© Micheline Weinstein  / Juin 2008                              
                              L’affront fait à Freud
                              ou
                              La 
                                psychanalyse en France comme “Paillasson” 
                                de la psychanalyse à l’américaine 
                                et ses suites
                              [Comme on dit “Le bœuf en daube”]
                              ø
                               
                              « Toute interprétation 
                                livrée aux journalistes et aux lecteurs 
                                reste dans le champ de l’interprétation 
                                sauvage. »
                               
                              par
                                 
                              Jacques Sédat
                               
                              Auteur de « Comprendre Freud » • Armand Colin, 2007
                                 
                              Lorsqu’on a élu un président qui ne fait pas mystère 
                                de sa vie privée, qui sait parler avec 
                                des accents de sincérité, d’indignation 
                                ou de complicité selon ses interlocuteurs, 
                                la tentation est grande de glaner indiscrétions, 
                                confidences et rumeurs pour interpréter 
                                ou juger, à l’aune de sa subjectivité, 
                                même quand on est psychanalyste. Sortir 
                                de la sphère politique où doit se 
                                jouer l’action publique conduit à une dépolitisation 
                                de la pensée. Cet effacement de la différence 
                                entre les sphères publique et privée 
                                est reconduite par certains psychanalystes qui 
                                prétendent saisir le politique à 
                                partir du privé ou qui occupent une position 
                                politique, au risque de classer les hommes politiques 
                                selon leurs affects.
                              Certains peuvent donner leur interprétation sur tout fait culturel 
                                et confisquer la parole de l’autre pour l’interpréter. 
                                Du diagnostic au verdict, de l’interprétation 
                                au jugement, de l’opinion à la prétention 
                                de dire la vérité : autant de dérives 
                                qui n’ont pas leur place dans une démarche 
                                psychanalytique. Toute analyse médiatisée 
                                reste dans le champ de l’interprétation 
                                sauvage, n’engageant que celui qui en prend le 
                                risque, dans une illusion de toute-puissance qui 
                                flirte avec cette volonté de puissance 
                                qu’on prétend dénoncer chez les 
                                autres. Alors que le divan donne la parole à 
                                l’autre, le divan généralisé 
                                en scène publique confisque la parole de 
                                l’autre pour l’interpréter, comme les marionnettes 
                                qu’on fait parler.
                              C’est oublier le sens ultime du « Malaise dans la culture » 
                                que diagnostiquait Freud : « Fusionner avec 
                                autrui, être en indivision avec lui » 
                                par horreur d’être ou de penser seul. 
                                C’est-à-dire penser pour l’autre et donc 
                                le penser. C’est aussi attendre la parole d’un 
                                oracle qui penserait à notre place.
                              L’une des formes les plus subtiles de la violence, aujourd’hui, ne serait-elle 
                                pas la violence de l’interprétation, mettre 
                                ses mots dans ceux de l’autre ?
                                 
                              Propos recueillis par Jean-Michel Décugis dans LE POINT 
                                du Jeudi 
                                29 mai 2008, intitulé « 
                                Sarkozy et les psys ». Publié 
                                ici avec l’autorisation de l’auteur.
                               
