©                                    Jean-Pierre Faye                                    / 11 Juillet 2005 
  «                                    Par-delà le mal »
  
  La                                    chambre à gaz du Struthof
     annexe expérimentale d’Auschwitz
      au camp de Natzweiler en Alsace annexée 
   
  Prologue
  Par-delà                                    le mal. La perspective de “recherche” que propose le Professeur SS Dr Hirt au Reichsführer                                    SS Himmler, désigne le temps futur où                                    l’Untermenschentum - comment traduire                                    cette lourde “Soushommitude” ? - aura totalement disparu. Par delà                                    ce que le Numéro 2 de la SS, Heydrich,                                    nomme à la Conférence de Wannsee                                    « L’ensemble des mesures ». Et que                                    déjà Gœring annonçait                                    comme la Solution Finale - die Endlösung.
    Par delà cette fin, cette Ende : une                                    collection de crânes, de ceux ou celles                                    qui sont ainsi nommés “sous-hommes”,                                    en vue d’être exposée à                                    l’Institut d’Anatomie dont la SS s’est emparé                                    à Strasbourg, ville annexée au                                    IIIe Reich.
    Entité ainsi disparue ? Comment et pourquoi                                    ? 
    Ici un autre Professeur est en avance sur l’Histoire                                    en temps réel.
    En 1933-34, le cours du Professeur Heidegger                                    sur « L’Essence de la Vérité                                    » annonce “le combat comme                                    essence de l’étant” et “les                                    lois originelles de notre race d’hommes germaniques”,                                    de “l’essence germanique originelle”.                                    Et de là, il en vient à “l’ennemi”,                                    celui qui est “enté sur la                                    racine la plus intérieure de l’essence                                    originelle d’un peuple”, afin de “s’opposer à l’essence propre                                    à celui-ci”. Visant cet ennemi                                    intérieur, il faut “initier                                    l’attaque en vue de l’anéantissement                                    total” - “Die völlige                                    Vernichtung”.
    Ainsi le Professeur Hirt se place par-delà                                    cet “anéantissement total” : sa collection de crânes toute “scientifique”,                                    sera sélectionnée, expose-t-il,                                    grâce à la guerre à l’Est,                                    où pourront être raflés                                    des crânes de “Commissaires                                    du peuple bolcheviques”.
    Mais ce sont trente jeunes femmes, la plupart                                    prises dans les rafles à Thessalonique,                                    qui vont être annoncées par Himmler                                    à travers son chargé d’affaires                                    courantes et expédiées dans un “transport”, d’Auschwitz                                    en Pologne vers le Struthof en France, dans                                    l’Alsace annexée.
    En vue de cette Forschung, cette recherche :                                    exposée par-delà l’acte                                    de cruauté le plus total.
    La plus jeune des victimes a vingt-trois ans                                    : Katarina Mosché.
    Ainsi le projet du Professeur Hirt vient se                                    réaliser le 11 août 1943, par-delà celui du Professeur Heidegger, exposé                                    en 1933-34.
    Nous sommes à l’extrême limite                                    de la folie des langages, au travail en histoire                                    réelle.
    Ou plutôt, par-delà la                                    limite.
  J.P.F.
11 juillet 2005
  La                                  chambre à gaz
    du camp du Struthof en Alsace annexée                                  :
    annexe                                  expérimentale d’Auschwitz
  
   La                                    décision hitlérienne de 1’Endlösung,                                    de la « Solution finale » - de la                                    Shoah - s’inscrit dans le cadre de ce que la                                    langue nazie nommait étrangement le Generalgouvernement (pourquoi ces mots français, renversés                                    et comme soudés par un plombier monstrueux                                    ?). C’est-à-dire ce qui restait de la                                    Pologne, reste marqué par cette langue-pour-la-mort. 
    Le périmètre des six camps d’extermination                                    traverse un hexagramme de six noms : Auschwitz,                                    Belzec, Chelmno, Majdanek, Sobibor, Treblinka. Vernichtungs-lager. Nous avons à                                    épeler ces six noms un à un. Un                                    film fulgurant de Claude Lanzmann vient de nous                                    apprendre le visage de Sobibor.
    Les trois immenses Krematorium de Birkenau-Auschwitz                                    II avaient englouti les morts dans leurs sous-sols,                                    d’où les chambres à gaz livraient                                    les corps aux monte-charge qui les portaient                                    au feu des Krema I, II, III (le Krema IV était                                    en construction). Quand les déportés                                    eux-mêmes eurent fait sauter le Krema                                    I, avant d’être exécutés                                    par les tueurs, ceux-ci s’avisèrent qu’ils                                    avaient eu raison : mieux valait ne pas laisser                                    à l’Armée Rouge en marche ces                                    documents évidents - ils firent donc                                    sauter à leur tour les machines à                                    mort II et III. Restent les blocs de béton                                    géants, témoins muets, immensément                                    saisissants. Visibles dans Shoah comme                                    des météorites monstrueuses, tombées                                    de la plus grande catastrophe d’histoire. 
    Comparé aux massacres d’Auschwitz-Birkenau,                                    le Struthof est un lieu de moindre meurtre.                                    Mais il importe de mesurer le fait étrange                                    et relativement méconnu : la chambre                                    à gaz du Struthof a été                                    faite dans le prolongement des exterminations                                    de Birkenau, comme une “annexe”                                    qui ajoute à la tuerie une intention                                    “expérimentale” et un projet                                    stupidement “scientifique”. Car                                    le Hauptsturmführer Hirt, maître                                    de l’Institut d’Anatomie confié à                                    la SS par le Reich nazi, a programmé                                    la nécessité d’une collection                                    de crânes des prétendus “sous-hommes”,                                    de préférence des “commissaires                                    du peuple bolcheviques”. Himmler lui fait                                    envoyer des femmes juives de Salonique en guise                                    de “matériel”. 
    L’absurde équivalence entre “juif”                                    et “bolchevique”, postulat nazi                                    fondamental, avait pourtant été                                    démentie par Staline en personne, lorsque                                    la signature du pacte Ribbentrop-Molotov l’amène                                    à féliciter Hitler à distance                                    de sa “politique antijuive”, devant                                    un diplomate japonais étonné.
