Freud

« L'avenir d'une illusion »

  Lettre à Romain Rolland

« Über eine Weltanschauung » • La philosophie

Les sœurs de Freud

Freud

« L'avenir d'une illusion »

Lettre à Romain Rolland

« Über eine Weltanschauung » • La philosophie

Les sœurs de Freud

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Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte

Samuel Beckett • « L'Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  “The Uspeakable one”

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n'a le droit de rester silencieux s'il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l'âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.  

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

 ψ = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s'adresse à l'idéologie qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance délibérée, est l'antonyme de la réflexion, de la raison, de l'intelligence.

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©  Micheline Weinstein  pour la traduction de l’allemand / 17 novembre 2013

 

Freud

 

« L’avenir d’une illusion »

 Lettre à Romain Rolland

« Über eine Weltanschauung » • La philosophie

Les sœurs de Freud

 

[…]

Notre science a une foule d’adversaires solides et davantage encore d’adversaires déguisés, parmi ceux qui ne peuvent l’excuser d’avoir affaibli la force de la foi religieuse en exposant celle-ci à un danger d’affaissement. On accuse la science de ne nous avoir guère enseignés, d’avoir maintenu jusque là un défaut d’intelligibilité. Or, on persiste à oublier de prendre en compte son extrême jeunesse, à quel point sa naissance fut éprouvante, ainsi que l’infinitésimal laps de temps écoulé depuis que l’intellect humain est suffisamment étayé pour faire face au travail à accomplir.

[…]

Non, notre science n’est pas une illusion. Mais, par ailleurs, ce serait une illusion de croire que nous pourrions obtenir d’elle ce qu’elle ne peut nous offrir.

 

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Lettre de Freud à Romain Rolland, le 4 mars 1923

 

Cher Monsieur

 

C’est avec grand plaisir que je garderai à jamais en mémoire cet échange de salut avec vous. Car votre nom est lié pour nous à la plus précieuse parmi les belles illusions, celle de l’universalité de l’amour chez tous les êtres humains.

Je participe en effet d’une race [“espèce”, j’actualise] à laquelle les nations imputent leurs successives épidémies et à qui aujourd’hui l’Autriche fait porter la responsabilité de la décomposition de l’Empire, et l’Allemagne, la perte de la guerre. De telles épreuves érodent les illusions et altèrent la tendance à y croire. De plus, une grande partie de ma vie de travail (je suis de dix ans plus âgé que vous) fut occupée à dissoudre mes propres illusions et celles du genre humain. Cependant, si cet espoir d’universalité renonce à se réaliser, ne serait-ce qu’approximativement, si, au cours de l’évolution nous n’apprenons pas à détourner nos semblables de nos pulsions de destruction, si nous persistons à nous haïr les uns les autres à cause de minimes disparités et à nous tuer pour d’insignifiants profits [cf. “bénéfices secondaires”], si nous ne cessons d’exploiter les progrès majeurs effectués dans la maîtrise des forces de la nature à seule fin de nous anéantir mutuellement, à quelle perspective d’avenir devrons-nous nous attendre ? Il est vrai que nous avons les plus grandes difficultés à assurer la perpétuation de notre espèce dans le conflit qui oppose notre nature aux exigences que requiert la civilisation.

Mes écrits ne peuvent pas être ce que sont les vôtres : baume et consolation. Cependant, s’il m’est permis de penser qu’ils ont éveillé votre intérêt, puis-je vous adresser un petit livre qui n’est peut-être pas encore connu de vous - « Massenpsychologie und Ich-Analyse » [cf. l’expression “Die Masse der Bevölkerung”, la masse de la population] - publié en 1921. Non que je tienne cet écrit pour particulièrement réussi, mais il ouvre la voie qui mène de l’analyse de l’humain singulier à un meilleur entendement de la société.

