Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein

Lettre ouverte à Denis Olivennes

1 • Pétain

2 • Marilyn Monroe

Ø

Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett • “The Unspeaable one”

Underlined in « Jargon of the Authenticity » by T. W. Adorno • 1964

Ø

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point
ψ = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

ø

© Micheline Weinstein  / 11 octobre 2010

Lettre ouverte à Denis Olivennes

1 • Pétain
2 • Marilyn Monroe

Si haut que l’on soit placé, l’on est toujours assis que sur son cul.

Montaigne

Avec un grand merci à Hélène et Michel

1

Pétain

Cher Denis,

C’est à ta grand-mère paternelle que je songeais en suivant l’émission diffusée le 05 octobre 2010, par C dans l’air, intitulée « Pétain, une ambiguïté française ».

Il y a très longtemps, tu étais encore adolescent, lorsqu’un soir je fus invitée à dîner chez ta mère, en présence d’autres personnes, mais surtout de ta grand-mère paternelle. Je ne me souviens plus si, de l’un de tes frères ou toi, lequel voulait faire HEC, afin de gagner beaucoup d’argent. En fait la suite nous montre que devenir riche n’était qu’un moyen accessoire, tu l’étais déjà. Par contre, devenu très très riche t’a permis d’acquérir une puissance commerciale considérable, à condition cependant qu’elle fut d’un commerce raffiné, culturel, de prospérité éditoriale, sans toutefois aller jusqu’à accéder au standing du mécénat.

Je me serais ennuyée ferme, comme toujours dans les dîners snobs que je n’aime pas beaucoup fréquenter, quelle que soit leur position sur la rose des vents si, toute la soirée et en aparté, je n’avais écouté, avec une attention émue, - comment en aurait-il pu être autrement ? -, le récit de la fuite, à pieds, hors de l’Allemagne nazie, de ta grand-mère paternelle, seule, ses deux enfants, ton père et ton oncle, et deux valises, à bout de bras. Ta grand-mère paternelle parlait un haut-allemand tant magnifique que le soldat contrôleur nazi les laissa monter dans le train qui franchissait la frontière avec la France, ce qui lui valut de sauver une première fois ses enfants, ton oncle et ton père. Un peu plus tard, en France, il fallut qu’elle recommence.

Il y a deux ans, au Printemps des Poètes, place St Sulpice, l’éditeur Rüdiger, traducteur bilingue français/allemand et ami de ton père, avec lequel j’ai parlé une partie de l’après-midi, veillait sur le dernier exemplaire du recueil de poèmes d’Armand Olivennes, « Adam et Adam ensemble exilÉs / Adam und Adam zusammen verbannt ». J’ai demandé à Rüdiger de ne pas s’en séparer d’ici à ce que je te passe le message, ce que j’ai fait aussitôt par e-mail. Je n’ai jamais reçu de réponse et ignore si quelqu’un s’est déplacé pour l’acquérir.

À l’écoute de tes interventions dans C dans l’air, en forme de platitudes affirmées, non vérifiées, contradictoires, de tes connaissances historiques plus que légères, je m’interrogeais donc sur ce qu’en aurait pensé ta grand-mère.

Où donc grappilles-tu tes futiles infos ? Sur Internet ? Auprès des discours de tes relations du Who’s Who ? Tu as repris par exemple, mots pour mots, les propos de Simone Veil, lors de son allocution du 18 janvier 2007 au Panthéon et que voici,

Certains Français se plaisent à flétrir le passé de notre pays. Je n’ai jamais été de ceux-là. J’ai toujours dit, et je le répète ce soir solennellement, qu’il y a eu la France de Vichy, responsable de la déportation de soixante-seize mille juifs, dont onze mille enfants, mais qu’il y a eu aussi tous les hommes, toutes les femmes, grâce auxquels les trois quarts des Juifs de notre pays ont échappé à la traque. Ailleurs, aux Pays-Bas, en Grèce, 80% des Juifs ont été arrêtés et exterminés dans les camps. Dans aucun pays occupé par les nazis, à l’exception du Danemark, il n’y a eu un élan de solidarité comparable à ce qui s’est passé chez nous.

Après avoir émis des considérations assez étranges sur Les Justes de France et les héritiers directs de la déportation en 2000, Madame Veil, une nouvelle fois, tape sur la Hollande, j’aurais bien souhaité savoir pourquoi cette constance, qui aboutit à ceci que personne ne voulut, de 1992 à nos jours, nous aider à publier et diffuser l’aventure exemplaire d’une « Société Anonyme » dont témoigne le petit livre que j’ai traduit du hollandais « À la bonne adresse » (extraits audio/vidéo et postface de Max Arian sur notre site).

