© Micheline Weinstein • Septembre 1998
  
  
Commentaire de “la famille” selon Lacan
 
                                 « Nous 
                                    n’avons pas attendu ce moment pour méditer 
                                    sur les fantasmes dont s’appréhende 
                                    l’idée du moi, et si le “stade 
                                    du miroir” fut produit en 1936 (1), 
                                    par nous encore aux portes de la titularisation 
                                    d’usage, au premier Congrès international 
                                    où nous ayons eu l’expérience 
                                    d’une association qui devait nous en 
                                    donner bien d’autres, nous n’y 
                                    étions pas sans mérite. 
                                  
                                    (1) C’est au Congrès 
                                        de Marienbad (31 juillet 1936) que prit place 
                                        ce premier pivot de notre intervention dans 
                                        la théorie psychanalytique. On y trouvera 
                                        une référence ironique pp. 184-185 
                                        de ce recueil, avec l’indication du 
                                        tome de l’Encyclopédie française, 
                                        qui fait foi pour la date de ces thèses. 
                                        Nous avions en effet négligé 
                                    d’en livrer le texte pour le compte 
                                        rendu du congrès. » Lacan • 1966 • Écrits, p. 67 
                                 [...]
                                  « 
                                  Je 
                                  ne donnai pas mon papier au compte rendu de 
                                  ce congrès et vous pourrez en trouver 
                                  l’essentiel en quelques lignes dans mon 
                                  article sur la famille paru en 1938 dans l’Encyclopédie 
                                  française, — tome de la vie mentale.* 
                                  »
                                  Ib., p. 185
                                  * N.d.l.r. • Tome VIII, dirigé 
                                  par Henri Wallon.ø
 
                                  
                                  C’est à la demande d’analystes, 
                                      désireux de le faire connaître 
                                  à leurs étudiants et de le travailler, 
                                    que - ψ [Psi] • 
                                    LE TEMPS DU NON 
                                    qui le comptait parmi ses archives depuis fort 
                                          longtemps, fut amené à mettre 
                                    à leur disposition le texte intégral 
                                          de Lacan, publié en 1938, La Famille. 
                                    À noter toutefois que l’on peut 
                                          facilement le trouver au rayon des Usuels dans 
                                          les principales bibliothèques, et le 
                                          photocopier. Une version circule depuis 1983, 
                                    éditée par Navarin, rubrique des 
                                          revues non répertoriées au dépôt 
                                          légal, mais largement amputée 
                                          des intertitres et peu conforme à la 
                                          présentation originale. Se pose en effet 
                                          le problème des droits de reproduction. 
                                          L’héritier littéraire de 
                                          Lacan n’étant pas né lors 
                                          de la rédaction de cet article, il ne 
                                          peut donc le co-signer, et Le Seuil n’en 
                                          détient pas le copyright. 
                                    Actuellement, ce texte n’est donc disponible 
                                          que sous forme de « Document de travail 
                                          exclusivement à usage interne », 
                                          et ne peut être utilisé, selon 
                                          le code de la propriété intellectuelle, 
                                          qu’à des fins identiques à 
                                    celles pour lesquelles l’œuvre originale 
                                      a été créée.t
                                      
                                  D’où ce Commentaire,, dont nous ne pouvionst   faire l’économie, compte-tenu 
                                    de son intérêt historique pour 
                                    la théorie psychanalytique. 
                                    
                                    Sa contribution à l’Encyclopédie 
                                      Française de mars 1938, au chapitre 
                                      Vie Mentale dans lequel est intégré 
                                    le Stade du miroir, parut un peu plus 
                                      de un an et demi après que Jones ait 
                                      suspendu la prestation de Lacan, que ce dernier 
                                      date du 31 juillet 1936. Le discours d’ouverture 
                                      du Congrès de Marienbad par 
                                      Jones est prononcé le 1er août, 
                                      ouverture également des Jeux Olympiques 
                                      d’été à Berlin. Y 
                                      aurait-il eu une journée préparatoire, 
                                    à laquelle Lacan aurait, sur la route 
                                      des Olympiades, participé, ou ne serait-ce 
                                      que l’effet d’une condensation ? 
                                    
                                    La publication de La Famille en France 
                                      est exactement contemporaine de l’entrée 
                                      des nazis dans Vienne, le 12 mars 1938. Le 11, 
                                      Freud écrivait : Finis Austriæ. 
                                    
