Lettre 
                                    à Flo
                                     
                                    Des 
                                    commémorations et du mot “détail”...
                                    Paris, 
                                    le 1er mai 2008
                                    Chère Flo,   en 
                                      ce jour de commémorations, je te 
                                      souhaite un ciel bleu au dessus des cimes 
                                      de tes vacances. Et pour ton retour, voici, 
                                      non pas un brin de muguet, mais juste quelques 
                                      petites réflexions du matin. J'ai 
                                      été de nouveau assez surprise 
                                      de trouver dans plusieurs annonces officielles 
                                      pour les commémorations du Jour de 
                                      la Shoah, avec lecture des Noms des déportés 
                                      vers Birkenau dans les convois successifs, 
                                      que l'on attribuait à Madame Veil 
                                      cette formule pour qualifier les disparus 
                                      : “ceux dont il ne reste que les Noms”. Il 
                                      me semblait que cette douloureuse épitaphe 
                                      revenait, du moins à ma connaissance, 
                                      à Vladimir Jankelevitch. C'est pourquoi 
                                      je l'avais mise, il y a bien longtemps, 
                                      en exergue d'un texte : 
                                    
                                      Nous 
                                        avions beau savoir...  
                                         
                                        Vidal-Séphira 
                                            a écrit des pages bouleversantes 
                                            sur ce “Nacht und Nebel” (Nuit 
                                            et brouillard) bien nazi où la métaphysique 
                                            du calembour et son éminent représentant 
                                            Heidegger pouvaient retrouver les initiales 
                                            du “Nomen nescio” (Je ne sais 
                                            pas le nom) et en fin de compte l'initiale 
                                            du Néant lui-même. La férocité 
                                        exterminatrice ne perd jamais contact avec 
                                        le pédantisme ! (...) Le Mémorial 
                                            de Serge Klarsfeld fait sortir de la nuit 
                                            et de la nuée, en les appelant par 
                                            leur nom, les innombrables fantômes 
                                            anonymes annihilés par leurs bourreaux. 
                                            Nommer ces ombres pâles, c'est déjà 
                                        les convoquer à la lumière 
                                        du jour. 
                                       
                                        Vladimir Jankélévitch 
                                        Le Nouvel Observateur • Mai 1978  
                                      In M. Weinstein, « Travaux 1967 / 1997 » ISBN 2-9512542-3-7 
                                      ø 
                                    Maintenant, pour ce qui 
                                      est des levées de boucliers qui ont 
                                      tout récemment agité les intelligentsias 
                                      et les médias - cela se produit de 
                                      manière récurrente -, à 
                                      propos du mot “détail”, 
                                      ressorti par Le Pen, qui qualifie ainsi 
                                      ce qui serait selon lui un avatar de l'Histoire 
                                      de la Seconde Guerre Mondiale, précisément 
                                      les chambres à gaz, j'ai failli intituler 
                                      ma lettre « Pour en finir avec le 
                                      mot “détail” ». Car 
                                      Le Pen réussit son coup à 
                                      chaque fois. Et à l'inverse de ce 
                                      que j'entends, si sa personne a été 
                                      affaiblie, je ne pense pas qu'il en soit 
                                      de même pour l'idéologie qu'il 
                                      a durablement véhiculée.  Les 
                                      institutions, les personnalités se 
                                      sentant concernées, les médias, 
                                      en s'élevant horrifiquement contre 
                                      les provocations conscientes, réitérées 
                                      de Le Pen, continuent depuis un bon quart 
                                      de siècle de dérouler encore 
                                      plus avant un tapis rouge au négationnisme, 
                                      en lui faisant une “pub” d'enfer. 
                                      De nombreux psychanalystes emboîtent 
                                      le pas... Cela a pour effet d'attiser l'antisémitisme 
                                      ainsi que les revendications concurrentielles 
                                      entre ce que l'on appelle généralement 
                                      les “minorités”.  Car 
                                      ce qui est dangereux, ce n'est pas la liberté 
                                      de Le Pen de dire ce qu'il pense, ce n'est 
                                      pas, me semble-t-il, qui est 
                                      accroché par ce mot/slogan répétitif, 
                                      c'est ce à quoi 
                                      il s'adresse. Ce que vise Le Pen, ce sont 
                                      les plus basses pulsions humaines, brutales, 
                                      sauvagement primitives. Et ça 
                                      fait mouche. Si nous prenons comme exemple 
                                      le “détail” en psychanalyse, 
                                      particulièrement dans 
                                      « L'Analyse du rêve », 
                                      nous nous apercevons que l'analysant/e, 
                                      pour peu qu'il soit encore béotien, 
                                      c'est-à-dire pas encore attentif 
                                      à l'existence de l'inconscient et 
                                      à sa prise en compte, espère, 
                                      par ses rêves, trouver une clef globale 
                                      des songes, autrement dit une interprétation 
                                      toute faite, prête à servir 
                                      et ainsi à dénouer son angoisse. 
                                      Il ne pense donc pas à s'attarder, 
                                      dans le récit de son rêve, 
                                      sur un “détail”, qui 
                                      apparaîtrait comme futile, négligeable. 
                                      Or l'analyste - souvent à la grande 
                                      contrariété de l'analysant/e, 
                                      qui ressent alors son récit bien 
                                      vêtu, bien tourné, comme étant 
                                      d'un coup désossé -, prend 
                                      soin, lui, de relever chaque infime “détail” 
                                      du rêve, car un “détail” 
                                      dans un rêve en est le plus 
                                      important facteur de métaphore 
                                      - cf. exemples in Freud 
                                      • « Die Traumdeutung ». 
                                       Si bien que sur ce modèle, 
                                      dans l'entité 2e Guerre Mondiale, 
                                      ce que l'on pourrait en retenir de 
                                      plus important serait l'existence 
                                      des chambres à gaz, le “détail 
                                      de l'Histoire”. Bonne rentrée 
                                      sur Paris ! W. 
                                     |