Mais voilà, je n’avais pas compris, ou plutôt ne m’en étais pas souciée, qu’il s’agissait justement d’anonymes - reconnus tout de même comme Justes parmi les Nations à Yad Vashem. Les éditions, le mécénat, ne s’attardent pas sur les anonymes - ceux que je privilégie, qui ne sont pas “vendables”, les devenus célèbres, avec 50 ans de retard, n’ayant pas besoin de nous.

Devenus célèbres aujourd’hui et rentables avec 50 ans de retard... Je me rappelle en effet - j’étais alors [très] jeune, 1957 ! - l’interprétation sublime par Pascale Audret, sœur de Hugues Aufray, de l’adaptation du « Journal d’Anne Frank », dans une mise en scène et un décor inégalés depuis qui, contrairement au États-Unis, en Italie... , ne connut alors à Paris qu’un succès d’estime, et ne vécut que ce que vivent les saisons théâtrales ordinaires... sans plus de résonance...

Dans le même ordre d’idées, je me suis demandé, lors de la Commémoration, à Birkenau le 27 janvier 2005, du 60e “anniversaire” de la libération des camps, où nous, le tout-venant des revenants et des héritiers directs de l’extermination, tout comme au Panthéon, n’étions pas invités si, plutôt que d’allouer des sommes folles à ce gigantesque “Son et Lumières” international, il n’eût pas été d’une meilleure pertinence de les consacrer - oui, consacrer -, à la réfection des bâtiments et installations sauvegardés de la plus monstrueuse nécropole que le monde ait connu, où chacun de nos pas s’imprime dans la cendre des morts, et qui évolue vers un état de désagrégation inquiétante...

Et voilà que toi aussi, Denis Olivennes, tu reprends la comptabilité - “sur 240.000 Juifs français [chiffre inexact, autour de 300.000], il [n’]y eut [que] 70.000 déportés” ! -, en sous-estimant d’ailleurs assez gravement le nombre de déportés Juifs de la France [autour de 80.000], tu compares ce qui ne saurait se comparer, aux plans de l’histoire, de la démographie, de la géographie, des traditions culturelles, comme le font les révisionnistes.

À la Libération de la France les convois partaient encore de Drancy vers Birkenau - 31 juillet 1944, 1300 déportés, plus de 300 enfants, 209 survivants, dont aucun enfant [Klarsfeld]... L’évacuation des camps eut lieu fin janvier 1945,  plus d’un an après la Libération... (cf. bien longtemps après la création de L’Ordre de la Libération par De Gaulle à Brazzaville en 1940, c’était si loin et coûta si cher aux Africains ; Libération de l’Algérie fin 1942, de la Corse fin 1943, de Paris en août 1944 et enfin de la France entière... ).

Le désordre causé par la Libération, une sorte d’anarchie normale en de telles circonstances, mais aussi la liesse, le retour des prisonniers, l’arrêt des trains, la désaffection des personnels, pour parachever l’entreprise - et là, précisément, nous pouvons employer, à juste titre, le terme d’“indifférence” de la part de “La France”, mirent un terme à l’entreprise. Et, surtout, la collaboration n’était plus opportune...

Aussi, réservons, bien séparée, notre reconnaissance devant le courage et la loyauté des seuls Justes, dénombrés ou dans leur ensemble, opposants ou sub-pétainistes, tant ceux dont les noms furent depuis révélés que ceux qui restent encore aujourd’hui anonymes. Pour les autres et les masses, les institutions habilitées s’en occupent, professionnellement, c’est à elles qu’incombe d’apprécier leur comportement. Nous ne saurions nous autoriser à nous y substituer, nous qui demeurons, aujourd’hui comme hier, neutres, “sans amour et sans haine”, indifférents.

 À lui seul le total monstrueux, effroyable, unique dans l’histoire de l’antisémitisme - plus de 6.000.000 de Juifs exterminés -, témoigne de lui-même, depuis qu’il a été patiemment établi, puis entériné par nos sens horrifiés.

De ces choses, Denis, je parle avec d’autant plus de sérénité que je fus sauvée, cachée, bébé, puis enfant, à Paris puis, de trains en trains, dans différentes provinces françaises, par des successifs réseaux communistes non-Juifs, par un couvent et par une école catholique.