                                    Dans les quinze jours qui suivent, la maison 
                                    de Freud est à deux reprises envahie 
                                      par les S. A. et la Gestapo. Max Schur, jeune 
                                      médecin personnel de Freud, distribue 
                                    à Anna et Martin Freud des pilules de 
                                      Véronal, au cas où ils seraient 
                                      torturés ou expédiés au 
                                      camp. Le Verlag est liquidé 
                                    par les nazis.
                                    Il y a parfois de sombres coïncidences.
                                    Que Lacan ait négligé de donner 
                                      son texte, exposé devant les freudiens 
                                      pendant dix minutes en 1936, c’est vraisemblable, 
                                      mais ce n’est sans doute pas par inadvertance. 
                                      Lacan avait une trop haute opinion de sa personne 
                                      et de sa parole pour les égarer. 
                                    Lacan, dans les Écrits, se réfère 
                                      au texte de 1938 pour authentifier celui de 
                                      1936. Sa parole, dans cette direction-là, 
                                      ne peut en aucun cas faire foi, c’est 
                                      toujours dans l’autre sens que ça 
                                      se passe. Du plus ancien au plus récent, 
                                      pas l’inverse. 
                                    Ou alors, cela n’a pas plus ni moins de 
                                      portée que n’importe quel souvenir-écran.
                                    La Famille donne le ton à ce 
                                      que sera l’évolution de la démarche 
                                      lacanienne par rapport et déjà, 
                                      nous allons le constater, en opposition, à 
                                    Freud.
                                    Mais, avant d’approcher ce texte, sur 
                                      les avatars auxquels Le stade du miroir, 
                                      inséré dans La Famille, 
                                      fut exposé, nous rappellerons tout d’abord 
                                      l’observation remarquable de Marcelle 
                                      Marini dans son livre Lacan, paru chez 
                                      Belfond en 1986 et rarement, sinon jamais, cité, 
                                      si ce n’est par Colette Rouy dans L’angoisse 
                                      édifiante des gardiens de secrets[Édition papier, 
                                          février 1996]. 
                                          Après la Seconde Guerre Mondiale, en 
                                              1949, Le stade du miroir, tel que dans 
                                              les Écrits, paraît dans 
                                              le volume 13 de la Revue Française 
                                                de Psychanalyse, où figure également 
                                              la Cure psychanalytique à l’aide 
                                                de la poupée-fleur, de Françoise 
                                              Dolto, mais pas dans le même tome. N° 
                                          1 pour Dolto, n° 4 pour Lacan. 
                                          En 1949, les analystes juifs ne sont pas encore 
                                          rentrés, certains ont disparu, d’autres 
                                              se sont expatriés.
                                          Françoise Dolto m’a conté 
                                          un jour comment la poupée-fleur, vert-salade 
                                              disait-elle, avait failli ne pas exister sous 
                                              sa signature. À cette époque, 
                                              Lacan proposait à ses pairs des séances 
                                              de rédaction de textes chez lui, chaque 
                                              analyste, en principe lui y compris, étant 
                                              invité à faire le point par écrit 
                                              sur ses recherches en cours. Après quoi, 
                                              il demandait que l’auteur lui laissât 
                                              quelques temps son texte, afin d’en prendre 
                                              connaissance et d’élaborer à 
                                          partir de cet original.
                                          Ce que Dolto ne fit pas. Elle rentra chez elle, 
                                          sa poupée-fleur sous le bras.
                                          Mais cela est de la petite histoire, d’infimes 
                                              tracas. N’empêche que depuis lors, 
                                              l’auteur de la poupée-fleur a toujours 
                                              récusé fermement l’appropriation 
                                              et l’interprétation qu’en 
                                              fît Lacan, à savoir que son invention 
                                          à elle s’intégrerait dans 
                                              ses recherches à lui sur “l’imago 
                                              du corps propre et le stade du miroir et [le] 
                                              corps morcelé”. Nous pouvons trouver 
                                              trace de ce désaccord dans la réponse 
                                              de Dolto à Lacan au Congrès 
                                                de Rome de juillet 1953, que l’on 
                                              peut lire, dans les actes du Congrès, 
                                              avant qu’elle ne trace le récit 
                                              de la création par elle, de sa poupée-fleur 
                                              :
                                
