Psi . le temps du non
La magie Hopper
par
Philippe Bilger

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Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte

Samuel Beckett • « L'Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object.
Samuel Beckett
• “The Unspeakable one”
Underlined in « Jargon of the Authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n'a le droit de rester silencieux s'il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l'âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

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L'association ψ [Psi] LE TEMPS DU NON existe maintenant, déclarée sous cette appellation depuis 21 ans tout juste - 1983 sous un autre nom, trop parisien. Elle a toujours pour but de favoriser la réflexion pluridisciplinaire par les différents moyens existant, la publication et la diffusion de matériaux écrits, graphiques, sonores, textes originaux, œuvres d'art, archives inédites, sur les thèmes en relation à la psychanalyse, l'histoire et l'idéologie.
ψ = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s'adresse à l'idéologie qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance délibérée, est l'antonyme de la réflexion, de la raison, de l'intelligence

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© Philippe Bilger  • 30 juillet 2010

La magie Hopper
par
Philippe Bilger  

La Fondation de l’Hermitage à Lausanne expose Edward Hopper. Au fil des salles, des tableaux, des dessins, des aquarelles et des études, on cherche le secret. Comme toujours, quand l’art est à son comble, le mystère est impossible à déchiffrer. Il y a des niveaux différents de perception. Le regard peut s’attacher à l’évident puis tenter d’aller plus loin, pour se confronter au noyau dur du génie de ce peintre qui est d’offrir l’image d’une quotidienneté vide, comme désincarnée, abandonnée à elle-même, pleine de joliesse mais sans vie véritable et la vision d’une humanité mélancolique, figée, voire désespérée. Tout semble cependant si simple et couler de source, les leçons si éclatantes, la morale si lisible, comme dans l’extraordinaire « Incursion dans la philosophie » où un homme, sur le bord d’un lit, réfléchit en tournant le dos à une femme couchée et nue à partir de la taille. Hopper n’est pas de ces faiseurs qui embrouillent le réel pour laisser croire à leur propre complexité. Au contraire il l’épure au point de le réduire à une architecture si dépouillée que sa substance est altérée, quasiment niée et qu’on se retrouve presque en face d’un surréalisme au sens propre. Sur le même mode, les personnages - les scènes les clouant ensemble dans le spectacle du soir ou sous le feu du soleil, dans une chambre, devant une fenêtre, ou dans la rue - ne cherchent pas le moins du monde à ressembler à des êtres concrets mais n’ont pour ambition que de se fixer comme des stéréotypes, des incarnations rares, des postures exceptionnelles, des surgissements singuliers dans les têtes et au fond des sensibilités. Ce qui évite à la tristesse de déborder et d’envahir l’espace, ce qui contraint le désespoir inscrit sur ces visages et dans ces attitudes à reculer, c’est qu’Hopper, en dépit de tout, ne joue pas la carte du pire et ne s’abandonne pas à la facilité d’une conception suicidaire de l’existence. En effet, la force de ces personnages apparemment perdus, c’est leur sentiment d’attente, leur obsession d’espérer. Leur regard est tourné vers on ne sait où mais il cherche le salut. Derrière ce qui semble boucher l’horizon, il y a autre chose, n’importe quoi, mais qui sera de nature à étancher la soif, à apaiser la faim, à guérir les nostalgies et à combler enfin les attentes. C’est cet élan vers l’inconnu, cette promesse au cœur même des grises déceptions, cette échappée possible malgré l’enfermement de chaque jour dans chaque jour, cette incoercible croyance que demain, ailleurs, ce sera mieux, qui me rendent Hopper si proche, si familier, si fraternel. On ne peut que partager le destin de cette humanité déchirée mais debout encore, avec ses illusions perdues mais de l’énergie à revendre et de l’espoir chevillé au cœur. Elle ne connaîtra jamais la défaite puisqu’elle continuera sans se lasser de deviner, derrière le sombre, au moins une esquisse de victoire.

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© ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire

© 1989 / 2010