Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

M. W. • Le père Desbois, le Pape, François Bayrou, Freud, et autres notes de voyage...

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down the worshipped object
Samuel Beckett • “The Uspeakable one”
Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adomo • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Nobody has the right to remain silent if he knows that something evil is being made somewhere. Neither sex or age, nor religion or political party is an excuse.

Bertha Pappenheim

point

© Micheline Weinstein / 31 mai 2009

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Le père Desbois, le Pape, François Bayrou, Freud,

et autres notes de voyage...

La musique est l’art d’harmoniser les sons

Définition

Au village sans prétention...

Georges Brassens

J’ai vu Peter hier, 17 décembre 1976. Il a 28 ans.[…]

Quand je lui demandai où il en était avec les maths, s’il pouvait toujours en faire et s’il en faisait, il dit,

- Bien sûr, je peux, mais c’est inutile ; personne ne me le demande, personne n’en a besoin.

Mira Rothenberg

Enfants au Yeux d’Émeraude

Un collègue, qui intitule son courrier « Le mauvais coup porté au Père Desbois », me fait suivre celui qu’il a reçu de l’un de ses correspondants, Chargé de Mission auprès des Recherches et Études Documentaires / Research Associate.

Il s’agit d’extraits d’une émission diffusée par France-Culture le 27 mai 2009. L’émission en elle-même est régulière, dénommée « La fabrique de l’Histoire », par Emmanuel Laurentin, lequel a invité historiens et journalistes à commenter « Porteur de mémoires : sur les traces de la Shoah par balles », par le Père Patrick Desbois, Paris, Michel Lafon, 2007.

Je lis les extraits, puis me procure l’émission complète.

Je dis alors au collègue qu’il faudrait tout de même réagir publiquement.

Le collègue, mais pas seulement lui, m’écrit : “Laisse tomber, ce sont des c...”.

Ce à quoi, je lui réponds : « Je suis d’accord quant aux (non-)réponses aux négationnistes, crypto-négationnistes, journalistes, historiens confirmés ou non et autres, je l’ai toujours dit depuis 25 ans. S’indigner publiquement revient à leur dérouler un tapis rouge. Cependant, dire que ce sont des c... c’est presque leur rendre hommage ! Cela signifierait, non seulement les dédouaner de la responsabilité de leurs propos, mais aussi, en ces temps d’élections au Parlement Européen, prétendre que le (vomitoire) candidat fièrement auto-proclamé “Anti-Sioniste”est un c... ” »

Des “gens”, particulièrement dans les médias et le “showbiz”, qualifient aussi ce candidat d’humoriste, ce qui témoigne d’une mécompréhension absolue de la noblesse du sens du mot “humour”. L’humour, que ces gens confondent, par ignorance (délibérée ?), c’est devenu classique, avec l’injure, la dérision, la vulgarité, et autres épithètes exhortant au mépris, à l’effacement, à la non-existence de l’autre.

Je rappelle ici, pour ce qui pourrait intéresser des psychanalystes, les définitions de l’humour, par François Perrier et par Freud,

Humour • Rien de plus désintéressé. Ne va pas sans une critique libre de soi-même. L’humour est aussi un dévoilement de l’objet sous un autre jour, mais dans une pudeur, une réserve, une contention qui n’est pas celle du comique avec ses effets de cirque, ses chutes répétées. L’éthique de l’analyste est de ce côté-là.

Ironie • Toujours un jugement qui fait toujours une victime.

François Perrier

L’humour a non seulement quelque chose de libérateur, proche en cela de l’esprit et du comique, mais encore quelque chose de magnifique et d’émouvant, traits qui ne se retrouvent pas dans ces deux autres modes, issus de l’activité intellectuelle, d’acquisition d’un surcroît de plaisir. Le magnifique tient évidemment au triomphe du narcissisme, à l’immunité du Moi victorieusement affirmé. Le Moi se refuse à se laisser entamer par les contraintes de la réalité, à se laisser imposer la souffrance, il résiste fermement aux atteintes des traumas causés par le monde extérieur, dont il montre, bien plus, qu’ils peuvent devenir des agents d’un surcroît de plaisir. Ce dernier trait est la qualité essentielle de l’humour.” Der Witz...

Freud

Pour avoir confirmation selon laquelle le candidat “Anti-Sioniste” n’est pas un c..., il suffit de se reporter, sur la toile, à son rap de campagne, lequel terrorise les jeunes Juifs d’associations laïques, par son incitation à la haine raciale, à l’extermination, d’une violence incroyable, que personne, aucune institution, ne peuvent légalement interdire, puisque le mot, la désignation de “Juif”, sont minutieusement évités, ils ne figurent pas dans le texte.

Revenons à la fin de mon courrier au collègue.

“Mais je ne suis pas d’accord sur un point : la production d’une telle émission sur France-Culture. À commencer par son titre : « La Fabrique de l’Histoire », qui est abominable, et particulièrement quand on l’associe à la Shoah.”