    Au Struthof l’espace parle : il montre du dehors                                    la petite cheminée rajoutée, avec                                    son chapeau chinois qui la protège de                                    la pluie. En dedans, il montre ce coude de tuyau                                    qui part vers le plafond. Le trou dans la paroi                                    répond aux dimensions de l’entonnoir,                                    par où sont versés les cristaux                                    de Zyklon B. L’entonnoir est visible au Musée                                    de la Résistance à Besançon,                                    à l’intérieur de la forteresse                                    de Vauban. Sans doute manque-t-il au “Musée”                                    du Struthof. Mais celui-ci est une cabane de                                    bois, déjà objet d’incendies criminels.                                    La forteresse de Besançon du moins est                                    un abri sûr pour ce document-instrument.
  ø
  
  Car il reste à apprendre quelque chose                                    de plus, un surplus encore dans la furie. Un                                    SS va inventer un motif d’ajouter de la destruction. 
    Il demande une collection de crânes et                                    propose un projet en ce sens au Reichsführer SS Himmler, la correspondance bureaucratique                                    chemine durant des mois à propos de cette                                    “recherche” - pour laquelle ledit Reichsführer se dira “intéressé”.                                    Le “matériel” sera finalement envoyé : au camp du Struthof, camp                                    de Nuit et Brouillard ouvert comme                                    une blessure à côté d’une                                    carrière de granit, dans les Vosges. 
    Nous retrouvons, dans les notes prises à                                    Auschwitz par l’héroïque Adélaïde                                    Hautval, une trace du départ de ce “matériel”.                                    Des femmes sont soumises à des mensurations                                    par les étranges docteurs d’Auschwitz                                    et sélectionnées : pour la collection. 
  « En mai 1943 surgit un nouveau protagoniste                                    des théories raciales. Il fit le choix                                    de son “matériel” en faisant                                    défiler devant lui des femmes nues de                                    tout âge... des mesures de toutes les                                    parties du corps furent prises à l’infini. 
  « ...Un jour on leur fit savoir qu’elles                                    avaient une chance extraordinaire d’avoir été                                    choisies, qu’elles allaient quitter Auschwitz                                    pour aller dans un excellent camp. Elles le                                    crurent, trop contentes de quitter cet enfer... 
  « Les malheureuses furent emmenées                                    au camp du Struthof en Alsace et tuées                                    dans un but que nous avions soupçonné.                                    »*
  *                                    Dr Adélaïde Hautval, Médecine                                    et crimes contre l’humanité, Actes                                    Sud, 1991. Présentation et postface d’Anise                                    Postel-Vinay.
  À l’autre extrémité du                                    voyage a donc été construite la                                    chambre à gaz du Struthof, à la                                    demande du “chercheur”, le Hauptsturmführer Hirt. 
    Elle est décrite minutieusement dans                                    son fonctionnement par le commandant SS du camp,                                    au cours de ses deux procès de l’après-guerre,                                    à Strasbourg en juillet, à Luneburg                                    en décembre. Mais cette description est                                    aussi une prise sur le vif du fonctionnement                                    d’une mémoire SS. 
    - À Strasbourg le commandant SS Joseph                                    Kramer affirme sa qualité de tueur :                                    il observe par le “regard”                                    de verre, ménagé par ses soins                                    dans la paroi de la chambre à gaz, jusqu’au                                    moment où les victimes sont immobiles                                    dans la mort. 
    - À Luneburg, où il sent se rapprocher                                    le verdict judiciaire, il est devenu plus “sensible”                                    : il ne regarde plus ! il écoute les plaintes et les cris... Quand il ne les                                    entend plus, il met en marche le ventilateur,                                    et il en entend le bruit. La sensation de vérité,                                    la preuve même, est donnée : au                                    moment où, après l’attente nécessaire                                    à l’évacuation par ventilation                                    de ce quelque chose qui tue, - il ouvre la porte.                                    Le commandant SS Kramer, face au gaz toxique,                                    prend soin de sa propre survie.
    Les compte-rendus des dépositions de                                    Kramer en 1945-46, je les ai recherchés                                    longuement. D’abord à Ludwigsburg - Zentrale                                    Stelle der Landesjustizverwaltung -, puis                                    à Colmar aux Archives Départementales                                    du Haut Rhin (Archives du tribunal Militaire                                    des Forces Françaises en Allemagne, 3                                    rue Fleischauer), enfin au Palais de Justice                                    à Paris, où ils étaient                                    déposés à l’occasion d’un                                    débat judiciaire de ce temps, aujourd’hui                                    dépassé. Je les trouve posés                                    au sol, enveloppés de ficelle, et en                                    dénouant les nœuds j’ai le sentiment                                    d’approcher d’un moment de la mémoire                                    nouée. Suis-je à cette date le                                    premier à défaire ces nouages,                                    et à trouver les dépositions rendues                                    en français et en anglais par le soin                                    des traducteurs jurés ? J’en retiens                                    les fragments significatifs, car à cette                                    date l’invention de la photocopie n’est pas                                    faite au point d’être chose courante. 
    Malheureusement les éditeurs de l’enquête                                    effectuée à la fin des années                                    1970 en vue de la publication chez Fischer et                                    aux Éditions de Minuit comptaient sur                                    leurs doigts le nombre de pages. Fallait-il                                    que la quantité de pages publiables soit                                    en proportion du nombre des victimes ? Ils vont                                    composer un “compact” des deux dépositions                                    - Strasbourg/Luneburg - dont le doublet leur                                    semblait inutile. Ainsi survient une déposition-robot,                                    compressant en une seule la double “vérité”                                    du menteur. 
  Mais voici les témoins vivants. 
    La fille du voiturier, réquisitionné                                    par les SS avec son cheval et qui chaque jour                                    apporte de Natzwiller jusqu’au Struthof ce que                                    l’on exige de lui. En fin de journée                                    d’août 1943 - entre le 9 et le 11 selon                                    les témoins -, il est surpris par un                                    déploiement singulier de troupes. De                                    la fenêtre de son écurie il voit                                    se déployer les SS et survenir un groupe                                    de quinze femmes : elles entrent dans l’Annexe                                    de l’Auberge. Une heure plus tard ce sont                                    des cadavres que l’on porte hors du bâtiment                                    de l’Annexe. 
    Lui-même demeure jusqu’à la nuit,                                    il ne sortira de l’écurie qu’une fois                                    la nuit tombée, par les chemins de la                                    forêt, sans repasser par la route. Il                                    arrive à Natzwiller vers 11 h du soir,                                    épuisé et hagard. Sa fille de                                    dix huit ans le voit surgir, elle nous décrira                                    l’angoisse et l’horreur qu’il porte sur son                                    visage. 
