Psychanalyse et idéologie

Micheline Weinstein • De la militance de la mémoire

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

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ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Micheline Weinstein / 2016

 

Journal de bord...

De la militance de la mémoire...

 

Il me faut, sans cesse, réexpliquer et redécomposer l’intitulé de notre association ; Psi ou ψ, signifie Ps ychanalyse et i déologie, et le NON, de ψ [Psi] • LE TEMPS DU NON s’adresse à l’ignorance délibérée, qui, à propos d’idéologie, pourrirait n’importe quelle vision du monde.
Dans le fond, l’ignorance délibérée, c’est l’expression contraire à celle de l’immigration choisie. Cette dernière expression se divise en deux mots, d’abord l’immigration, qui est impossible à couper des préoccupations politiques de tous les temps, puisque cette question de l’immigration sert à faire la guerre et non la paix, en ce qu’elle est sous-tendue par la xénophobie inhérente à la psyché humaine ; ensuite vient le verbe choisir, qui est le choix d’un beau verbe, celui qui accompagne l’amour, l’amitié, la responsabilité devant ses propres choix, le libre-arbitre.
Enfin, me semble-t-il...
Pour ce qui est du journal de bord, j’ai lu dans un hebdomadaire les regrets très récents d’un ancien avocat, postulant malheureux à la candidature présidentielle avant les investitures des partis :

 

“Aujourd’hui, le fond n’a plus d’importance. Ce qui compte, ce n’est pas ce que l’on dit, mais la façon dont on le dit.”

En troisième, au Lycée de Montgeron autrefois, le professeur de français nous enseignait que,

“ce qui ce conçoit bien, s’énonce clairement.”

À mon journal de bord, je dirais aussi que, ce qui me gêne dans la République Française, c’est uniquement le coq gaulois. Quel emblême !
J’ai lu avec beaucoup de peine, dans le Bulletin des FFDJF, qu’une plaque commémorative avait été apposée devant l’école du 7, rue Asseline • Paris XIVe.
J’ai vécu et travaillé pendant 27 ans au 2 de la rue Asseline - Maria Casarès habitait à l’autre bout. En face de cette école. J’ai vécu et travaillé, pendant 27 ans aux tintinnabulements des entrées et sorties de classes primaires, des récréations...
J’ai été expulsée de l’appartement où je vivais et travaillais depuis 27 ans, et du XIVe, où pas mal de monde a transité, pour une raison qui est explicitée et qui figure sur le site de notre association, sous le titre, en anglais, de “A French Antisemitism”. Dans ce texte, on lira qu’un individu, dont je connaissais le passé, est allé jusqu’à me demander de lui fournir une étoile jaune, “mais une vraie”, a-t-il insisté.
J’ai lu l’information qui m’a fait beaucoup de peine, dans le Bulletin précité, car je n’ai pas été invitée à la pose de cette plaque, par les FFDJF où je cotise depuis je ne sais plus combien d’années. Les FFDJF, toutes les institutions et personnes de référence dans le domaine de la déportation et de la psychanalyse, ont été tenus au courant, pratiquement jour après jour, pendant trois ans, de cette expulsion. De ces côtés-là, la solidarité n’a pas fonctionné.
Ne pouvant être propriétaire de mon vivant, et étant virée du XIVe, sans aucune contrepartie, j’avais demandé à la Mairie actuelle de Paris de me consentir un petit appartement pas trop cher dans un arrondissement limitrophe, puisqu’on ne voulait pas de moi dans celui-là, et ce, pour ne pas perdre parmi ma patientèle, car personnellement je peux vivre dans bien des endroits différents.
La Mairie actuelle de Paris me l’a refusé.
N’obtenant pas de lieu où vivre et travailler de mon vivant, j’ai demandé à la Mairie actuelle de Paris, de me consentir une petite concession au Cimetière Montparnasse, où j’ai toujours vécu et travaillé et où je vis et travaille encore, histoire d’être propriétaire post-mortem.
Elle m’a été refusée, année après année, par écrit.
Je dis à qui veut l’entendre, mais il n’y a pas grand’monde, depuis un demi-siècle, que je n’ai besoin de rien dans la vie, sauf d’argent ; la psyché, les sentiments, les pulsions et tout ce qui s’ensuit, je m’en occupe, là j’ai besoin de le faire, au moins pour assurer du mieux que je le peux, dans mon travail. Matériellement, je n’ai rien derrière, rien devant, rien latéralement, que mes honoraires professionnels qui s’amenuisent avec le temps, dont une grand part passe dans le maintien en vie de l’association, laquelle se veut « Témoin de son temps ». En miroir, un avantage, je n’ai jamais rien eu à perdre, c’était déjà fait.
Si bien qu’il m’est passé par l’esprit qu’en apposant cette plaque commémorative de la déportation des enfants juifs, n’ayant plus pensé à m’y inviter, la Mairie actuelle de Paris, et celle du XIVe, sont sans doute aujourd’hui satisfaites d’avoir rempli leurs tâches municipales de “Devoir de mémoire”, grâce à la “Militance de la Mémoire”.
Mais enfin, j’ai tout de même tenu à rappeler, dans mon dernier texte, le nom de Sara Halperyn, les femmes sont souvent oubliées par la “Militance de la Mémoire”. Toutes les cérémonies commémoratives, les sons et lumières, les installations de stèles, n’y feront rien, la transmission, les témoins, n’en meurent pas pour autant, on se passe le relais de cette histoire, de génération en génération, et non pas de la mémoire qui, comme il en est de la vie personnelle, est l’affaire privée de l’être humain parlant.
Pour en revenir au journal de bord, j’ai par hasard entendu une émission sur la polémique qui agite le monde psychanalytique, au moment où paraît une biographie de Françoise Dolto, pour laquelle l’auteur, telle une gamine qui a quelque chose à dire à sa mère, a probablement, comme le font les jeunes générations, grappillé l’essentiel de ses infos sur Internet. Il y a aussi d’anciennes générations qui le font.
Il semblerait que les ayant-droits de Françoise Dolto et que l’importante maison d’édition chargée de la publication de son œuvre, se soient émus très fortement de cet enfantillage. Il y a des sommes d’argent considérables en jeu dans ces affaires-là. Et des guerres de pouvoir, féroces.
Françoise Dolto ayant accompagné ma vie personnelle et professionnelle pendant 45 ans, comme on sait maintenant, j’ai donc écrit à Catherine Dolto la lettre suivante :