 

Cordialement votre

Freud

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« Nouveau cycle de conférences d’introduction à la psychanalyse »

 

Über eine Weltanschauung  

 

La philosophie

 

[…]

La philosophie n’est pas l’antithèse de la science, elle procède selon le même modèle, emprunte partiellement aux mêmes méthodes, mais elle s’en écarte dans la mesure où elle s’accroche à l’illusion de pouvoir fournir une vision du monde cohérente et sans lacune, laquelle en vient pourtant à s’effondrer à chaque nouvelle avancée de notre savoir. Si bien qu’elle s’égare systématiquement en surévaluant la portée épistémologique de nos opérations logiques, et de plus, en validant d’autres théories de la connaissance dont les sources sont aléatoires, celle de l’intuition par exemple. De telle sorte qu’assez souvent, l’on admet que la moquerie du poète (H. Heine) n’est pas sans fondement, lorsqu’il dit du philosophe :

 

Avec ses bonnets de nuit

et des lambeaux de sa robe de chambre

Il bouche les trous de l’édifice du monde.

 

In « De retour », LVIII

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Les sœurs de Freud

in

Max Schur

 

La mort dans la vie de Freud

 

 

[N. B. Aux lectrices et lecteurs intéressés • J’ai été enchantée de recevoir les excellentes impressions de correspondants à mes envois d’extraits de Freud. Ces extraits et bien d’autres figurent depuis 1987 dans mon livre intitulé « Travaux 1967-1987 », diffusé également en 1987 auprès de psychanalystes alors abonnés, en 200 exemplaires. Ci-dessous, pour les personnes amatrices de calomnies envers Freud, répandues largement dans le public par des auteurs philosophes, un petit extrait au sujet des sœurs de Freud. Dans mon livre précité, l’on trouvera aussi, au cas où cela intéresserait, des extraits d’écrits de Françoise Dolto, dont celui où elle se démarque de Lacan au sujet du « Stade du miroir ». Ce texte figure aussi  sur notre site ainsi que la plupart des travaux de notre association et les miens. Micheline Weinstein]

 

Bien que cela n’ait pas de rapport avec le sujet de mon livre, peut-être est-ce le moment d’évoquer 1’« épisode du Dr Sauerwald », car il se peut que le sort de Freud en ait dépendu. Après l’Anschluss, chaque entreprise eut son « Nazi-Kommissar ». C’était souvent un ancien employé ou quelqu’un qui connaissait bien l’affaire ou l’industrie en question. Le fait que Sauerwald, docteur en chimie, soit devenu le commissaire du Psychoanalytischer Verlag est une de ces malices du destin. Au début, il se conduisit comme la « vraie brute » qu’il était censé être, il était plein de haine et de mépris. Il critiquait sévèrement les Drs Hartmann et Sterba - qui n’étaient pas Juifs - de s’être mêlés à des « jüdische Schweinereien [obscénités juives, de “schwein”, “porc”] ». Mais petit à petit les choses changèrent. Comme son « travail » l’ennuyait, il se mit à lire les œuvres de Freud, par curiosité d’abord, puis par intérêt pour des travaux qui l’impressionnaient. Ce fut ensuite la personnalité même de Freud qui le frappa. Grâce à ce changement, il devint extrêmement utile ; il usa de l’influence considérable qu’il avait auprès des nazis pour faciliter l’émigration de Freud, de sa famille et de son entourage immédiat. Il agit en collaboration constante avec le Dr Indra, l’avocat « nazi » de Freud (qui n’était nazi que de nom). Vers la fin, nous apprîmes que Sauerwald avait effectivement découvert le document prouvant que Freud avait de l’argent à l’étranger mais qu’il l’avait caché, risquant ainsi sa propre sécurité. Un jour que les gens de la Gestapo s’étaient montrés assez irrespectueux à l’égard de Freud, il s’en excusa auprès d’Anna en lui disant : « Que pouvez-vous espérer ? Ces Prussiens ne savent pas qui est Freud » (le vieil antagonisme entre Prussiens et Autrichiens ne s’était jamais complètement effacé. Il est comparable à celui qui opposait Yankees et Confédérés). Plus tard, il surveilla personnellement l’emballage des affaires de Freud, notamment de ses livres et de sa collection d’objets d’art. Après le départ de Freud, il s’occupa de ses sœurs âgées et leur rendit souvent visite (ce n’est qu’après qu’il eût été incorporé dans l’armée allemande que celles-ci furent envoyées dans des camps d’extermination).