    L’autre témoin : le secrétaire                                    de la Mairie à Natzwiller. Cet homme                                    de quatre-vingts ans me rapporte la surprise                                    qu’il a, le lendemain matin du même jour,                                    à voir survenir dans son auberge, au                                    bas de la vallée, le SS en uniforme dont                                    il a dû accepter de recevoir l’épouse                                    et les enfants, deux petites filles, pour les                                    vacances d’été, sur ordre de réquisition.                                    Le SS - en uniforme, chose inhabituelle lorsqu’il                                    descendait jusqu’au village - s’approche de                                    son épouse et lui parle à voix                                    basse, puis repart. Elle se lève et va                                    vers l’évier laver son bol de café                                    : là elle éclate en sanglots,                                    elle s’écrie : “Ils ont passé                                    quinze femmes hier soir dans une Gaskammer.” 
    Ce mot, il l’entend pour la première                                    fois. C’est son entrée en France par                                    la langue allemande.
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  Mais déjà ce mot est vérifié par l’écart déconcertant entre                                    les deux dépositions du commandant SS                                    du Struthof - à Strasbourg et à                                    Luneburg. Au moment même où, en                                    version anglaise et par crainte de la corde,                                    en décembre 45, il donne une narration                                    mensongère de son travail de bourreau                                    - “mon âme trop sensible ne regardait                                    point par les yeux pour éviter de voir les morts” -, au même                                    moment la menteuse narration laisse échapper                                    le vrai : j’écoutais avec soin la ventilation des gaz mortels, avant                                    d’ouvrir la porte. Car la narration n’est pas                                    un décalque du réel. Elle est                                    un acte de vérité. Surtout là                                    où il y a mensonge.
    Nous l’entendons ici déborder la consigne                                    impérative, prononcée par le Sturmbannführer SS Rudolf Brandt, quand il écrit au Numéro                                    2 de la SS, Kaltenbrunner, le 29 mars 1943 :                                    Le Reichsführer SS Himmler vous                                    demande de réunir vos hommes avant les                                    “actions spéciales” d’extermination,                                    et de faire qu’ils s’engagent “à                                    tirer un trait (un Strich) sur leur temps dans                                    les commandos spéciaux” - les Sonderkommandos - “et de ne pas parler de cela, même                                    par allusion**.”
  **                                    Bundesarchiv, Dok. Samml. ZstL, Bd I, B1.86.                                    In A. Rückerl, NS Vernichtungslager, dtv                                    1977, p. 282.
  Le Strich ordonné par Himmler sur “une                                    page glorieuse et qui ne sera jamais écrite”,                                    comme il la nomme dans son Discours de Posen du 4 octobre 1943 : - “nous sommes                                    toujours restés corrects envers les animaux,                                    nous le serons aussi à l’égard                                    de ces bêtes humaines”-, le                                    voici surmonté par le lapsus calculé                                    du bourreau, mais aussi par les témoins                                    les plus proches, celui qui a vu, le                                    voiturier Steiner, et celui qui a entendu,                                    le secrétaire de Mairie Flajolet. 
    Le processus démesuré des assassinats                                    secrets du IIIe Reich est mis à découvert                                    par l’aveu involontaire du SS, confronté                                    à lui-même entre Strasbourg et                                    Luneburg, et le geste libre des témoignages                                    de Natzwiller, le village de la vallée                                    alsacienne sur lequel pèse l’ombre lourde                                    du camp de « Natzweiler-Struthof ».                                    La vérité est faite de ces fragments,                                    dans un terrible champ de fouille.
  Juin 2002
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  Le                                  procès de Strasbourg : le regard  
  Sous-dossier                                    : EXÉCUTION DES JUIFS 
    ORGANISATION DES CAMPS 
BOÎTE                                    n°3
  Pièce                                    1806/V/2
   
  Tribunal militaire permanent de la 10e                                  région séant à Strasbourg
  L’an 1945, le 26 juillet, à 15                                  heures.
  A                                    répondu se nommer KRAMER Joseph, SS Hauptsturmführer,                                    39 ans, domicilié à Bergen-Belsen. 
  « Au cours du mois d’août 1943,                                    j’ai reçu du camp d’Oranienburg ou plutôt                                    du Commandement Suprême SS de Berlin,                                    qui me l’a fait transmettre par le Commandant                                    du camp d’Oranienburg, l’ordre de recevoir environ                                    80 internés venant d’Auschwitz. Dans                                    la lettre qui accompagnait cet ordre, il était                                    précisé d’avoir à me mettre                                    en relation immédiatement avec le Professeur                                    Hirt, de la Faculté de Médecine                                    de Strasbourg. 
  « Au début d’août 1943, je                                    reçus donc les 80 internés destinés                                    à être supprimés à                                    l’aide des gaz qui m’avaient été                                    remis par Hirt [sous forme de cristaux]. Je                                    commençai par faire conduire à                                    la chambre à gaz un certain soir vers                                    9 heures, à l’aide d’une camionnette,                                    une première fois une quinzaine de femmes                                    environ. Je déclarai à ces femmes                                    qu’elles devaient passer dans la chambre à                                    désinfection, et je leur cachai qu’elles                                    devaient être asphyxiées Assisté                                    de quelques SS, je les fis complètement                                    déshabiller et je les poussai dans la                                    chambre à gaz, alors qu’elles étaient                                    toutes nues. Au moment où je fermai la                                    porte, elles se mirent à hurler. J’introduisis,                                    après avoir fermé la porte, une                                    certaine quantité de sels dans un entonnoir                                    placé au-dessous et à droite du                                    regard. En même temps, je versai une certaine                                    quantité d’eau qui, ainsi que les sels,                                    tomba dans l’excavation située à                                    l’intérieur de la chambre à gaz                                    au bas du regard. Puis je fermai l’orifice de                                    l’entonnoir à l’aide d’un robinet qui                                    était adapté dans le bas de cet                                    entonnoir, prolongé lui-même par                                    un tube en métal. Ce tube en métal                                    conduisit les sels et l’eau dans l’excavation                                    intérieure de la chambre, dont je viens                                    de vous parler. J’allumai intérieur de                                    la chambre à l’aide d’un commutateur                                    placé près de l’entonnoir, et  observai par le regard extérieur ce qui se passait à l’intérieur                                    de la chambre. Je constatai que ces femmes ont                                    continué à respirer environ une                                    demi minute, puis elles tombèrent à                                    terre. Lorsque j’ouvris la porte après                                    avoir fait en même temps marcher le ventilateur                                    à l’intérieur de la cheminée                                    d’aération je constatai que ces femmes                                    étaient étendues sans vie. 