Micheline Weinstein
à
Catherine Dolto

Paris, le 23 mars 2007

Chère Catherine Dolto,

en écoutant, tout à fait par hasard une émission portant sur la polémique à propos de la sortie du livre de Danièle Lumbroso - que je n’ai pas encore lu -, j’ai appris que Gallimard projetait, sous votre autorité, une biographie de Françoise Dolto, à paraître l’an prochain.
Je suis toujours un peu peinée que les documents en ma possession, cassettes, dédicaces, lettres personnelles, ne soient jamais évoqués ni, notamment, le travail de F. D. auprès des enfants de déportés après-guerre, pour l’OSE.
Personnellement, je ne me suis jamais mise en avant, au nom de F. D. - ni d’une autre personnalité -, je me suis contentée, et continue, de témoigner, par mon travail, de la qualité du sien et de la reconnaissante infinie que je lui porte. Je n’ai jamais non plus fait de l’ombre à qui que ce soit mais... mon seul “tort” fut de ne pas adhérer à un groupe, un clan, une secte ou quelqu’autre officine psychanalytique. Non, il y a un deuxième “tort” : je n’ai jamais cédé sur ma position à l’égard de Lacan, ce qui m’a valu et me vaut encore d’être mise au ban par les “milieux” analytiques, et de recevoir pas mal d’injures habillées en diagnostics assez écœurants. En témoigne d’ailleurs le texte sur “Le miroir”, que F. D. avait écrit sur ma demande en 1983, qui est fondamental pour la théorie analytique française, auquel, jusqu’à présent, aucun analyste lacanien où émanant d’une formation lacanienne, n’a souhaité s’intéresser.
Lors de l’inauguration de l’exposition au Musée de la Poste, à l’occasion de la sortie, par Gallimard, du deuxième tome de la correspondance de F. D., c’est sur ma proposition que la Revue de la Fondation vous a demandé une petite interview, en même temps qu’à MDV et à S. V. (N° 63 de « Florilettres », du 29 septembre 2005).
L’année précédente, j’avais fourni à MDV un certain nombre de documents et témoignages, notamment sur le travail de F. D. auprès d’enfants dits “autistes” qu’elle adressait en séjour à Fernand Deligny dans les Cévennes, jusqu’à l’incendie, en avril 1974, qui a provoqué la mort de deux gamins dont nous nous occupions, justement ces deux-là.
L’analyste qui m’avait adressée à F. D. au sortir de la guerre, et qui était alors en contrôle chez elle est, aujourd’hui encore, bien vivante dans ce monde. D’autres, telle S. F., à qui F. D. m’avait adressée très jeune pour mon analyse personnelle, ne sont plus. D’autres encore, mes contemporains, connaissent parfaitement mon parcours analytique et l’amitié dont F. D. m’offrait le privilège, pendant presque 45 ans, jusqu’à ce qu’elle nous quitte. Amitié qui m’a valu, de la part de mes collègues, bien des jalousies, d’ordre tout à fait infantile. Seulement, émanant d’adultes, elles sont féroces et consternantes.
J’ai pris soin, chaque fois que j’ai mentionné F. D. dans l’un ou l’autre de mes textes, de vous le faire savoir par courrier ou plus récemment par mail. De même que je vous ai communiqué copie de la cassette de la préface, par F. D., d’« Histoire de Louise », accompagnée de son dessin, et celle de notre échange de lettres au sujet du miroir... sans qu’il me soit jamais retourné, de votre part, un simple accusé de réception.
Las ! En conclusion, ce dont je souhaite témoigner et qui concerne ma pratique analytique, c’est que la présence de F. D. a produit sur mon inconscient ceci que pour beaucoup, les analysantes et les analysants passés par ici ont conçu, chacun/e, un ou plusieurs bébés : 39 à ce jour, un 40e est en route.
Cela, seul, importe.
Bien cordialement,

m. w.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. Entre temps, je retraduis pour me distraire un texte de Freud, qui n’a pas vieilli d’un jour, au sujet de l’état de la psychanalyse.

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2016