                              ø
                              Ma 
                                lettre à Jacques Sédat, pour lui 
                                demander de nous donner l’autorisation de publier 
                                ses propos recueillis en un “billet” 
                                dans Le Point, 
                                était en fait un petit mémoire, 
                                une sorte de court panoramique sur, disons, la 
                                vulgarité, autrement dit sur la seule notion 
                                qui me vienne à l’esprit aujourd’hui, incompatible 
                                aussi bien avec la personne de Freud qu’à 
                                son œuvre, indissociable, la psychanalyse.
                              Jacques 
                                Sédat a l’habitude. Après Françoise 
                                Dolto et François Perrier, il est celui 
                                qui connaît le mieux mon itinéraire 
                                professionnel, à partir de signifiants 
                                biographiques et historiques bien précis, 
                                qui sait les interrogations rencontrées 
                                durant des lunes, les effrois, les obstacles et 
                                les menaces de découragement qui s’ensuivent. 
                              Mais 
                                avant de développer brièvement quelques 
                                aspects de la vulgarité - j’avais écrit 
                                récemment mes impressions sur la chose, 
                                elles sont sur le site, où tout est toujours 
                                dit avant tout le monde, et tous les titres repris 
                                les uns après les autres dans la presse, 
                                entre 3 jours et une semaine après publication, 
                                il suffit de se reporter aux dates -, je remercierai 
                                d’abord Rama Yade, pour avoir trouvé le 
                                mot juste au juste moment, sortant in situ un « Paillasson » négligé jusqu’alors, cet 
                                objet sur lequel “on” s’essuie les 
                                pieds quand “on” est bien élevé.
                              D’abord, 
                                une première ratée, le titre du Point : « Sarkozy et les psys ». 
                                Il me semble que, quand les “psys” 
                                se mêlent de donner leur pédant avis 
                                public sur la chose privée, le titre juste, 
                                évident, eût été : 
                                « Les psys chez Sarkozy ».
                              Curieusement, 
                                ces avis publics, à l’image de leurs programmes 
                                par les responsables politiques, sont mots pour 
                                mots identiques, quels que soient les médias 
                                dans lesquels ils apparaissent. Tout le monde 
                                copie tout le monde, glanant - pour rester polie 
                                - des mots, des bouts d’idées, des infos 
                                tronquées de leur contexte, des intitulés, 
                                sur Internet, se les passant ou non (“c’est Moi qui ai trouvé le preum !”), par mails, SMS et mille autres 
                                sigles.
                              Une 
                                exception, histoire d’en rabaisser les qualités, 
                                “on” ne glane pas chez Olivier Besancenot 
                                face auquel, bien qu’il se présente, avec 
                                une sincérité hors de toute mise 
                                en doute, comme n’ayant aucun goût pour 
                                le pouvoir, “on” re-brandit depuis 
                                peu dans la presse le chiffon sanglant en la perspective 
                                de voir subrepticement rôder derrière 
                                sa conception de ce que serait une république, 
                                le spectre opaque et terrifiant du stalinisme, 
                                de la dictature. Pourtant, Besancenot ne s’attarde 
                                pas sur des joutes assez peu documentées 
                                de vocabulaire, il appelle un chat un chat, ou 
                                encore le capitalisme, capitalisme.
                              Quelques 
                                autres menues ratées linguistiques maintenant. 
                                Il arrive que certains bavardages frisent la calomnie. 
                                “On” insiste, depuis le remariage 
                                du Président de la République, sur 
                                l’intelligence, incontestable d’ailleurs, de sa 
                                nouvelle épouse. Mais “on” 
                                insiste si pesamment que, a-contrario, 
                                cela insinuerait presque que la précédente 
                                ne l’était pas. Nous pouvons par ailleurs 
                                lire dans la presse ce nouveau slogan selon lequel 
                                un conseiller privé du Président 
                                est “maurrassien”. N’aurait-il pas 
                                été plus simple de s’adresser d’abord 
                                directement à l’intéressé 
                                involontaire, prendre intérêt à 
                                son parcours, à son évolution ? 
                                François - Comte de - La Roque, 
                                initiateur des “Croix-de -feu”, le 
                                fut. Puis, résistant, fut déporté 
                                en Allemagne. En octobre 1939 - j’exhume indéfiniment 
                                mes archives, ici extraites d’un texte écrit 
                                en 1994... - le seul quotidien français 
                                ayant accepté de mentionner la mort de 
                                Freud, grâce à “Notre chère 
                                Princesse” Marie Bonaparte, fut le journal Marianne de l’époque,
                               