    J’ai chargé deux SS infirmiers de transporter                                    ces cadavres dans une camionnette le lendemain                                    matin vers 5 h 1/2, pour qu’ils soient conduits                                    à l’Institut d’Anatomie, ainsi que le                                    Professeur Hirt me l’avait demandé. »
  
  Le                                  procès de Luneburg : l’écoute  
  French                                    War Crimes Mission 
    Allied Missions Camp 
    HQ BRITISCH ARMY 0F THE RHINE PROCÈS-VERBAL                                    D’INFORMATION
  Pièce                                    1806/V/2 bis
    Boîte 3
  À                                    Lunebourg, le 6 décembre 1945
  A comparu KRAMER Joseph, né le 10 novembre                                    1906 à Munich (Allemagne), profession                                    SS Hauptsturmführer, domicile : Bergen-Belsen. 
  « Au milieu de 1943 j’ai reçu un                                    ordre par écrit de Berlin d’exécuter                                    les gens qui avaient été envoyés                                    d’Auschwitz et de livrer les restes à                                    l’Institut Anatomique de l’Hôpital Municipal                                    de Strasbourg. Quant au mode d’exécution,                                    j’ai été, selon l’ordre par écrit,                                    obligé de me mettre en rapport avec le                                    Pr d’Anatomie Hirt. Je me rendis donc auprès                                    de ce professeur et je lui fis part des ordres                                    que j’avais reçus. Hirt me donna le conseil                                    d’exécuter les gens par les gaz. Je lui                                    répondis que dans le camp il n’y avait                                    pas encore de chambre à gaz. Hirt me                                    donna alors une bouteille de verre fermée                                    avec de la cire. Dedans il y avait un produit                                    se composant de petits corps blancs semblables                                    à de la soude. Hirt me déclara                                    qu’en y ajoutant de l’eau j’obtiendrai un gaz                                    toxique ; il me donna aussi une indication exacte                                    de la dose. Je lui dis que j’avais à                                    ma disposition l’entrepreneur de bâtiments Untersturmführer Heider, qui m’avait                                    été envoyé d’Oranienbourg.                                    Je faisais alors construire la chambre à                                    gaz par des internés. À quelque                                    temps de là arriva un premier transport                                    de 26 femmes âgées de 20 à                                    50 ans. Elles demeurèrent 8 jours au                                    camp. Pendant ce temps elles ne furent pas maltraitées                                    et pas mieux nourries que les autres internés.                                    Je n’avais pas quant à ces personnes                                    des instructions spéciales. Après                                    8 jours d’attente, au milieu d’août 1943,                                    je fis conduire ces femmes à 9 heures                                    du soir à la chambre à gaz. Dans                                    l’antichambre elles furent déshabillées.                                    Je plaçai alors une poignée de                                    ce produit dans le trou aménagé                                    dans le plancher. Je fis entrer les femmes dans                                    la chambre à gaz et fermai la porte.                                    Alors les femmes commencèrent à                                    pleurer et à crier. De dehors je versai                                    de l’eau dans l’entonnoir préparé.                                    L’eau coula par un tuyau muni d’une fermeture                                    dans le trou où se trouvaient les petits                                    grains. Après une demi-minute les cris                                    cessèrent dans la chambre. Je                                    déclare que je n’ai pas par la fenêtre                                    observé la mort,                                    j’étais seulement aux écoutes.                                    Comme il n’y avait plus rien à                                    entendre et que plus rien ne se                                    mouvait, j’ai mis le ventilateur                                    en marche. Pendant                                    ce temps je me trouvais à                                    l’extérieur et je n’ai ni respiré                                    ni senti le gaz. Après 1/4 d’heure j’ai                                    ouvert la porte. Il semblait que la mort s’était                                    déroulée d’une façon normale.                                    Il était à peu près 9 h                                    30. 
  « Je n’ai éprouvé aucune                                    émotion en accomplissant ses actes, car                                    j’avais reçu l’ordre d’exécuter,                                    de la façon que j’ai indiquée,                                    les 80 internés. J’ai d’ailleurs été                                    élevé comme cela.
  ø
  Le Rapport Hirt : la                                  collection de crânes 
  Rapport                                  sur l’obtention de crânes de Commissaires                                  bolcheviques juifs
en vue de recherches scientifiques à l’Université                                  allemande de Strasbourg  
  «                                    II existe d’importantes collections de crânes                                    de presque tous les peuples du monde. Cependant                                    il n’existe que très peu de crânes                                    de la race juive permettant une étude                                    et des conclusions précises. La                                    guerre à l’Est nous fournit une occasion de remédier à cette absence. 
  « II va suffire que la Wehrmacht remette                                    vivants à la Police du Front (Feldpolizei) tous les Commissaires bolcheviques juifs. » 
  Professor August                                    Hirt, SS Hauptsturmfiihrer (Capitaine), Directeur de l’Institut d’Anatomie de l’Hôpital                                    Municipal rattaché à « l’Université                                    allemande de Strasbourg » [sous contrôle                                    de la SS].