Un jour de 1939, le Dr Sauerwald fit son apparition à Londres ; personne ne savait pourquoi il était là. Peut-être était-il en mission officielle ou bien faisait-il de l’espionnage. Il alla voir Alexander (le frère cadet de Freud) pour prendre des nouvelles de Freud. Alexander lui demanda de but en blanc la raison de cette attitude, si contraire au comportement général d’un nazi. Sauerwald lui raconta cette stupéfiante histoire : la police viennoise l’avait engagé comme expert en explosifs. Mais il fabriquait lui-même des explosifs pour le compte des organisations secrètes nazies en Autriche. C’est ainsi qu’après chaque explosion il recevait pour les examiner les explosifs dont il était le fabricant ! Il s’était ainsi acquis la réputation de faire des analyses techniques rapides et précises.

Lorsque Alexander Freud lui demanda comment il pouvait concilier sa Weltanschauung [idéologie] nazie avec sa considération pour Freud et sa famille, il s’expliqua par une rationalisation typique chez les « bons » nazis : « Le Führer qui, naturellement, est le mieux placé pour en juger, s’aperçoit que le Vaterland [patrie] est en état de siège. Du fait de leurs penchants internationalistes et de leur tendance à l’individualisme, les Juifs ne peuvent pas constituer un élément sûr de la population. Ils doivent donc être éliminés. C’est peut-être déplorable, mais la fin justifie les moyens. Cela ne veut pas dire cependant qu’un individu n’ait pas le droit d’alléger les épreuves d’un autre individu dans certains cas bien choisis. »

Jones raconte que Sauerwald avait étudié la chimie avec le professeur Herzig, l’un des vieux amis de Freud, et qu’il accordait à Freud le respect qu’il avait conçu pour son vieux professeur. Cela n’explique pas en soi le changement d’attitude de Sauerwald et son intention de plus en plus évidente de se rendre utile. J’ai toujours pensé qu’il faisait partie de ces gens devenus nazis « par conviction », qui, peu à peu, ont développé des sentiments de culpabilité et ont essayé de composer avec leur conscience en se conduisant « décemment » chaque fois que les circonstances le permettaient. Mis à part l’impression produite par Freud lui-même, ce facteur a pu jouer un rôle.

Pendant la guerre Sauerwald fut blessé et contracta la tuberculose. Il fut jugé par le gouvernement autrichien comme criminel de guerre. Marie Bonaparte et Anna Freud ont signé des déclarations en sa faveur qui ont facilité son  acquittement.

Cela fait part de ces curieux incidents où le « hasard » a peut-être sauvé Freud et tous ceux qui l’entouraient, y compris ma famille et moi-même.

 

 

Les sœurs de Freud (suite...)

In

Peter  Gay

 

Freud • Une vie

 

19 mars 1938

 

Freud souleva d’autres difficultés. Comme le télégraphie Wiley, le 19 mars 1938, secrétaire d’État, il veut partir avec toute sa famille, y compris ses gendres et sa belle-sœur, ainsi que son médecin personnel et la famille dudit médecin soit seize personnes. Ce qui est - répond télégraphiquement Bullitt à Wiley - “absolument au-delà des moyens à ma disposition”, et il pense que même Marie Bonaparte ne sera pas en mesure de financer la caravane de Freud. Il offre dix mille dollars, mais “ne peux (je répète, ne peux) dépasser cette somme”. Wiley répond que “Freud projette aller Angleterre. Stop. Précise unique question visa sortie.” De plus, les choses s’arrangeaient et les secours s’organisaient. “Arrivée Princesse”, rapporte Wiley à Bullitt, et “aussi Mrs Burlington [Burlingham]”. L’épineuse question d’argent devint secondaire ; il s’agissait maintenant de faire obtenir à Freud l’autorisation de sortie.