Qu’est-ce qu’une fabrique ? Qu’est-ce que les historiens, les journalistes, fabriquent dans leur fabrique ?

Fabrique • Établissement industriel ayant pour objet de transformer les matières premières en produits manufacturés susceptibles d’être livrés au commerce.

Grand Usuel Larousse

Pourquoi pas un terme davantage bisexué que “fabrique”, les “brandebourgs” par exemple ?

Cela ne nous évoque-t-il, durement, rien ?

Quels étaient donc l’objet, le but, de cette émission ?

L’objet, nous le connaissons, il était clairement exprimé : de la part des invités, une supposée “médiatisation” excessive du Père Desbois, lequel ne serait ni historien ni journaliste et ne “roulerait” que pour sa propre gloire.

Le but est tout aussi clair, il suffit d’écouter l’émission : démolir le Père Desbois, invalider son œuvre, à coups, notamment, de comptabilités répétées, pratique privilégiée des négationnistes...

Il faut reconnaître en passant que ce genre de conduites intellectuelles a été largement favorisé depuis que Madame Veil, autorité écoutée, admirée et suivie par la plupart des médias, n’a cessé d’affirmer très publiquement, qu’en matière de Shoah si j’ose dire, puisque l’on parle de “fabrique”, il fallait s’en remettre exclusivement aux historiens. Ce qui sous-entend assez bruyamment que la parole des témoins - excepté la sienne et celle des siens ! -, déportés et héritiers directs de la déportation des Juifs, n’est pas valide.

L’une parmi les diverses raisons avancées assez publiquement étant que ces sujets humains, parlant et pensant, traumatisés par la Shoah et ses conséquences, sont suspectés de mentir, de n’avoir pas possession de leurs esprits, voire d’être paranoïaques, et autres désignations nosographiques dont on ne maîtrise pas le sens.

Ce mépris de la parole de vérité de chaque être humain, quelle que soit sa condition, passée, présente et à venir, donne la nausée...

Ainsi, semblerait-il, l’interdit absolu de parler porterait implicitement depuis, sur chaque témoin de son temps, sur chaque citoyen, sur chaque citoyenne, de la roture jusqu’aux cimes de l’intellect, non autorisés par les instances investies du pouvoir de statuer et d’influencer.

Contre quoi, l’on continue de s’insurger, de s’indigner, contre Staline et ses apparentés !

L’œuvre du Père Desbois, outre le fait qu’elle est parfaitement documentée, est d’autant plus considérable qu’elle émane d’un prêtre catholique, ce que les Juifs espéraient depuis les 60 ans où on les laisse se confronter à leur propre histoire ! On les renvoie poliment à leur “Communauté” pour s’en débrouiller, ce qui est une autre façon de les confiner dans un ghetto intellectuel, idéologique, contre quoi, il est loisible par la suite, une fois qu’ils sont bien sériés, de les taxer de “refus de se mélanger, de s’assimiler... ” etc. Pour peu que certains résistent sans faiblir, il devient alors impossible de répandre la diffamation selon laquelle “ils se sont laissés emmener comme des moutons” et... l’antisémitisme, l’antijudaïsme, redoublent...

Mais voilà que le Père Desbois, je cite : “Directeur du Service National des Évêques de France pour les relations avec le Judaïsme et Président de l’association Yahad-In Unum, créée en 2004 à l’initiative du Cardinal Jean-Marie Lustiger avec le Cardinal Philippe Barbarin, Archevêque de Lyon, le Cardinal Jean-Pierre Ricard, Archevêque de Bordeaux et le Rabbin Israël Singer, Président du Directoire du Congrès Juif Mondial”, a de surcroît été choisi pour accompagner le Pape Benoît XVI au Moyen-Orient.

La question n’est pas d’être en accord ou en désaccord, cela va de soi, avec certains propos tenus par Benoît XVI, bien que pondérés par la suite. Le Pape n’est en effet pas le populaire Jean-Paul II. C’est un intellectuel, un théologien, un remarquable théoricien, dont le style est, tels les philosophes, les penseurs, religieux, laïques ou éclairés qui l’ont précédé, typiquement allemand, exempt de ce qui pourrait s’apparenter à de la sentimentalité, à du “pathos”.

Et cela ne plaît pas.

Tout comme “on aime les Juifs à la seule condition qu’ils soient victimes”, on aime les Papes qui remuent les foules, les faisant verser des larmes d’hypocrites compassions...

Son enrôlement forcé dans la Waffen SS ? Revenir sur cette étape de sa vie avec une insistance regrettable, ne permet-il pas de se dédouaner, en France tout au moins, dont le style est plus passif, plus “soft”, de certaines conduites pendant l’Occupation, ne serait-ce que celle des engagés volontaires au STO ?

Continuons maintenant à respirer, bien obligés, l’air du temps, lequel est linguistiquement, de par les algarades et foires d’empoignes politiques, publiquement empesté par la pratique vulgaire du mépris et de l’injure.

