Psychanalyse et idéologie

Micheline Weinstein • Foulures de langage

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

Il faut une infinie patience pour attendre toujours ce qui n'arrive jamais

Infinite patience is required to those always waiting for what never happens

Pierre Dac

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ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Micheline Weinstein

 

Suite Journal ininterrompu par intermittence 1967-2021

 

Ich will Zeugnis ablegen bis zum letzten

[Je veux témoigner jusqu’au dernier jour]

Victor Klemperer • Journal 1933-1947

 

02 novembre 2021

 

Foulures de langage

 

Vladimir Jankelevitch nommait galimatias les discours de penseurs honorés de son temps. Ce signifiant, issu du bas latin ballimathia, « chanson obscène », entortillé sur lui-même, désigne de façon aiguë le mince écart dont parle Freud entre le discours philosophique et le discours du délirant, avec son risque de bascule... 

 

« L’humour est une affirmation de la dignité, une déclaration de la supériorité de l’homme face à ce qui lui arrive. » Romain Gary [Transmis par Magali, poète]

 

« Il faut une infinie patience pour attendre toujours ce qui n'arrive jamais »Pierre Dac

 

Haine de soi juive

 

D’après certains supports médiatiques qui depuis des lunes rebattent la chose telle une poupée mécanique, il se profilerait qu’Éric Zemmour serait habité de haine de soi.

De  Jüdischer Selbsthaß.

Cette locution fut introduite par le philosophe juif-allemand Theodore Lessing en 1930. À lire son origine, l’on pourrait spéculer qu’elle se justifierait par un élément de sa biographie : son père trompait et battait son épouse, mère de Theodore. Theodore le haïssait.

Lessing se haïssait-il lui-même = Selbst ? Nous ne le saurons pas. Par contre, l’hypothèse qu’il développe dans son livre porte, non pas sur la haine retournée contre soi à titre individuel, telle un symptôme, mais sur la haine d’être juif, nous dirions aujourd’hui sur l’identité  juive, dont la lignée de chaque juif est débitrice.

De haine de soi juive, Selbsthaß, Zemmour ne semble pas souffrir.

 

Nouvel antisémitisme

 

Peut-il y avoir du nouveau dans un concept, dont celui d’antisémitisme, en tant qu’il est une entité* ? Ne serait-ce-pas, là aussi, une foulure hasardeuse de langage ?

Si la haine envers le Juif est immémoriale, le terme antisémitisme** serait apparu entre 1860 et 1870 en Allemagne, dérivé du nom de Sem, fils de Noé. Stricto sensu, la haine envers le Juif est la volonté frénétique de l’exterminer. À l’Est, à l’Ouest, du Nord au Sud, de nos jours, rien de nouveau.

Les slogans antisémites n’ont pas changé d’un iota auprès des  populations, seuls ont muté les formes, les moyens grâce aux progrès de la science, ancrés déjà chez des enfants au cerveau lavé in-utero, attisés par les antisémites de l’ombre quelle que soit leur extrace, ainsi que des maîtres à penser pervers.

Il n’y a pas de « Nouvel » antisémitisme.

Nous avions, avec un copain, du temps de nos espérances, lancé un appel : Antisémites de tous les pays, désunissez-vous !  Il est resté sans écho.

 

[*  Relire De l’antisémitisme à l’antisionisme de Léon Poliakov, première édition 1969, réédité depuis.

** À antisémitisme, je préfère antijudaïsme.]

 

De même, me semble une foulure de langage que se réclamer de l’humour tandis que les amuseurs publics se défoulent à coups de gras, bas calembours, salacités, sans lésiner sur les invectives.

Voici à titre d’exemples les définitions de ce qu’est véritablement l’humour. Les unes de François Perrier, l’autre de Freud. Elles figurent dans le recueil que j’ai établi, Petit glossaire des concepts freudiens appliqués à la clinique selon François Perrier, disponible sur commande ou en se reportant à ses références sur Internet.

 

François Perrier

 

Éthique (de l’analyste) • « Est du côté de l’humour. Toujours inchoactive. Opposée à “axiologie” »*.

 

[* Selon le CNRTL • InchoactiveQui indique le déclenchement ou la progression graduelle d'une action ; Axiologie = Science des valeurs philosophiques, esthétiques ou morales visant à expliquer et à classer les valeurs.]

Humour « Rien de plus désintéressé. Ne va pas sans une critique libre de soi-même. L’humour est aussi un dévoilement de l’objet sous un autre jour, mais dans une pudeur, une réserve, une contention qui n’est pas celle du comique avec ses effets de cirque, ses chutes répétées. L’éthique de l’analyste est de ce côté-là.» [Je souligne]

Freud

« L’humour a non seulement quelque chose de libérateur, proche en cela de l’esprit et du comique, mais encore quelque chose de magnifique et d’émouvant, traits qui ne se retrouvent pas dans ces deux autres modes, issus de l’activité intellectuelle, d’acquisition d’un surcroît de plaisir. Le magnifique tient évidemment au triomphe du narcissisme, à l’immunité du Moi victorieusement affirmé. Le Moi se refuse à se laisser entamer par les contraintes de la réalité, à se laisser imposer la souffrance, il résiste fermement aux atteintes des traumas causés par le monde extérieur, dont il montre encore davantage qu’ils peuvent devenir des agents d’un surcroît de plaisir. Ce dernier trait est la qualité essentielle de l’humour. Der Witz... » [Ma traduction]

 

Envie 

 

Envie = besoin pressant, impérieux, soit au dessous de la ceinture (pipi), soit sensation interne profonde, indéfinissable, de manque, ferment de l’angoisse, d’une excitation paroxystique susceptible de provoquer des accès de violence, par exemple en cas de privation de drogue sous toutes ses modalités, y compris au cours du ravage d’une passion amoureuse. Encore que l’un n’empêche pas l’autre.