                                  « Mais il y a un passage qui m’a 
                                  fait de la peine. [...] C’est la façon 
                                  péjorative avec laquelle Lacan parle 
                                  de la mythologie de la maturation instinctive. 
                                  Je ne peux pas accepter que soit discréditée 
                                  cette hypothèse. Je ne peux même 
                                  pas supporter qu’on ait cet air de condescendance 
                                  péjorativante à l’égard 
                                  de la mythologie. [...] ne venons-nous pas ici, 
                                  à Rome, la ville éternelle, pour 
                                  rechercher les vestiges de cette mythologie, 
                                  c’est-à-dire pour trouver, par 
                                  delà la mort d’une civilisation, 
                                  ce qu’il y avait de vivant en elle ? 
                                  [...]
                                  ...Lacan semble ignorer tout ce qui peut se 
                                  faire d’utile avec cette notion hypothétique, 
                                  mais que j’estime pour ma part nécessaire, 
                                  la notion de maturation affective. [...] Je 
                                  pense que toute forme de langage est marquée 
                                  du niveau de maturation au-quel le sujet qui 
                                  s’exprime est parvenu, et que le drame 
                                  du névrosé est qu’il n’entend 
                                  pas de réponse à ce qu’il 
                                  exprime parce que son langage n’est pas 
                                  conforme au niveau de maturation qu’il 
                                  paraît avoir si l’on en juge par 
                                  sa maturation physiologique. »
 
                                  Trente ans plus tard, en 1983, invitée 
                                  à présenter un travail personnel, 
                                  je saisirai cette opportunité pour demander 
                                  à Françoise Dolto d’y contribuer 
                                  par un texte, que j’intercalerai dans 
                                  cette conférence. 
                                  Texte qui ne parut hélas qu’en 
                                  1992 [Édition papier] (1). 
                                  Il commence ainsi :
                                  « Je dis que lorsque Lacan croit que 
                                    l’enfant - qu’il décrit dans 
                                    une assomption jubilatoire - se réjouit 
                                    de voir l’image de lui-même dans 
                                    le miroir, et que cela le structure dans son 
                                  unité, il se trompe. »
                                  Selon 
                                  François Perrier, cet extraordinaire 
                                  succès qu’eut le stade du miroir, 
                                  relève d’une Idéographie 
                                  onirique (2) : 
                                  « ...modèle spéculaire, 
                                  idéologie de l’image du corps et 
                                  de sa structuration qui en passe également 
                                  par la théorie du Moi et du narcissisme, 
                                  le piège gît dans cette tendance 
                                  toujours renouvelée à phénoménologiser 
                                  l’expérience analytique, la ré-imaginer 
                                  avec l’espoir de la fixer comme on fixe 
                                  une photo, ce qui n’est après tout 
                                  que le processus conservateur, au sens politique 
                                  du terme. »
                                  Nous voici donc, depuis un demi-siècle, 
                                  quelques uns sur trois générations 
                                  d’analystes, à nous montrer relativement 
                                  réservés devant ce stade du miroir, 
                                  moment génétique selon Lacan, 
                                  qu’il déclare être le texte 
                                  pivot pour inaugurer son entrée sur la 
                                  scène analytique.
                                  Et une pratique assez longue, des échanges 
                                  cliniques, des apports réciproques, nous 
                                  ont amenés à reconsidérer 
                                  les assertions de Lacan, agréées 
                                  bien souvent par son auteur soi-même suivi 
                                  de ses disciples, comme le seul ensemble théorique, 
                                  la seule doctrine, qui tiendraient après 
                                  Freud. Or, il se trouve que nous ne nous alignons 
                                  pas forcément sur ces thèses qui 
                                  consistent bien souvent à réviser 
                                  Freud dès 1938, manifestement sans l’avoir 
                                  lu, et nous apprécierons le peu de noblesse 
                                  des vocables avec lequel s’édictent 
                                  ces “révisions” dans un moment 
                                  pareil, quand Freud et avec lui les analystes 
                                  juifs de la terre entière, ont la parole 
                                  coupée et la mort aux trousses. 
                                  L’opportunisme ne connaît pas de 
                                  frontières, si bien que des décennies 
                                  plus tard, l’eau ayant coulé sous 
                                  les ponts, Lacan déclamera d’amphigouriques 
                                  et grotesques mots d’ordres de “retour 
                                  à” etc. 
                                  Ce qui surprend immédiatement, c’est 
                                  d’emblée la terminologie retenue 
                                  pour inaugurer les têtes de chapitre de 
                                  La Famille : 1 - Le complexe, facteur concret 
                                  de la psychologie familiale. 2 - Les complexes 
                                  familiaux en pathologie. 
                                  Rien de moins freudien. 
                                  Le terme Complexe chez Freud, n’est 
                                  jamais isolé, il réfère 
                                  toujours et seulement au Complexe d’Œdipe, 
                                  Œdipuskomplex. Il apparaît, 
                                  semblerait-il, pour la première fois 
                                  en 1908 (3), dans 
                                  Sur un type bien particulier de choix d’objet 
                                  chez l’homme. Dès lors, Œdipuskomplex 
                                  sera employé par Freud en tant que Complexe 
                                  nucléaire, Kernkomplex, 
                                  de la névrose, comme on dirait entrelacs 
                                  d’éléments apparentés, 
                                  intrication de facteurs interactifs... Ce concept 
                                  aura, pour Freud, une application unique.
                                  Bien qu’il ne soit certes pas impossible 
                                  que cette dénomination de “Complexe” 
                                  ait été importée par le 
                                  Docteur Jung ou qu’elle ait transité 
                                  par le vocabulaire au choix, de la physiologie, 
                                  de la pathologie, de la chimie ou des mathématiques, 
                                  ce qui importe, c’est l’usage qui 
                                  en sera fait. Pour Jung, les complexes seront 
                                  les fourre-tout de la névrose. Et c’est 
                                  à Jung que Lacan emboîtera le pas.
                                  Laplanche et Pontalis dans leur Vocabulaire 
                                  en 1967, Fédida en 1974 dans son Dictionnaire, 
                                  de la Psychanalyse, font état de l’embarras 
                                  causé par cette notion, devant laquelle 
                                  Freud s’est toujours montré distant, 
                                  et relèvent quelques unes de ses remarques 
                                  :
                                  ...un mot commode et souvent indispensable 
                                  pour rassembler de façon descriptive 
                                  des faits psychologiques. Aucun autre terme 
                                  institué par la psychanalyse pour ses 
                                  propres besoins n’a acquisune popularité 
                                  aussi large et n’a été plus 
                                  mal appliqué au détriment de la 
                                  construction de concepts plus précis.
                                  Dans une lettre à Jones :
                                  Le complexe n’est pas une notion théorique 
                                  satisfaisante.
                                  Dans une autre, à Ferenczi :
                                  Il y a une mythologie junguienne des complexes.
                                    