Il n’est plus guère décent de “faire dans le détail”, pays par pays, région par région. Respectons nos morts, un par un, dans leur singularité, quelles que soient leurs appartenances géographiques d’origine.

Je sais, c’est à la mode depuis quelques années de louer l’attitude des Français en bloc, de les appeler “La France”. Bientôt nous entendrons que La France, en tant qu’entité, fut admirable, dont des “résistants” (!) subits, surgis tels des lapins du chapeau d’un prestidigitateur, rasaient, sans la moindre honte, avec hargne, acharnement, les têtes des femmes suspectées d’avoir vécu une histoire d’amour avec des Allemands : “Vous n’aviez qu’à pas les laisser entrer !” répliquait vainement Arletty. Les hommes, eux, auxquels on ne se souciait pas de savoir avec qui ils avaient “couché” pendant l’Occupation, où qu’ils soient, furent épargnés, la chose allait de soi [Silicet !], ce ne se fut pas même abordé, seuls les collaborateurs emblématiques - politiques, intellectuels... -, ou désignés comme tels, furent inquiétés. La suite est mieux connue, certains furent fusillés, d’autres “blanchis”, d’autres enfin réussirent à passer entre les mailles...

 Dans cette ode généraliste et réductrice, en ce qu’elle aplatit, banalise, le courage des Justes, où l’on met en avant une supposée “indifférence” du peuple français devant la “question juive”, davantage occupé par sa sauvegarde et par ladite “révolution nationale”, tu escamotes allègrement les milliers de dénonciations et de délations en tous genres écrites et orales, les pillages d’appartements vidés de leurs Juifs, les Juifs que l’on a harcelés jusqu’en zone Sud, en zone dite “libre” (!), dans les caches particulières, dans leurs domiciles, dans les dizaines de camps d’internement, avec leurs petits enfants, pour les remonter sur Drancy, d’où ils furent déportés et, pour la presque totalité, assassinés à Birkenau, tu esquives la collaboration active ou passive de millions de français, qui ne furent pas, eux, des Justes !

Il est abusif, me semble-t-il, de convoquer le mot “indifférence”, serait peut-être mieux approprié celui de “déni”, autrement dit le vocable “Je n’en veux rien savoir”.

Des historiens proposent cette thèse, que Pétain se trouvait d’abord et avant tout sous l’emprise obsédante de sa haine viscérale pour les communistes et les bolcheviks, dont il voulait à toute force l’élimination. Mais Denis, Pétain avait ceci en commun avec Hitler, ses nazis et les ultras de toute extrace, de toutes provenances, que les communistes et les bolcheviks étaient, longtemps avant la guerre déjà, et d’autant plus depuis la Révolution russe, désignés ouvertement par la propagande, dans la rue, les expositions, comme Juifs ou sous la domination idéologique des Juifs. N’as-tu pas lu « Mein Kampf », ouvrage obligé, notamment par Heidegger, de référence dans les Universités allemandes, dont certaines caves françaises hébergent encore la traduction d’époque ?

S’il n’y eut en France “qu’un tiers” (!) de déportés juifs dont, a-t-on estimé, 20.000 Israélites français, le reste, si j’ose dire compte-tenu du mépris que ces derniers portaient à la piétaille juive pourchassée d’Europe de l’Est et d’Allemagne, parmi laquelle, tout de même, des écrivains, des scientifiques, des artistes, des politiques, qui se croyaient réfugiés et à l’abri en France et se sont trouvés, avec les Tziganes, les Gitans... , étranglés dans la souricière et flanqués dans les camps d’internement avant d’être expédiés directement à la mort et, par ailleurs, pour les Républicains Espagnols, les Arméniens, Italiens... ... ... les “étrangers” de partout, politiques, résistants, catholiques, protestants, expédiés en camps de concentration, dont ceux qui en sont revenus ont témoigné de leurs conditions de survie.

Tu allègues, Denis, t’inclinant ici devant une espèce de consensus médiatique, que la France n’est pas plus antisémite aujourd’hui qu’elle ne l’était depuis la fin du XIXe siècle et plus précisément depuis l’Affaire Dreyfus. T’arrive-t-il de te balader dans les rues, d’être attentif à la violence de ce qui se dit et s’écrit, d’être pris de nausée devant des actes publiquement xénophobes, devant un antijudaïsme traditionnel, attisé aux XXe et XXIe siècle par le conflit israélo-palestinien, qui n’est qu’un prétexte [cf. texte de base : 1969, « De l’antisionisme à l’antisémitisme », par Léon Poliakov, et suivants] ? Où sont tes yeux et tes oreilles ? Ne te déplaces-tu qu’en véhicule blindé ? Ne te montres-tu que dans les “raouts” mondains ?