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  « Le Professeur Hirt a seulement pu fournir                                    un Rapport préliminaire, qui                                    concerne [...] la proposition de collection                                    de crânes de Commissaires bolcheviques                                    juifs. »
   Wolfram Sievers,                                    SS Standartenführer (Général                                    de Brigade). Directeur de l’Ahnenerbe,                                    Institut d’études sur l’Héritage                                    ancestral, de la SS,
      9 février 1942
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  « J’ai rendu compte au Reichsführer SS des Rapports du Pr Hirt. ; ces                                    travaux l’ont énormément intéressé.                                    »
  Rudolf Brandt,                                    de l’Etat-major personnel du Reichsführer SS Himmler,
      27 février 1942
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  « Le Reichsführer SS a donné                                    l’ordre de fournir au Pr Hirt tout                                    le matériel nécessaire à son travail de recherche.                                    »
   Wolfram Sievers, 
      2 novembre 1942 
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  « Le transfert au Camp de concentration                                    de Natzweiler est maintenant impératif,                                    en vue des opérations ultérieures                                    sur les personnes sélectionnées.                                    Vous trouverez ci-incluse une liste contenant                                    le nom des personnes choisies.                                    Je demande l’envoi d’une liste des directives                                    nécessaires à l’occasion du transfert                                    des prisonniers à Natzweiler. En même                                    temps on doit pourvoir à l’installation                                    de trente femmes au camp de concentration de                                    Natzweiler, pour une courte durée.                                    »
   Wolfram Sievers, 
      21 juin 1943
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  Au cœur du dispositif SS du Reich nazi,                                    Wolfram Sievers appartient en même temps                                    au cercle idéologique “ésotérique”                                    de Friedrich Hielscher. Cercle qui lui-même                                    circulait, autour du tournant de l’année                                    1930, dans les groupes précurseurs dits                                    « nationaux-révolutionnaires »,                                    dominés par la personnalité intellectuelle                                    d’Ernst Jünger et la personnalité                                    militaire du Capitaine de Vaisseau Ehrhardt,                                    le Kapitän, figure de proue du                                    Putsch de Kapp en 1920, durant lequel est annoncée                                    pour trois jours à Berlin la victoire                                    triomphale de la « Contre-révolution                                    », la Gegenrevolution. Putsch brisé                                    par la grève générale qu’avait                                    appelée la sociale-démocratie. 
      Durant le procès de Sievers et de son                                    Institut SS de l’Ahnenerbe, dans l’immédiat                                    après-guerre, Friedrich Hielscher s’efforcera                                    un moment de rassurer sur son sort, par révocation                                    de ses propres “pouvoirs surnaturels”,                                    les membres du “Hielscher Kreis”                                    (réunis autour de 1930 par la revue «                                    Das Reich »). La condamnation capitale                                    de Sievers va marquer alors la fin d’une mythologie                                    persistante et redoutable. 
  On verra pourtant resurgir en France, dans                                    les années 60-70, des groupes “nationaux-révolutionnaires”. 
    Ils iront se fondre dans un plus vaste gouffre                                    de l’extrême-droite.
  J.P.F.
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  Pièces                                    annexes
  Camp                                  de « Natzweiler - Struthof »
  Témoignage                                    1
  Marianne                                  FLUCK. née STEINER, fille de Léopotd                                  STEINER, de Natzwiller.  
  « J’avais seize, dix-sept ans, lorsque                                    mon père rencontra dans un café                                    de Natzwiller un militaire allemand, de la Wehrmacht,                                    qui racontait sa guerre en 1914-1918 sur 1e                                    front d’Orient. Mon père, à la                                    table voisine, a été frappé                                    de découvrir qu’il était alors                                    dans 1e même régiment et c’est                                    ainsi que la conversation s’est établie,                                    par des “souvenirs de régiment”                                    - c’était l’époque où 1’Alsace                                    était annexée.
  « Mon père cherchait alors du travail.                                    Quelque temps après, l’autre est venu                                    le trouver, ayant appris qu’il disposait d’une                                    mule et d’une voiture, en lui proposant de travailler                                    “en haut”. Cet “en haut”                                    n’était pas 1e camp de “Naweiler-Struthof”,                                    mais au lieu dit “L’Auberge du Struthof”,                                    qui se compose alors de l’auberge elle-même,                                    de l’annexe située en face, d’une écurie                                    de l’autre côté de la route, et                                    de quelques baraquements [1].                                    Son travail consistait à “voiturer”                                    toutes sortes de choses entre l’auberge et 1e                                    village - mais aussi entre l’auberge et le camp                                    du haut, fermé par la seconde enceinte,                                    tout à fait stricte. Peu à peu                                    il a commencé à monter du pain                                    pour les déportés, que nous mettions                                    de côté avec ma mère, des                                    gâteaux que je faisais avec ma mère,                                    et même des chats que nous attrapions                                    pour cela. J’ai même monté le gros                                    chien méchant du restaurant de Natzwiller...                                    Je montais, avec son casse-croûte, des                                    provisions pour les prisonniers. Je me suis                                    liée d’amitié avec un groupe de                                    Luxembourgeois qui étaient “prisonniers                                    d’honneur” et avaient le droit de circuler                                    entre les deux “enceintes” - celle                                    qui gardait la route au-dessous de l’auberge                                    (et que je traversais) et celle qui enfermait                                    le camp. Sur leur demande, je suis allée                                    dans leur village du Luxembourg, par les trains,                                    en changeant à Strasbourg et à                                    Metz et en prenant des billets de petite distance                                    pour ne pas qu’on me repère. Je portais                                    dans mon corsage des lettres et des dessins.                                    Dans le train, au Luxembourg, je parlais allemand                                    : les gens m’ont traitée de “boche”,                                    j’ai essayé le français, mais                                    personne ne me comprenait. Je suis arrivée                                    à la première adresse, il faisait                                    nuit noire, et je ne pouvais pas lire l’adresse,                                    quelqu’un m’a éclairée avec une                                    lampe de poche et m’a conduite à l’adresse                                    indiquée. J’ai sonné, on m’a ouvert                                    avec méfiance. Quand j’ai dit que je                                    venais de la part de leur fils, les visages                                    se sont fermés et on m’a dit qu’il était                                    mort. Je me suis mise à pleurer et j’ai                                    sorti de mon corsage les lettres et les dessins.                                    Ils m’ont embrassée, on est allé                                    chercher les autres familles, j’ai appris que                                    les garçons faisaient partie du même                                    mouvement de Résistance, et que leurs                                    familles n’avaient plus de nouvelles depuis                                    leur arrestation. Ils m’avaient prise d’abord                                    pour une provocatrice. Maintenant ils me présentaient                                    comme une parente, pour que les occupants ne                                    me remarquent pas, je suis même allée                                    à un mariage. Puis je suis vite rentrée,                                    pour que mes parents ne s’inquiètent                                    pas.
  [1]                                    Ceux du camp, actuellement détruits.
  Ces Luxembourgeois, au moment de la Libération,                                    dormaient dans des châlits sur les couvercles                                    refermés, des cuves, dont eux disent                                    qu’à leur connaissance elles n’ont jamais                                    servi. L’un des Luxembourgeois est resté                                    un ami [2].