                                    Tout au long du texte de Lacan, nous rencontrons 
                                    des termes tels que “Complexe(s), archétype, 
                                      frustration... ”, concepts issus du vocabulaire, 
                                      familier de Lacan depuis 1933, de l’École 
                                      de Zurich, plus spécialement et largement 
                                      développés par Jung . Nous y croisons 
                                      même la “scotomisation”, apport 
                                      de Laforgue récusé par Freud. 
                                    
                                    Quant à celui de “race”, 
                                      il est vrai que l’école publique 
                                      et républicaine, par ces temps terribles, 
                                      l’enseignait en géographie humaine. 
                                      Il persiste néanmoins dans La Famille 
                                    après 1949, qui est un article bien documenté 
                                    auprès des maîtres de Lacan en 
                                      psychiatrie et autres savants, de Mélanie 
                                      Klein, Adler, Janet, Bachelard, Hegel - antisémite 
                                      ordinaire, si l’on se réfère 
                                    à son « De l’Allemagne » 
                                    et à sa “philosophie obscure et 
                                      délirante”, selon Freud.
                                    Mais c’est avec beaucoup de difficulté 
                                    que l’on y décrypte une véritable 
                                      lecture de Freud, encore moins une connaissance 
                                      de sa mise en évidence de l’inconscient 
                                      et de sa patiente élaboration qui sont, 
                                      par Lacan, qualifiées grossièrement 
                                      de “divinations”. Pourquoi pas de... 
                                      divagations ! 
                                    D’entrée de jeu, on en comprend 
                                      mal la nécessité, Lacan se place 
                                      en concurrent de Freud. Était-il froissé 
                                    de ce que Freud ait accusé réception 
                                      de l’envoi de sa thèse de psychiatrie 
                                      par une carte de visite polie... Quoiqu’il 
                                      en soit, ici, Le psychanalyste, c’est 
                                      déjà lui, Lacan. Il ne se présente 
                                      pas encore comme incarnant La psychanalyse, 
                                      cela viendra plus tard, mais c’est tout 
                                      juste : Freud n’est pas mort. 
                                    Lacan expose donc ce qu’il assure être 
                                      son invention déterminante pour l’avenir 
                                      de la psychanalyse, 
                                        le « complexe du sevrage » qui conditionnerait 
                                        les aspects principaux de la névrose. 
                                        Le « complexe du sevrage » libérerait 
                                        la psychanalyse du préjugé biologiste 
                                        de Freud d’un instinct de mort. Ainsi, 
                                      écrit-il, en totale contradiction avec 
                                      l’hypothèse freudienne :
                                    