Pourquoi éprouves-tu le besoin, lorsque tu participes à une émission télévisée, d’insérer systématiquement hors sujet : “Je ne suis pas sarkozyste” ? Que tu le sois ou pas, que tu oscilles, un coup oui un coup non, arranges-toi avec ta conscience, avec tes fidélités comme avec tes infidélités, Denis, je vais te dire : de tes états d’âme, on se contrefiche intégralement.

Pour terminer cette première partie - la seconde ne lui est pas étrangère, qui se noue à l’histoire de la psychanalyse, portant sur le dossier “Marilyn” paru dans le Nouvel Observateur que tu diriges -, j’espère que tu seras d’accord pour partager avec nous un moment de silence à la mémoire des petits enfants Juifs, Espagnols, Gitans, internés à Rivesaltes, dont la trace, pour la quasi totalité, s’est perdue et qui nous regarderons pour l’éternité grâce aux photos prises en 1942 par celle dont la seule raison de vivre alors, dans les circonstances que tu sais, était d’en prendre le plus grand soin, Jacqueline Lévy-Geneste, laquelle nous a quittés, elle aussi, voici un peu plus d’un an.

1942

Camp d’internement de Rivesaltes

« Sortie de classe » des enfants Espagnols et Gitans

La maternelle « Des enfants Juifs » 

Extraites de « Au camp, le Livre d’heures » de Jacqueline Lévy-Geneste, en cours de fabrication

© m. w. Archives privées

2

Marilyn Monroe

Ce sera bref, j’ai déjà tout dit, tout écrit [cf. sur notre site], dès ce mois d’août 1962 où, dans la semaine qui suivit le décès de Marilyn Monroe, consternée par l’article obscène paru dans « Le Canard Enchaîné », j’avais, vraiment candide, rédigé une réponse qui n’est pas parvenue à ce destinataire ou n’a pas été considérée comme digne d’être relevée.

Je regarde la reproduction de Marilyn Monroe dont Le Nouvel Observateur que tu diriges, Denis, a habillé la couverture gloutonne de son numéro du 30 septembre au 6 octobre 2010. On y voit un “chapeau” au-dessus de l’intitulé du journal : « TéléObs Au temps des maisons closes ». Au-dessous de cet intitulé, en rouge, le titre, à la hauteur de ceux de la presse “people” la plus triviale, en rouge : « Les vies secrètes de Marilyn » suivi en blanc de « Ses écrits intimes ».

La photo maintenant, qui illustre - était-ce volontaire ? - le temps des maisons closes : dans des dégradés de teintes “chair”, le visage retouché de Marilyn en Lolita dévêtue, dont la nudité n’apparaît que partiellement dévoilée, enveloppée dans un rideau vaporeux, semblable à ceux qui servent de fond de décor aux photographes, platine, offerte, les yeux aguicheurs mi-clos, le bras et la main suggestifs arrondis vers l’épaule...

Je m’arrête là, songeant tout de même que, pour la qualité de ton hebdomadaire, tu aurais eu avantage à t’inspirer de la couverture sobre, déférente, du Figaro Magazine, où Marilyn, de trois-quart, col roulé noir, pantalon blanc, adossée à un canapé, livre ouvert sur le genou, son beau visage, son regard clair, tournés, nostalgiques, vers le ciel, justement, ne nous regarde pas, ne nous appelle pas. Ainsi que du titre, tout aussi discret, du même Figaro Magazine, en blanc sur fond noir : « L’autre Marilyn • Les écrits intimes de la star qui aimait les livres ».

Pour ce qu’il en est des remarques sur le livre lui-même, « Fragments • poèmes, écrits intimes, lettres », rien de sa présentation, rien d’une lecture attentive, toutes émises par des hommes qui tous partent du postulat que Marilyn était une déséquilibrée - voire, chez les “professionnels”, de psychotique -, histoire de mouliner et remouliner leurs fantasmes sexuels et ainsi de justifier que leur virilité se satisfait de l’exclusive consommation vorace d’un splendide être parlant, obstinément, répétitivement, réifié par leurs soins. Le point de vue du psychiatre-psychanalyste André Green, que tu as sollicité en raison de son éminence, est assez surprenant, peu perspicace, qui développe en diagnosticien chevronné ses interprétations et ses conclusions, comme s’il détenait la vérité psychique en soi, et nous promène dans les méandres d’un “faux self” et autres fadaises “psy” éculées depuis des lunes.