[Juste, en passant, une petite interrogation. Les responsables politiques, qu’ils soient ou non encore de la première fraîcheur, parlent-ils de leurs propres parents, de leurs collatéraux, de ceux et celles qu’ils estiment, en les désignant par “personnes âgées”, comme s’il s’agissait d’une catégorie pathologique ?

Une  désagréable indexation verbale a été, depuis une vingtaine d’années, esquivée, celle de “démence sénile” à laquelle s’est substituée l’effrayante “maladie d’Alzheimer”, qui signifie exactement la même chose, Freud le mentionnait déjà en son temps. À savoir la détérioration des capacités psychiques et intellectuelles précédant, parfois de beaucoup, la dégradation physique et physiologique.

Il n’y a pas si longtemps encore, quand quelqu’un disait “mes vieux”, c’était une expression tendre pour évoquer ceux et celles qu’il aimait...

Ainsi a-t-on vu se mettre en place, à l’image d’un ghetto, des sous-ministères, où des sujets pensant et parlant, aussi affaiblis soient-ils, sont désignés, en l’absence de toute forme de respect, non pour leurs qualités d’être humains, mais à la loupe des atteintes et de l’usure du temps, entendus comme des tares.]

Alors, les injures... Les premières fois où j’ai - exclusivement en tant que témoin de mon temps, c’est-à-dire à l’aune de ce que j’ai vu et perçu - entendu dire dans toutes les formes de médias, de façon répétée, que François Bayrou, lui aussi, ne roulait que “pour lui et pour sa propre gloire”, c’était, par la bouche de Simone Veil, qui annonçait ainsi son ralliement à Nicolas Sarkozy, pendant la campagne pour l’élection présidentielle de 2007.

Cette affirmation, reprise par la droite comme par la gauche, n’a pas cessé depuis, elle s’est au contraire renforcée après la publication du livre de François Bayrou, « Abus de pouvoir ».

Tout comme pour Benoît XVI un peu plus haut, la question n’est pas de savoir pour qui l’on votera ou non en tant que citoyen ou citoyenne. La question, préoccupante, est : qu’est-ce que ce style public qui se répand, envahit, peu civilisé, fait d’interprétations sauvages, auxquels empruntent les discours politiques depuis les prémisses du changement de présidence et auquel d’ailleurs François Bayrou répond dans son livre : “Je ne mange pas de ce pain-là”.

“On” dit aussi, pour le discréditer - et ces pratiques sont moches - que François Bayrou n’a pas de programme. Ce qui est faux. Simplement, plutôt qu’égrener des solutions attrayantes et affirmatives aux problèmes en tant de points successifs,  il pose les problèmes les uns après les autres, les décrits, de sorte que les lignes d’un programme de gouvernement se dessinent assez clairement pour peu que l’on prenne la peine de penser, non pas avec “affect”, mais au moyen des outils de la logique.

Mais c’est là, pour nous, citoyens et citoyennes de base, que la pensée trouve sa limite, le reste est affaire de professionnels de la politique.

Bien sûr, le dernier discours de Martine Aubry était solide. Seulement il est arrivé trop tard, nous n’y “croyons” plus, tandis que le PS continue de se vider de ses “débauchés volontaires”, les uns après les autres, jusque dans les rangs de la Mairie de Paris, pour se rallier à l’UMP, une vraie hémorragie...

François Bayrou est catholique dans le privé, républicain dans le public, défenseur résolu de la laïcité, ainsi que de la séparation non négociable de la vie privée et de la vie publique. Il manifeste un amour et un respect de la langue, du langage lequel, faut-il le rappeler, est porteur de sens - les mots ont un sens - et, en cela, de l’avenir de la civilisation, qu’il souhaite humaniste.

Qu’est-ce que l’humanisme, dans sa définition accessible à tous ?

Humanisme •  Philosophie qui place l’homme et les valeurs humains au-dessus de toutes les autres valeurs.

Grand Universel Larousse

François Bayrou a ceci de particulier qu’il n'est pas, semblerait-il, insensible à la psychanalysea.

D’où a-t-on sorti qu’il ne parle que de “Moi et Moi et MoiJe” ? Par contre, il parle assez souvent de “citoyens” plutôt que “des gens” (people en anglais... ).

La psychanalyse nous enseigne, non seulement qu’“il n’y a ni bien ni mal pour l’insconscient” (Dolto), mais que chacun, chacune, parle en son nom propre et a ce droit légitime, sans oukases extérieures, si tel est son désir, de transmettre librement son savoir et son expérience, quels qu’il soient, à qui veut bien les recevoir.

S’il y a, semblerait-il, dans le discours de François Bayrou, l’expression d’un désir, ce n’est certainement pas celle du désir d’un “MoiJe” du “Maître”, plutôt celle d’un “Père”. À chacun, à chacune, d’apprécier si cela lui convient ou pas.

À suivre

« Quelques destins de psychanalystes femmes dans l’histoire de la psychanalyse »

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