                                    « ...la tendance à la mort, 
                                        s’explique de façon satisfaisante 
                                        par la conception que nous développons 
                                        ici, à savoir que le complexe, unité 
                                    fonctionnelle de ce psychisme, ne répond 
                                        pas à des fonctions vitales mais à 
                                    l’insuffisance congénitale de ces 
                                        fonctions. »
                                    
                                   Saluons au passage la modestie scientifique 
                                  du chercheur Lacan... 
                                  Ce « complexe du sevrage » caractériserait 
                                  cette période où l’infans 
                                  nous a semblé, chez Lacan, assez proche 
                                  de la larve, de par son état végétatif. 
                                  C’est pourquoi, dit-il :
                                  « Nous ne parlerons pas ici avec Freud 
                                  d’auto-érotisme, puisque le moi 
                                  n’est pas constitué, ni de narcissisme, 
                                  puisqu’il n’y a pas d’image 
                                  du moi : bien moins encore d’érotisme 
                                  oral, puisque la nostalgie du sein nourricier, 
                                  sur laquelle a équivoqué [sic 
                                  !] l’école psychanalytique, ne 
                                  relève du complexe du sevrage qu’à 
                                  travers son remaniement par le complexe d’Œdipe. 
                                  »
                                  Mis à part que l’infans ne serait 
                                  donc pas concerné par le monde de la 
                                  parole, mis à part sa méconnaissance 
                                  surprenante de la théorie freudienne, 
                                  nous retiendrons l’élégance 
                                  avec laquelle Lacan tient la psychanalyse  en estime.
                                  Ainsi, d’un bout à l’autre, 
                                  Lacan continue de nous promener parmi ses excentricités 
                                  théoriques. Selon lui, d’ailleurs, 
                                  le mot complexe aurait été défini 
                                  par Freud et serait la cause des formations 
                                  de l’inconscient - actes manqués, 
                                  rêves, symptômes -, et son élément 
                                  fondamental en serait l’entité 
                                  appelée imago. 
                                  La phase enfantine, désignée alors 
                                  par les analystes comme sadique-anale, est ici 
                                  qualifiée par Lacan de sado-masochiste. 
                                  L’apparition du fort-da enfantin, 
                                  tout comme avait été dénigrée 
                                  l’hypothèse de la pulsion de mort, 
                                  est ici réduite au malaise qu’aurait 
                                  suscité le sevrage... et son complexe.
                                  Après un passage important, relatif à 
                                  la jalousie infantile, dont il ne cessera d’affiner 
                                  la théorie, Lacan nous propose la :
                                    
                                    « ...révision [sic] du 
                                        complexe [d’Œdipe] qui permettra 
                                          de situer dans l’histoire la famille paternaliste 
                                          et d’éclairer plus avant la névrose 
                                          contemporaine.
                                        Voici comme il faut s’y prendre avec ce 
                                          complexe d’Œdipe-là, car c’est 
                                          en son cours que se produira :
                                        ...un refoulement de la tendance sexuelle qui, 
                                        dès lors, restera latente - laissant 
                                          place à des intérêts neutres 
                                          [sic !], éminemment favorables aux acquisitions 
                                        éducatives - jusqu’à la 
                                          puberté ; d’autre part [la tension 
                                          se résoudra] par la sublimation de l’image 
                                          parentale... [...] Ce double procès a 
                                          une importance génétique fondamentale, 
                                          car il reste inscrit dans le psychisme en deux 
                                          instances permanentes : celle qui refoule s’appelle 
                                          le surmoi, celle qui sublime, l’idéal 
                                          du moi. Elles représentent l’achèvement 
                                    de la crise œdipienne. »
                                    