 

Commença un subtil ballet télégraphique dans la stratosphère diplomatique. Jones mobilisa ses amis. Sir Samuel Hoare, ministre de l’Intérieur, et Earl De La Warr, garde des Sceaux, pour qu’ils procurent à Freud et à sa fille des permis de séjour, ce qui était loin d’être évident, ou même facile ; mais les alliés de Jones au gouvernement promirent leur aide. Cependant, les dirigeants de l’Autriche nazie n’en avaient pas encore fini avec la famille Freud. Le 22 mars, Wiley télégraphie à son secrétaire d’État, “à l’intention de Bullitt”, que von Stein, le puissant “conseiller allemand” à Vienne, envisage la question “du départ de Freud avec Himler (sic)”. “J’ai souligné qu’en raison de son âge et de sa mauvaise santé, Freud exigeait des égards particuliers à la frontière.” Mais à deux heures de l’après-midi, Wiley télégraphie aux mêmes : “Anna Freud arrêtée”.

 

Juin 1938

Quatre sœurs de Freud sont restées à Vienne. Freud leur a laissé cent soixante mille shillings - soit plus de vingt mille dollars, une somme considérable. Pourtant, dans cette Autriche soumise au brutal régime nazi, l’incertitude règne, et on ignore ce qu’il adviendra de cet argent, encore moins ce qu’il adviendra des quatre vieilles dames.

 

Freud à Marie Bonaparte, 12 novembre 1938, Briefe, p. 471

 

Durant quelques mois du moins, les sœurs de Freud reçurent la mensualité qu’il leur avait assuré. Voir Freud à Anna Freud, 3 août 1938, Freud Collection, LC.

 

[...] “Ces derniers événements affreux en Allemagne, écrit [Freud] à Marie Bonaparte, aggravent le problème de savoir que faire pour les quatre vieilles femmes âgées de soixante-quinze à quatre-vingts ans”, ses sœurs restées à Vienne. Et il lui demande si elle peut les faire venir en France. Marie Bonaparte s’y emploie énergiquement, mais la bureaucratie, et l’époque tout entière, jouent contre elle.

 

23 août 1939

 

Rosa Graf à Elsa Reiss, s. d. (23 août 1939), Freud Collection, B2, LC

 

Plus tard dans le mois, ses sœurs apprennent à Vienne que le “cher vieil homme ” ne va pas bien. “On dit qu’Anna, confie sa tante Rosa Graf dans une lettre, fait des choses extraordinaires pour aider son père.” Écrivant une semaine avant que n’éclate la guerre, elle rapporte que les visas français, malgré la “haute influence” du bon ami de son frère, à Paris, ne sont pas encore arrivés.

In

Elisabeth Young-Bruehl

Anna Freud

Mars 1946

Anna Freud à Katá Lévy, 8 mars 1946

 

Anna Freud avait en sa possession une lettre sur le sort de ses tantes adressée par le Israel Kultursgemeinde Wien au Dr Robert Pfeiffer de Vienne, datée du 10 décembre 1953.

 

La nouvelle de la mort d’Eva parvient à Londres juste avant la lettre de la Croix-Rouge concernant les quatre sœurs aînées de Freud. « Nous avons eu les premières nouvelles au sujet des tantes, et elles n’auraient pas pu être pires », écrit Anna à Katá Levy en mars 1946. À ce qu’on sait, cette terrible lettre de la Croix-Rouge disait que les sœurs de Freud avaient toutes été victimes des nazis en 1942, Marie dans le camp de Theresienstadt, Dolfi, Rosa et Pauline dans ceux où elles avaient été transférées après Theresienstadt. (Ce n’est que des années plus tard qu’on retrouvera des documents précisant que Rosa est morte à Auschwitz et ses deux sœurs à Treblinka.) La nouvelle consterne la famille et les proches.

 

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2013