  [2]                                    Madame Fluck a rappelé au téléphone                                    le lendemain, pour préciser que l’ami                                    luxembourgeois serait tout disposé à                                    répondre à une intervieew. Elle                                    ajoutait : « Témoignez- le bien.
  « Un après-midi, mon père                                    a appris qu’il se préparait “quelque                                    chose”. Il remarquait beaucoup d’allées                                    et venues. Il décida de rester dans l’écurie                                    d’où, en montant sur un tabouret, il                                    pouvait voir, par une petite fenêtre élevée,                                    ce qui se passait devant l’auberge et devant                                    l’Annexe de l’Auberge.
  « Il vit arriver un camion, que les soldats                                    allemands appelaient la “Mina”.                                    Du camion ont sauté des femmes, devant                                    1’annexe. L’une d’elles s’est précipitée                                    sur l’officier qui contrôlait, elle criait,                                    mais mon père n’a pas entendu les paroles,                                    et l’officier l’a abattue d’un coup de revolver.                                    Les autres ont été poussées                                    dans l’annexe. Mon père était                                    saisi d’horreur et continuait à attendre.                                    Au bout d’un certain temps, il a vu qu’on sortait                                    les cadavres et qu’on en remplissait le camion. 
  « Mon père connaissait le chauffeur,                                    je vous en parlerai ensuite. 
  « Il est resté dans l’écurie                                    jusqu’à la nuit, comprenant que s’il                                    était soupçonné d’avoir                                    vu tout cela. il serait aussi abattu. Il a attendu                                    la nuit noire et il est sorti avec précaution,                                    par les côtés, pour ne pas être                                    remarqué. II est rentré très                                    tard, ma mère et moi nous étions                                    très inquiètes. Il a éclaté                                    en larmes et nous a tout raconté. 
  « Quand mon père a reçu                                    une convocation au procès des SS à                                    Metz, après la Libération, je                                    répondis pour lui qu’il ne pouvait y                                    aller, à cause de la récolte.                                    Nous étions en train de faire les foins,                                    lorsque les gendarmes sont venu le chercher                                    en voiture, puis en train, jusqu’à Metz,                                    la Justice n’acceptant pas cette excuse pour                                    ne pas témoigner. Quand il est entré                                    dans la salle, il y eu un brouhaha qui l’a d’abord                                    effrayé, mais qui venait des déportés                                    présents dans la salle, qui 1e reconnaissaient,                                    et qui étaient heureux de le voir venir.                                    Lorsqu’il vit comparaître le conducteur                                    de la “Mina” qui disait ne rien                                    savoir, mon père l’a interpellé                                    en lui disant : “Pourquoi ne dis-tu pas                                    ce que tu m’as dit toi-même avoir vu,                                    quand tu conduisais les cadavres à Strasbourg                                    à l’Institut médico-légal                                    ?” Il a alors reconnu ce fait. 
  « Après la Libération, mon                                    père était amer, parce que les                                    FFI sont venus perquisitionner chez nous et                                    ils ont piqué dans le foin, où                                    ils ont trouvé ce qui lui avait été                                    confié par des déportés                                    pour être remis à leurs familles                                    : surtout les Carnets du Général                                    Frère, et des croquis, des dessins, des                                    objets en bois sculpté. Ces objets et                                    carnets ont été donnés                                    au musée, sans qu’on indique qu’ils avaient                                    été sauvés par mon père.
  Natzwiller, le 5                                    septembre 1986
      1318
  Témoignage de                                  ***** 
  Secrétaire de la Mairie de Natzwiller
   Le                                    12 septembre 1940 est venue de Molsheim une                                    commission des troupes d’occupation. Avec a                                    sa tête le Kommissar (1’équivalent                                    d’un Sous-Préfet). Ils sont allés                                    voir la carrière de granit, ils nous                                    ont dit : “Demain on viendra vous chercher.”                                    C’était un SS en civil. 
    On est venu nous chercher à 10 heures                                    le matin et on est rentrés à la                                    nuit. Le Maire m’avait dit : “Tu viens                                    avec moi pour que je ne sois pas tout seul.”                                    Ils voulaient que le Maire vende le terrain                                    de la carrière, tout de suite. Le Maire                                    a refusé. Et ils ont trouvé la                                    solution : louer d’abord, et acheter ensuite.                                    Déjà, avant 1914, les Allemands                                    savaient qu’il y avait 1à du granit. 
    Le 23 septembre, ils ont commencé à                                    faire des recherches dans la carrière                                    de granit. Devant 1’“Auberge du Struthof”,                                    1e bâtiment de la future chambre à                                    gaz a été construit quand j’avais                                    dix ou douze ans (vers 1912-1914). II y avait                                    1à une piste de luge d’un km de long.                                    L’Auberge a fait construire cette salle pour                                    le casse-croûte des lugeurs. Après                                    la Première Guerre, mais 1e dimanche                                    seulement, la jeunesse y faisait 1a fête.                                    Là ils ont construit ta chambre à                                    gaz, à l’intérieur. 
    Le carrelage a dû être mis en même                                    temps. Mais au début les morts du camp                                    étaient transportés au crématoire                                    de Strasbourg, par camionnette [1]. 
[1]                                    Déportés politiques allemands,                                    des marins de Kiel. La date probable semble                                    être le 19 mais 1941.
  Les premiers déportés sont arrivés                                    1e samedi de Pentecôte 1941. Le lundi                                    déjà ils sont venus me chercher                                    pour constater un décès. 
    Un jour il y eut une réunion à                                    Rothau. Et on nous a emmenés là-haut                                    : c’était 1e SS Blumberg. Quand on est                                    arrivés 1à-haut, il y avait déjà                                    deux baraques construites, dans 1e camp. J’ai                                    vu des tables où des dessinateurs, des                                    “intellectuels” - des déportés                                    - dessinaient des plans. 
    C’était 1e 18 mars 1942 : ils nous emmenaient                                    1à, 1e Maire, les ingénieurs du                                    Génie Rural, des Ponts et Chaussées,                                    des Eaux et Forêts, et moi-même                                    comme Secrétaire de Mairie, parce qu’ils                                    voulaient montrer 1e tracé de la nouvelle                                    route aux Ponts et Chaussées.
    Il était interdit de passer par la petite                                    route qui va vers l’Auberge. Là, 1e gérant,                                    Kiefer, avait dû partir, dès le                                    1er mars 1941. Mais le fermier, dans la ferme                                    d’à côté, avait refusé                                    de partir, Ernest Idoux. Il a témoigné,                                    plus tard. Le voiturier, Steiner, a témoigné                                    aussi.