                                    Je ne poursuivrai pas par le menu, mais noterai 
                                        tout de même qu’un peu plus loin, 
                                        Lacan confond une supposée théorie 
                                        de la famille qui aurait été définie 
                                        par Freud, je n’ai pas trouvé où, 
                                        avec le “roman familial” ; qu’il 
                                        considère comme un abus le saut théorique 
                                        par Freud, avec ses intuitions trop hâtives, 
                                        d’un mythe du parricide originel, construction 
                                        ruinée par les seules pétitions 
                                        de principe qu’elle comporte et autre 
                                        genèse, par Freud, du fantasme de castration 
                                    chez la petite fille, fantasme qui :
                                    
                                      « ...pour trouver un fondement dans 
                                        l’identification, requiert à l’usage 
                                        une telle surcharge de mécanismes qu’elle 
                                      paraît erronée. »
                                    
                                    Passons. Sauf sur ceci, où Lacan attribue, 
                                        avec parfois l’introduction de termes 
                                        trop élogieux pour être honnêtes, 
                                        la naissance de la psychanalyse 
                                      au fait que :
                                    
                                    « Le sublime hasard du génie 
                                        n’explique peut-être pas seul que 
                                        ce soit à Vienne - alors centre d’un 
                                    État qui était le melting-pot 
                                        des formes familiales les plus diverses, des 
                                        plus archaïques aux plus évoluées, 
                                        des derniers groupements agnatiques des paysans 
                                        slaves aux formes les plus réduites du 
                                        foyer petit-bourgeois et aux formes les plus 
                                        décadentes du ménage instable, 
                                        en passant par les paternalismes féodaux 
                                        et mercantiles - qu’un fils du patriarcat 
                                        juif ait imaginé le complexe d’Œdipe. 
                                    »
                                    
                                    Et voilà que chemin faisant, La Famille 
                                    nous entraîne sur la pente de l’inconscient 
                                        collectif junguien, sur celle de la sublimation 
                                        collective, la névrose étant posée-là 
                                    comme une entité sociologique, sous l’appellation 
                                        de “névrose contemporaine” 
                                    [Lacan] . 
                                    La lecture attentive de ce document nous laisse 
                                    perplexe, car il semblerait que l’intention 
                                        de Lacan à l’époque, consciente 
                                        ou pas, fut de scier à leur base les 
                                        colonnes de l’édifice freudien 
                                        ; et fut de mettre toute son intelligence à 
                                    l’œuvre pour tenter d’effacer 
                                        Freud et de faire ainsi échouer une potentielle 
                                        transmission de la  psychanalyse. 
                                        
                                        Et ce, en plein dans les années 36/38. 
                                          Compte-tenu de l’influence qu’il 
                                          exercera en France auprès de l’intelligentsia, 
                                          on aurait souhaité, à l’entrée 
                                          des nazis dans Vienne et chez Freud, un Lacan 
                                          capable de prévoir la portée de 
                                          ses dires, avec leurs conséquences pour 
                                          la  psychanalyse. Quoique, 
                                          Anna Freud invectivée par lui en termes 
                                          de “chiure de mouche”, ça, 
                                          date de 1974... (4)
                                    Alors, 
                                    déjà en 1938...
                                    Par contre, ce texte témoigne ici avec 
                                        d’autres que, pour ce qui est de la connaissance, 
                                        par Lacan, de la paranoïa, en 1938 comme 
                                        en 1931, puis au long cours de sa carrière, 
                                        elle était formidable.
                                        
                                        
 M. W.
    Septembre 1998 
Notes
                                  1 
                                  - In édition papier  
                                  n° 14, Montée au Struthof, 
                                  juin 1992. 
                                  
                                  2 - François Perrier, Les corps malades 
                                  du signifiant, « Le Corporel et l’Analytique 
                                  », Séminaire 1971/1972. InterÉditions, 
                                  coll. L’Analyse au singulier, Paris, 1984. 
                                  
                                  
                                  3 - Il n’apparaîtra dans les Trois 
                                  Essais qu’en 1920, lors de la quatrième 
                                  édition. 
                                
                                  4 - Cf. Micheline Weinstein • Travaux • 
                                  1967/1997. Nouvelle édition, septembre 
                                      1998, 170 p. Voir notamment dans ce livre les passages concernant 
                                        l’interruption par Jones en 1936, le départ 
                                        de Lacan aux Jeux Olympiques de Berlin, l’antipathie 
                                        de Anna Freud et quelques autres depuis ce jour.
                                        
                                 
                                ψ  [Psi] • LE                                TEMPS DU NON
                                      cela ne va pas sans dire
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