L'association
ψ
[Psi]
LE TEMPS DU
NON
existe maintenant, déclarée sous
cette appellation depuis 21 ans tout juste -
1983 sous un autre nom, trop parisien. Elle a toujours
pour but de favoriser la réflexion pluridisciplinaire
par les différents moyens existant, la publication
et la diffusion de matériaux écrits,
graphiques, sonores, textes originaux, uvres
d'art, archives inédites, sur les thèmes
en relation à la psychanalyse,
l'histoire et l'idéologie.
ψ =
psi grec, résumé
de Ps ychanalyse
et i déologie.
Le NON
de ψ
[Psi]
LE TEMPS DU NON
s'adresse à l'idéologie
qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance
délibérée,
est l'antonyme de la réflexion, de la raison,
de l'intelligence
ø
© Philippe Bilger • 30 juillet 2010
La
magie Hopper par Philippe
Bilger
La Fondation de
l’Hermitage à Lausanne expose Edward
Hopper. Au fil des salles, des tableaux, des dessins,
des aquarelles et des études, on cherche
le secret. Comme toujours, quand l’art est
à son comble, le mystère est impossible
à déchiffrer. Il y a des niveaux
différents de perception. Le regard peut
s’attacher à l’évident
puis tenter d’aller plus loin, pour se confronter
au noyau dur du génie de ce peintre qui
est d’offrir l’image d’une quotidienneté
vide, comme désincarnée, abandonnée
à elle-même, pleine de joliesse mais
sans vie véritable et la vision d’une
humanité mélancolique, figée,
voire désespérée. Tout semble
cependant si simple et couler de source, les leçons
si éclatantes, la morale si lisible, comme
dans l’extraordinaire « Incursion
dans la philosophie »
où un homme, sur le bord d’un lit,
réfléchit en tournant le dos à
une femme couchée et nue à partir
de la taille. Hopper n’est pas de ces faiseurs
qui embrouillent le réel pour laisser croire
à leur propre complexité. Au contraire
il l’épure au point de le réduire
à une architecture si dépouillée
que sa substance est altérée, quasiment
niée et qu’on se retrouve presque
en face d’un surréalisme au sens
propre. Sur le même mode, les personnages
- les scènes les clouant ensemble dans
le spectacle du soir ou sous le feu du soleil,
dans une chambre, devant une fenêtre, ou
dans la rue - ne cherchent pas le moins du monde
à ressembler à des êtres concrets
mais n’ont pour ambition que de se fixer
comme des stéréotypes, des incarnations
rares, des postures exceptionnelles, des surgissements
singuliers dans les têtes et au fond des
sensibilités. Ce qui évite à
la tristesse de déborder et d’envahir
l’espace, ce qui contraint le désespoir
inscrit sur ces visages et dans ces attitudes
à reculer, c’est qu’Hopper,
en dépit de tout, ne joue pas la carte
du pire et ne s’abandonne pas à la
facilité d’une conception suicidaire
de l’existence. En effet, la force de ces
personnages apparemment perdus, c’est leur
sentiment d’attente, leur obsession d’espérer.
Leur regard est tourné vers on ne sait
où mais il cherche le salut. Derrière
ce qui semble boucher l’horizon, il y a
autre chose, n’importe quoi, mais qui sera
de nature à étancher la soif, à
apaiser la faim, à guérir les nostalgies
et à combler enfin les attentes. C’est
cet élan vers l’inconnu, cette promesse
au cœur même des grises déceptions,
cette échappée possible malgré
l’enfermement de chaque jour dans chaque
jour, cette incoercible croyance que demain, ailleurs,
ce sera mieux, qui me rendent Hopper si proche,
si familier, si fraternel. On ne peut que partager
le destin de cette humanité déchirée
mais debout encore, avec ses illusions perdues
mais de l’énergie à revendre
et de l’espoir chevillé au cœur.
Elle ne connaîtra jamais la défaite
puisqu’elle continuera sans se lasser de
deviner, derrière le sombre, au moins une
esquisse de victoire.
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