                              Marie Bonaparte
 
                              Mort de Freud le 23 septembre 1939
                               
                              Article paru dans Marianne le mercredi 4 octobre 1939
                               
                               
                              Parmi les nouvelles des fronts de combat, à l’heure où s’ouvrent si larges à tant de jeunes gens les portes de la Mort, l’annonce de la disparition d’un vieillard est venue émouvoir la conscience universelle. C’est que celui qui vient de fermer à la lumière ses yeux profonds était l’un des plus grands parmi les hommes. Il fut de ceux dont chaque siècle ne voit naître que quelques-uns et l’univers, bien qu’absorbé actuellement par la violence et la destruction, ou tendant ses efforts afin d’y parer, a senti passer, avec le souffle de la mort qui faucha Freud, celui de la haute et calme grandeur.
                              Descendante moi-même d’une lignée qui donna au monde l’un de ses plus grands conquérants, mais fille d’un petit-neveu de l’Empereur qui se voua aux œuvres de la pensée, j’ai, depuis l’enfance, appris a estimer plus haut que les actions de force et de puissance les conquêtes spirituelles, et c’est sans doute ce qui me porta, sur le déclin de ma vie, vers Freud, dont je m’enorgueillis d’être la disciple. Certes la force est nécessaire aux peuples Pour se défendre ;contre les entreprises de la violence, mais la fleur de l’esprit humain ne s’épanouit que dans l’atelier de l’artiste ou le laboratoire du savant.
                              Or, le laboratoire ou Freud accomplit ses découvertes, en est-il de plus magnifique : l’âme humaine, l’âme de nous tous, aux secrets jusqu’à lui inexplorés ? Les mystères du rêve, les mystères des maladies de l’âme, les mystères du sexe et les miracles par lesquels se muent nos instincts les plus animaux en nos plus hautes valeurs morales, culturelles, religieuses, sous l’influence de cet alambic qui a nom “ civilisation ”, voilà ce que nous révéla Freud.
                              Œuvre le plus souvent incomprise! La matière étudiée par Freud les instincts, les forces animales, barbares, sexe et agression, hantant le tréfonds de nous tous, ainsi que leurs transformations. L’instrument d’investigation : la raison, notre raison spécifiquement humaine aboutissant, par cette investigation et par la connaissance, à la maîtrise justement de ces forces archaïques. Or le public confond souvent la matière avec l’instrument et il s’est même trouvé hier un journaliste français pour accuser Freud d’avoir “glorifié” l’instinct et par-là préparé l’avènement du nazisme !
                              Hélas ! Parmi les persécutés par le barbare credo pangermaniste actuel, Freud fut l’un des plus visés parce que l’un des plus grands. La culture allemande est aujourd’hui exilée d’Allemagne, d’une Allemagne où ne retentit plus, depuis mois après mois déjà, que le bruit des bottes, le roulement des tanks ou des canons, le vrombissement des avions.
                              Avec un Einstein, un Thomas Mann et d’autres, Freud, pourchassé dans sa pensée, ayant vu détruire ses livres par milliers, avait dû, l’an passé, prendre le chemin de l’exil. A quatre-vingt-deux ans il quittait sa patrie, Vienne, où s’était écoulée toute sa longue vie de famille et de labeur et, avec les siens, il s’établissait en cette libérale Angleterre qui gardera l’honneur d’héberger, après son dernier exil, ses cendres.
                              Les cendres de ce corps menu qu’anima une si haute flamme reposeront non loin des restes d’un Newton ou d’un Darwin. Et à juste titre : la hardiesse de ces trois grands génies fut égale, que l’esprit du premier se soit élancé vers les astres, du second vers l’évolution millénaire de la vie, du dernier enfin vers les abîmes inondés de l’âme humaine.
                               
                              
                                 