    Chez moi, en bas, à Natzwiller, notre                                    maison était encore une auberge-restaurant.                                    En août 1943 un des officiers SS, Mochner,                                    est venu nous dire qu’il voulait que sa femme                                    vienne passer huit jours de vacances chez nous                                    avec ses deux enfants. Elle est donc restée                                    ici, du 10 au 20 août 1943. 
    Un matin 1e SS Wochner est arrivé en                                    uniforme. D’habitude il ne venait chez nous                                    qu’en vêtements civils. Mais il n’était                                    pas rentré la veille au soir, 11 août,                                    il était resté “là-haut”.                                    Il est venu parler un instant à sa femme. 
    Quand il est reparti, cette femme a dit en pleurant                                    à ma femme : “Ils ont passé                                    des femmes dans une Gaz Kammer.” 
    Cela se passait dans la pièce où                                    nous sommes, en ce moment. C’était la                                    salle à manger.
    M. Ernest Idoux a entendu crier les femmes,                                    1e 11 août au soir. Leopold Steiner, 1e                                    voiturier, s’était caché dans                                    la baraque du cheval : entre les planches il                                    a pu voir, caché dans 1e foin : les femmes                                    [dix-huit ?] ont été déchargées                                    du camion. La première s’est agrippée                                    à Kramer et a été abattue. 
    Magnus Wochner était Inspecteur de Police                                    à Stuttgart. Il a été arrêté                                    à Rothweiler, et condamné à                                    dix ans de prison [par les tribunaux anglais].                                    Il a été emprisonné à                                    Metz, à Strasbourg, et àWerl. 
    Le Maire était également là-haut,                                    quand ils ont fusillé les jeunes Alsaciens                                    incorporés de force, qu’ils ont descendus                                    sur un Schlitt jusqu’au crématoire d’en                                    haut. C’étaient des “Malgré-nous”                                    qui avaient été pris au Ballerdorf                                    près d’Altkirch, dans le Sundgau, le                                    “Haut-Rhin”. Un homme de Bernardswiller,                                    qui devait livrer du vin là-haut, avait                                    demandé au Maire de 1’accompagner.
  Témoignage du 30 août                                    1982, 
confirmé le 2 novembre 1982
  ø 
  
  TÉMOIGNAGES                                    COMPLÉMENTAIRES
  Témoignage                                  de Magnus Wocher
  
    “I                                      mention also in particular the executions                                      of about 90 prisoners (60 men and 30 women)                                      of Jewrsh race which according to my memory                                      took place in the Spring of 1944, by gaz.                                      In this case the corpse were sent to Professor                                      HIRT at the Anatomy (by) Strassbourg [sic]                                      and placed at his disposal.”
     (Signed : Magnus Wochner)
     Sworn before me, Major B.A. Barkwoth,                                      detailed by C. In. C British Army of the Rhine                                      at Geggenau, Germany on 21st April I946.
      _____________________________________________________________
    “Ich erwähne auch im Besonderen                                      die Hinrichtungen von ungefähr 90 Gefangenen                                      (60 Männer und 30 Frauen) jüdischer                                      Rasse, die, soweit ich mich entsinnen kann,                                      im Frühjahr 1944 durch « GAS »                                      stattfand. In diesem Falle wurden die Leichen                                      zu Professor HIRT in die Anatomy nach Strassburg                                      geschickt und ihm zur Verfügung gestellt.”
    [Notons au passage les                                      défaillances de mémoire de Magnus                                      Wochner, quant aux dates : elles attestent                                      1’indépendance de son récit.]
      _____________________________________________________
    
    La                                      consigne du silence absolu : déposition                                      Wochner
    “[...] I was forbidden to start                                      any files on these prisoners or to register                                      or to report their death.”
    _________________________________________________________________________
     “[...] Da es mir verboten war,                                      Akten von diesen Gefangenen anzulegen oder                                      ihren Tod zu registrieren oder zu melden.”
    Documents communiqués                                      par la ZENTRALE STELLE DER LANDESJUSTIZ VERWALTUNGEN,                                      Ludwigsburg 714, par les soins de Willi Dresden                                      (Militär-gerichtsprozess JAG 241 gegen                                      Wochner.)
    ø    
    La                                  déposition de JOSEF KRAMER faite à                                  Luneburg
      [en zone d’occupation britannique] 
      le                                  6 décembre 1945 en présence du capitaine                                  Paul André
    Au                                    milieu de 1943, je reçus de Berlin, un                                    ordre, par écrit, d’exécuter les                                    gens qui avaient été envoyés                                    d’Auschwitz, et de livrer les restes à                                    l’Institut Anatomique de l’Hôpital municipal                                    de Strabburg. 
    Quant au mode d’exécution, j’ai été,                                    selon l’ordre par écrit, obligé                                    de me mettre en rapport avec le professeur d’anatomie                                    Hirt. Je me rendis donc auprès de ce                                    professeur et lui faisais part des ordres que                                    j’avais reçus. Hirt me donna le conseil                                    d’exécuter les gens par les gaz. Je lui                                    répondis que, dans le camp, il n’y avait                                    pas encore de chambres à gaz. [Mauvaise                                    traduction. En fait Kramer dit : “Je                                    répondis que dans le camp il n’y avait                                    ni chambre à gaz, ni gaz.”] 
    Hirt me donna alors une bouteille de verre fermée                                    avec de la cire [donc au contenu                                    hydrophile]. Dedans il y avait un produit                                    se constituant de petits corps blancs, semblables                                    à de la soude. Hirt me déclara                                    que, en y ajoutant de l’eau, j’obtiendrais un                                    gaz toxique. Il me donnait aussi une indication                                    exacte de la dose. Je lui disais que j’avais                                    à ma disposition le directeur des constructions  [Bauleiter] Untersturmführer Heider qui m’avait été                                    envoyé d’Oranienburg.
    Je faisais alors construire [en réalité,                                    simplement aménager] la chambre à                                    gaz par les détenus. 