« Avez-vous envie d’être Président de la République ? », alors que Intention, projet, ambition, dessein... au choix, serait tout de même plus raffiné.

Sur ce sujet, à écouter, l’émission du samedi 31 octobre 2021, France Culture, Concordance des temps, par Jean-Noël Jeanneney, L’envie, dévorante !.

https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/l-envie-devorante

 

Les gens 

 

Il  était une fois, il y a très longtemps, le vocable « Les gens », un collectif. Il s’adressait aux « petites gens », voire aux domestiques ou, quel que soit leur statut social, mais alors au sein d’une camarilla, à qui témoignait d’un comportement médiocre. L’Amérique nous a fourgué « people », les gens. Dans les circonstances actuelles de campagne électorale, « électrices et électeurs » ne serait-ce pas plus élégant ?

 

Pédances

 

La vogue, dans les médias, d’user d’un vocabulaire emprunté à la psychiatrie, tels les signifiants « paranoïaque, schizophrène, surmoi, refoulé… résilience, ah, résilience ! », ainsi qu’à la linguistique, a déteint sur la transmission, dont l’enseignement. Que perçoivent les jeunes et les néophytes de concepts appliqués aux psychoses, aux névroses, au mal être, à la misère sexuelle, à la souffrance réelle ? Les enseignants du second degré, en terminale de philosophie, tenus d’afficher Freud en effigie, ne songent pas même à introduire leur premier cours de l’année scolaire en décomposant le néologisme Psychoanalyse qu’il a forgé en 1896, année de la mort de son père, pour isoler sa méthode des disciplines relevant de la psychologie et de la psychiatrie = analyse, au sens chimique du terme, de la psyché, c’est-à-dire analyse des formations de l’inconscient en butte au sac à pulsions. De sorte qu’à leur suite, pour le plus grand nombre, les élèves, puis les futurs étudiants en psychanalyse, abreuvés du vocabulaire obscurantiste de Lacan, déclarent n’y rien comprendre et vont pêcher des locutions pré-formatées sur Internet, sans avoir la moindre idée de la signification de leur contenu, qu’ils sont sur plusieurs années censés développer en vue d’obtenir leur habilitation de fin de parcours. N’évoquons pas ici, enfant de ce jargon, l’inintelligibilité de leur psychanalyse individuelle. L’on me dit que certes elle fait plutôt du bien, mais que l’essence des symptômes n’est pas abordée, l’analyse rigoureuse du rêve et de la sexualité infantile ayant disparu de la pratique. Cela se traduit par la reproduction à l’identique de passages à l’acte et d’acting parfois sévères, les maintient immuables, vide la psychanalyse en tant que telle promue par Freud de sa substance, de son objet.

En 1967, à la lecture de sa Proposition du 9 octobre, ou Acte de fondation de son École par Lacan, j’ai repris paraphrasant une observation de Freud : La névrose est pour ainsi dire le négatif [phototypique] de la perversion, mais en l’inversant : La perversion de l’homme Lacan, dissocié de la théorie qu’il se proposait de prodiguer, représente le négatif de la névrose de l’homme Freud, indissociable de sa théorie en cours d’élaboration.

Un trait de caractère les opposait : Freud était généreux, Lacan un patent avaricieux, l’un dévoilait sans compter non seulement les fruits de ses recherches, honnête amendait leurs errances, mais distribuait aussi des subsides monétaires aux analystes sans le sou [Rank, Reik, Lou Andreas-Salomé…], l’autre prenait sans vergogne sans jamais rien donner qui ne revienne à son profit, posture qui n’est peut-être pas à négliger quant à l’étude, déjà chez le postulant analyste, du potentiel et des corollaires de son économie libidinale.

Pour faire bref, à l’aube de la vie infantile, les invariants pulsionnels pervers sont présents dans la psyché de chaque sujet. Sous la pression des interdits édictés par le monde aussi bien familial qu’environnant, les préférences perverses sont bientôt refoulées. Quand le refoulement est trop profond, excessif, c’est alors qu’une structure perverse peut se former et se fixer. L’accès à la sublimation, qui consiste à convertir les pulsions sexuelles incontrôlées au bénéfice de valeurs non pulsionnelles plus élevées est alors rendu impossible au sujet en cours d’évolution. La posture du pervers, courant sans relâche aux trousses de l’accomplissement d’un fantasme sexuel ancré dans l’infantile, se manifeste alors par son  déni d’une réalité qu’il manipule, par le détournement du savoir quand ce n’est pas le plus souvent par le refus du savoir.

 

Deux autres vocables pédants en cours de mode*

 

Seulement deux. J’en ai inventorié une liste il y a une dizaine d’années, elle figure sur le site, mais n’ai pas encore retrouvé le titre du texte qui la présente dans mon indescriptible capharnaüm.

Algorithme = ensemble de symboles et de procédés propres à un calcul.

Paradigme = manière de voir les choses, représentation du monde.*

 

[* Néologismes mis à jour récemment par le Petit Robert, tant estimé, dont la marque de son idéologie n’est pas un secret = pour la transmission de concepts ardus à l’intention des néophytes en langue démocratique, en cas de doute sur l’exactitude du sens, je me réfère, pour le français au Grand Usuel Larousse et au CNRTL, pour les autres langues au Webster’s International Dictionnary.]

 


Signature à la patte de ce docte volatile • https://www.google.com/search?q=psittacisme+parrot+dessin

 

M. W.

 

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
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