Psychanalyse et idéologie

Micheline Weinstein Lettre à une Médecine

Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte
Samuel Beckett • « L'Innommable »
Cité en exergue au « Jargon de l'authenticité » par T. W. Adorno • 1964
Ø

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Bertha Pappenheim

© Micheline Weinstein

 

Lettre à une Médecine

Paris, le 31 mai 2007


Chère Madame le Docteur M.

j'ai été très peinée d'apprendre, par votre visite, la raison qui l'animait, soit le ressentiment que vous portiez en vous depuis si longtemps.
Il n'est pas inhabituel dans l'histoire de la psychanalyse.
J'espère que votre visite l'aura soulagé définitivement.
Généralement, mais pas toujours en effet, les analysant/e/s investis et mus par un transfert négatif - que j'étais loin d'ignorer, bien avant votre dernier et spectaculaire acting-out, puisque vous semblez connaître la signification des concepts psychanalytiques - s'en débarrassent courageusement par la parole pour, du même coup, se débarrasser de leur analyste. Et ce, depuis Freud soi-même, qui en témoigne dans nombre de ses écrits, jusqu'en 1938/39 en exil forcé à Londres, mais à l'abri de la déportation grâce au transfert amical et reconnaissant de ses analysant/e/s les plus célèbres, ceux qui étaient en mesure d'influer sur les autorités de l'époque, Marie Bonaparte, Bullitt, Jones... pour n'en citer que quelques-uns. Par “chance”, si j'ose dire, Freud est mort avant d'avoir appris que trois de ses sœurs, très âgées, consignées à Vienne, avaient été gazées à Treblinka et à Auschwitz.
Encore et toujours trop crédule, je pensais vaguement que vous veniez vous excuser d'un acting-out, un manquement à une parole donnée, qui eut des conséquences assez dommageables, provisoires heureusement.
Ainsi, vous vous êtes fait messagère de ce monde sauvage et gravement inculte, qui peuple les “milieux” analytiques, que je décris depuis une quarantaine d'années et dont de larges fragments figurent sur le site de notre association.
Un monde sauvage et d'une inculture consternante, dont je me tiens à l'écart, pas encore assez prudemment, le plus qu'il m'est possible depuis la mort de Françoise Dolto (cf. sa correspondance où l'on me trouve) et de François Perrier, mes deux “gardes du corps éthiques”, la première pendant près de 45 ans, le second sur une vingtaine d'années environ.
À propos des ragots d'officine, depuis 65 ans je les ai tous entendus, j'apprends de vous qu'il en court encore, alors que leurs auteurs ne sont pas particulièrement réputés pour s'intéresser bien longtemps à quelqu'un pour qui ils n'ont aucune considération, voire dont ils vont jusqu'à ignorer l'existence de ses travaux, enfin c'est ce qu'ils disent.
Ces auteurs, que je connais, avec leurs coutumes et leurs pratiques, “de l'intérieur” des institutions analytiques, dont j'ai eu et ai encore le triste privilège d'accueillir parfois des analysant/e/s en souffrance, qui apparemment vous enseignent ce que serait l'analyse et ses concepts, vous ont-ils aussi parlé de la façon dont ils les utilisent (notamment pour se faire des rentes très confortables), leur mentor, Feu-Lacan à leur tête et en son nom ? Particulièrement ceux pour lesquels, c'est tout à fait classique, je me suis montrée solidairement efficace, quand ils m'ont sollicitée dans des moments assez délicats. Tout le monde sait que sans analyse véritable, les gens qui se sentent en dette réagissent par l'inimitié pour ne pas dire la haine, l'exclusion, le désir d'effacement des traces et des témoins...
Je suis à peu près sûre que non, ils n'en parlent jamais, du moins à ma connaissance.
J'ai trouvé hier matin justement un néologisme, qui vaut ce qu'il vaut, pour qualifier ce genre de petits tueurs, à propos des guerres fratricides qui agitent cette période d'élections diverses : des “spadassassins”.
Pour faire bref, soyez assez urbaine pour dire à Madame le Docteur S. et éventuellement ses semblables si c'est avec eux que vous entretenez des relations qui vous sont favorables, de bien vouloir, non seulement ne pas communiquer mes coordonnées, mais de les supprimer de leur répertoire.
Mais encore une fois tout ce que j'ai à dire, et je dis ce que je pense et inversement, est écrit et publié depuis fort longtemps. Il suffit de lire les bons auteurs, à commencer par Freud.
Quant à votre sollicitude sur mon état de santé, ne vous chargez pas de tels soucis. D'ailleurs je pense que vous êtes rassurée, je ne suis ni malade ni morte.
J'ai été contente d'apprendre que tout allait bien pour vous et vous renouvelle mes vœux de bonne route,

M. W.
ø
Fin ou presque de l'affaire Asseline
Paris, le 31 mai 2007

Cher A.

Tu trouveras en pièce jointe ma « Lettre à une Médecine », qui figure également sur notre site, mais évidemment sans les noms, sans même les véritables initiales.
J'ai reçu la visite hier du Dr M., compagne - en tous cas il y a encore 4 ans - du Dr B., que je t'avais adressé, laquelle venait sans doute vérifier que je n'étais pas morte de ses agissements, me faire part de sa connaissance des concepts analytiques, bref me dire, comme cela se passe très fréquemment depuis Freud soi-même, avec les “dissidents” de la première à la dernière heure, combien j'avais échoué dans mon boulot.
Apparemment elle semble contente de son ou sa nouvel/le analyste. Je ne lui ai naturellement pas demandé qui.
J'espère en tous cas que ce ou cette récent/e analyste n'est pas quelqu'un de ton entour, via son compagnon.
De mon côté, quand il m'est arrivé et m'arrive qu'un/e analysant/e se présente chez moi pour m'annoncer qu'il a brusquement - et/ou plus ou moins proprement - quitté son lieu d'analyse, je lui ai toujours demandé, et continue de le faire, comme le faisaient Dolto et Perrier, d'aller parler de cet acting-out d'abord franchement à son analyste, avant d'accepter de le ou la recevoir pour poursuivre le travail. Y compris quand il ou elle venait de chez Lacan, nous - avec Dolto et Perrier - en avons reçu un certain nombre, et pas des moins connus.
Les transferts négatifs ne sont pas rares, il faut non seulement les assumer, mais d'abord savoir les reconnaître, ainsi que les discours qui les accompagnent. Et savoir aussi se montrer loyal/e envers les collègues.
J'espère en tous cas, que D., dont tu sais combien je l'estime, ne s'est pas trouvée associée à une forme quelconque de manque de loyauté. Du coup, cet incident m'a rappelé une jeune femme que j'avais adressée à D., ne pouvant la recevoir puisque son mari était chez moi, laquelle a été éconduite sans beaucoup d'égard, au prétexte qu'elle n'avait pas besoin d'analyse. J'ai dû, pour qu'elle soit ramassée en morceaux à la petite cuiller, faire appel à un/e collègue qui ne s'en est pas trop mal sorti/e.
Les “racolages” de “patientèle” d'autrui, voire même d'“amis” (!), via l'utilisation des inévitables passages négatifs de tranfert, étant élevés, tout comme la perversité, à la dignité de l'éthique depuis les enseignements de Lacan et, de ce fait, étant largement publics, je te dis cela aujourd'hui, très simplement à... lacantonade, selon le pauvre calembour de l'époque.
Et te souhaite un joyeux été, Micheline W.

 

ψ [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire

 

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