  À quelque temps de là, arriva                                    un premier transport de 26 [ou plutôt                                    de 30] femmes âgées de 20 à                                    50 ans. Elles demeurèrent 8 jours au                                    camp. Pendant ce temps, elles ne furent pas                                    maltraitées et pas mieux nourries que                                    les autres détenus. Je n’avais, quant                                    à ces personnes, pas d instructions spéciales.                                    Après 8 jours d’attente, au milieu d’août                                    1943 [semaine du 7 au I4], je faisais conduire                                    ces femmes, à 9 heures du soir, à                                    la chambre à gaz. Dans l’antichambre,                                    elles furent déshabillées.
    Je plaçais alors une poignée de                                    produits dans le trou aménagé                                    dans le plancher [où se trouvait un petit                                    bac en porcelaine]. Je faisais entrer les femmes                                    dans la chambre à gaz et fermais la porte.                                    Alors, les femmes commencèrent à                                    pleurer et à crier. De dehors, je versais                                    de l’eau dans l’entonnoir préparé.                                    Cette eau coula par un tuyau muni d’une fermeture                                    dans le trou où se trouvaient les petits                                    grains. Après une demi-minute, les cris                                    cessèrent dans la chambre. Je                                    déclare que je n’ai pas, par la fenêtre,                                    observé la mort. J’étais                                    seulement aux écoutes.                                    Comme il n’y avait plus rien à entendre                                    et que plus rien ne se mouvait, j’ai mis le                                    ventilateur en marche. Pendant ce temps, je                                    me trouvais à l’extérieur et je                                    n’ai ni respiré ni senti le gaz. Après                                    un quart d’heure. j’ai ouvert la porte. Il semblait                                    que la mort s’était déroulée                                    d’une façon normale. Seulement 3 ou 4                                    n’avaient pu tenir leurs selles. Il était                                    à peu près 9 heures 30. 
    Le matin suivant, à 5 h 30, je faisais                                    conduire les corps à Strabburg                                    dans un camion revêtu d’une bâche.                                    Cette façon était choisie afin                                    que personne ne puisse être tenu au courant                                    de ce qui s’était passé. Car j’étais                                    contraint au secret le plus strict. Je nie avoir                                    abattu qui que ce soit, prisonniers ou détenus.                                    À cette exécution, ont assisté                                    4 SS dont je connais le nom d’un seul, celui                                    du Lagerführer Zeus [Wolfgang Seuss]. Le                                    Stabscharführer Hans Jung n’y assistait                                    pas. Je nie avoir tenu un discours. Hirt n’était                                    pas présent. Il vint en tout 2 ou 3 fois                                    au Struthof, en visite personnelle, sans rapport                                    avec l’exécution. 
  À quelques temps de là, un deuxième                                    transport arriva au Struthof, venant d’Auschwitz,                                    composé seulement d’hommes. Huit jours                                    après, ils étaient exécutés                                    de la même façon. Deux ou trois                                    semaines après, les 30 hommes d’un transport                                    qui demeurèrent dix jours au camp furent                                    également asphyxiés.
 
  [Josef Kramer attribue à                                    tort un intervalle de temps entre les “passages”                                    - arrivée, séjour au camp et gazage                                    confondus - des convois alors que, même                                    si leurs arrivées furent probablement                                    échelonnées ainsi que leurs gazages,                                    les futures victimes étaient toutes rassemblées                                    au Struthof au début de la semaine du                                    7 au 14 août 1943. Cinquante-sept hommes                                    furent tués dans celle du 14 au 21]. 
  Je nie, qu’après l’exécution,                                    les SS aient bu. C’était toujours les                                    mêmes SS qui assistaient aux exécutions.                                    Le professeur me nomma le gaz ; j’ai oublié                                    son nom. Mais je pourrais reconnaître                                    les grains si on me les présentait.
    Le professeur Hirt vint seulement deux ou trois                                    fois dans le camp. Il ne demeurait jamais plus                                    longtemps qu’une heure. Je connaissais les médecins                                    du camp. Je ne sais pas s’il [Hirt] était                                    en correspondance avec eux.
    ...
    Les 86 corps qui ont été fournis                                    à l’hôpital municipal de Strabburg                                    étaient tous juifs. Je pouvais constater                                    ce fait selon une liste nominative qu’il s’agissait                                    d’habitants du Sud-Est de l’Europe.
  [La traduction trop littérale                                  de ce texte le rend gauche et pesant.]
  [Documents 157                                    pour le texte allemand, et 158 pour celui en                                    français présenté ci-dessus. 
      II existe une copie du 158 dans le document                                    1806 V 2 bis]
  ø
    Témoignage du                                  Dr Adélaïde HAUTVAL
  
  Le                                    Docteur A. HAUTVAL, détenue à                                    Auschwitz depuis le 24 janvier 1943, avait été                                    envoyée au Block 10, où le médecin                                    SS CLAUBERG voulait l’obliger à l’aider                                    pour ses expériences de stérilisation                                    sur de jeunes juives.
    Voici ce qu’elle a noté, parmi ses souvenirs                                    de captivité, en 45/46, concernant le                                    cas des femmes du Block 10, transférées                                    au Struthof. Voici cet extrait :
  
  “En mai/juin 43 surgit un nouveau protagoniste                                    des théories raciales. Il fit le choix                                    de son matériel en faisant défiler                                    des femmes nues, de tout âge : il voulait                                    faire de l’anthropométrie, mais il voulait                                    surtout - pensions-nous - se mettre à                                    l’abri du front, sous couvert de recherches                                    scientifiques d’importance primordiale pour                                    l’avenir du Reich. Il fit prendre à l’infini                                    les mesures de toutes les parties du corps.                                    On nota toutes les particularités. 
    Un jour on leur fit savoir qu’elles avaient                                    une chance extraordinaire d’avoir été                                    choisies, qu’elles quitteraient Auschwitz pour                                    aller dans un excellent camp quelque part en                                    Allemagne. Elles le crurent, trop heureuses                                    de quitter cet enfer et la perspective constante                                    des fours crématoires. C’est avec joie                                    qu’elles nous firent leurs adieux. Personne                                    n’eut le courage de les détromper - à                                    quoi bon ? -, d’autant plus que personne ne                                    savait quelque chose de précis. Mais                                    notre conviction était faite : bientôt,                                    dans un musée du Grand Reich, elles allaient                                    servir de témoins empaillés d’une                                    race indigne de vivre, anéantie grâce                                    aux mesures judicieuses prises par le national-socialisme.                                    Nous n’entendîmes plus jamais parler d’elles.”
  
    [Ces femmes étaient environ                                    une vingtaine, disons entre 10 et 20.]