Tu aurais eu avantage aussi à t’inspirer du Figaro quotidien, lequel a préféré, pour une approche de ce superbe hommage, une sensibilité féminine, celle d’une star également, Sylvie Testud, dont la fine écriture témoigne avec retenue de son amour véritable, de sa tendre empathie, pour Marilyn Monroe.

Oui, Marilyn Monroe est un échec de la pratique de la psychanalyse à l’américaine, happée par le snobisme [et l’argent, mais cette précision est une tautologie], sur laquelle la pratique de la psychanalyse française s’est alignée en catimini tout en l’éreintant en public, se gardant ainsi de s’auto-proclamer son héritière. Pour ce qu’il en est de la théorie, elle fut ravalée, là-bas comme ici, à des spéculations abstraites relevant de l’esthétique en philosophie ou à des aménagements destinés à valoriser la réputation, d’abord des psychiatres, puis de toutlemonde...

Reportes-toi, Denis, au livre de Michel Schneider, « Marilyn dernières séances », tu y liras que Marilyn Monroe fut embarquée, au mépris de sa personne et de sa confiance, elle qui admirait tant Freud, dans la nef infernale des célébrités politiques, mafieuses, cinématographiques, intellectuelles qui, toutes, étaient liées personnellement ou par intérêt de corps de métiers, de “lobbies”, s’ajoutaient ou se démêlaient, et qui constituaient une manne pour le renom et la fortune d’apprentis sorciers auprès d’êtres abîmés, non seulement par la vie, mais de plus par l’alcool, la drogue, les tranquillisants, qui rendent une psychanalyse, stricto sensu, nous le savons d’expérience, inapplicable.

Il aurait suffi à Greenson et à Strasberg, plutôt que de pérorer avec enflure, pour aider réellement Marilyn Monroe, l’accompagner, la soutenir, peut-être la sauver, d’entendre son désir authentique et de le prendre en compte, autrement dit lui permettre d’interpréter le rôle majeur qu’elle appelait de toute son âme : Lady Macbeth.

Il est vraisemblable que l’instrumentalisation indécente de Marilyn Monroe s’effectua à l’insu d’Anna Freud, restée très attachée à ses amis d’avant l’exode, particulièrement à Marianne Kris et à Greenson, lequel avait oublié qu’un psychanalyste ne prescrit pas, lui-même, de tranquillisants, il délègue à un psychiatre ou, s’il fait le psychiatre, il délègue à un psychanalyste. C’est Anna Freud qui, après avoir reçu Marilyn Monroe à Londres, lui avait conseillé Marianne Kris à New-York, laquelle, dans un moment de désarroi peu professionnel, l’a dirigée dans un service psychiatrique fermé abominable ; quant à Greenson, Romi, possiblement piteux, il semblerait qu’il lui fallut presque un an et demi avant qu’il n’ait le courage d’informer Anna Freud du décès de Marilyn.

Anna Freud, toutefois - et c’est là que nous réalisons son éventuelle méconnaissance de ce qui se passait réellement aux U.S.A -, toujours loyale et amicale, le console dans une lettre du 20 janvier 1963,

Je suis vraiment désolée pour Marilyn Monroe. Je sais exactement ce que vous éprouvez parce qu’il m’est arrivé la même chose avec un de mes patients qui a pris du cyanure avant que je revienne des États-Unis il y a quelques années. On repasse tout sans arrêt dans sa tête pour trouver ce qu’on aurait pu faire mieux et cela laisse un terrible sentiment de défaite. Mais, vous savez, je pense que dans ce cas-là nous sommes vraiment vaincus par une chose plus forte que nous et contre laquelle l’analyse, malgré tous ses pouvoirs, est une arme trop faible.

Extrait de « Anna Freud », par Élisabeth Young-Bruel 

Côté Marianne Kris, Marilyn Monroe, alors en analyse avec Greenson à Los Angeles, avait rédigé un testament en sa faveur, dans lequel elle faisait don d’une part de son héritage, destinée à la remettre à une œuvre de son choix, ce qui sauva, de la déroute financière, la Hampstead Clinic.

Voilà Denis, à présent, je vais retourner à mes amours et à mes travaux, entre autres à mes lectures. J’ai repris - et j’en ai pour un moment - La peau de chagrin, de Balzac, que lisait Freud avant de partir, couplé avec son parallèle, Vie et opinions de Tristram Shandy, de Laurence Sterne.

Bonne continuation,

M. W.

ø

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2010