maintinrent le drapeau des lumières et de l'indépendance d'esprit sous la contrainte personnelle la plus dure ; c'est à leurs efforts que nous devons en grande partie qu'une explication du monde plus naturelle, plus raisonnable et en tout cas affranchie du mythe, ait enfin pu ressaisir la victoire, et que la chaîne de la civilisation qui nous rattache maintenant aux lumières de la civilisation gréco-romaine soit restée ininterrompue. Si le christianisme a tout fait pour orientaliser l'Occident, c'est le judaïsme qui a surtout contribué à l'occidentaliser à nouveau : ce qui revient à dire en un certain sens, à rendre la mission et l'histoire de l'Europe une continuation de l'histoire grecque.”

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© ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire

© 1989 / 2010