                          
                              Accessoirement 
                                : “on” a appris aux jeunes à 
                                nommer “musique” des formes d’expressions 
                                sonores parfois superbes, parfois allant jusqu’à 
                                l’assourdissement véritable. Dans un registre 
                                plus spécialisé, la radio, “on” 
                                emprunte aux vocables de la psychiatrie : voilà 
                                qu’un matin, allumant France-Musique pour me délasser, 
                                j’entends un commentateur gloser sur la “névrose” 
                                de Hændel, la couleur “maniaco-dépressive” 
                                mais non “psychotique” de l’œuvre 
                                qu’il présentait... Nous vient alors à 
                                l’esprit une pensée nostalgique pour Molière, 
                                suivie d’une seconde, pour son prédécesseur, 
                                Rabelais, décrivant, dans une langue inégalée 
                                de comique, la pédanterie ridiculissime 
                                du jargon des étudiants du Quartier Latin 
                                de son époque. Pour en revenir à 
                                l’émission en question, j’ai coupé 
                                net, me privant de la suite d’un nouveau catalogue 
                                nosographique, appliqué à l’œuvre 
                                d’art, et ai placé un CD / Mozart par Clara 
                                Haskil sur le plateau.
                              Ainsi, 
                                de nos jours, journalistes et autres intellectuels 
                                instruits par les “psys” pérorent 
                                à tous vents sans avoir aucunement vérifié 
                                la signification de ce “narcissisme” 
                                qu’ils prêtent au Président de la 
                                République. Nous ne pouvons que rester 
                                consternés par l’indigence de leurs professeurs 
                                de “psy”.
                              Le 
                                “narcissisme”, en psychanalyse est, 
                                soit une pathologie grave, auquel cas, il enferme 
                                le sujet dans son “bunker”, nous n’avons 
                                plus aucun lien social avec lui, le plus souvent 
                                il peuple les institutions psychiatriques ; soit, 
                                le narcissisme n’est qu’une caractéristique 
                                dominante dans la personnalité d’un sujet, 
                                lequel se satisfait, dans une passivité totale, d’être persuadé qu’il est 
                                le centre du monde, ce pourquoi l’érotomanie 
                                le guette comme un appât, qu’il est admiré 
                                par chacun et par tous. Ou alors, à l’opposé, 
                                le sujet s’isole, mais partiellement, d’autrui 
                                quand il est dominé par le masochisme. 
                                Dans tous les cas, sa vie se résume à 
                                ne jamais RIEN faire, 
                                il n’agit pas, n’est investi que par soi-même 
                                et considère autrui, quel qu’il soit et 
                                quelle que soit sa position hiérarchique, 
                                réelle ou supposée, comme son domestique. 
                                C’est toute la différence avec le terme 
                                courant de “surcompensation” par exemple, 
                                où le sujet tend, d’une façon souvent 
                                émouvante, à se défendre 
                                de ce qu’il n’aime pas en lui, voire de ce qu’il 
                                hait en lui, et ferait n’importe quoi pour être 
                                aimé, y compris distribuer la Légion 
                                d’Honneur à tort et à travers.
                              “On” 
                                se dit “décomplexé”. 
                                Ce qui signifie ? Que les hommes d’État 
                                précédents étaient “complexés” 
                                ? Freud avait choisi le terme de complexe à 
                                partir de Sophocle, pour nommer le Complexe d’Œdipe, 
                                ce complexe assez proche de ce que l’on nomme 
                                en mathématiques un “nombre complexe” 
                                : en partie réel, en partie imaginaire. 
                                Laisser se découvrir et se déployer 
                                la fonction du symbolique dans l’inconscient relevant, 
                                pour faire bref, de notre travail. Il refusait 
                                formellement, mais en vain, l’utilisation généralisée 
                                qu’en avait conçu Jung et à sa suite, 
                                les psychologies comportementales.
                              “On” 
                                balance du “fantasme” à tout 
                                va pour invalider l’opinion de quelqu’un. “Ce 
                                qu’il dit, voyons, c’est son fantasme !” 
                                Quel retard sur l’évolution des concepts 
                                théoriques ! La théorie du fantasme 
                                a été sérieusement érodée 
                                ou étiolée avec la généralisation 
                                des moyens informatiques de communication, d’inflation 
                                de l’image, des bruits qui rendent sourds et se 
                                réverbèrent dans les écouteurs, 
                                par la disparition, pour cause de pollutions monstres 
                                et diverses, du goût, de l’odorat... Il 
                                n’y a plus de fantasme, plus d’imaginaire qui 
                                tiennent, tout est passé dans le réel, 
                                c’est le réel, sexuel préférentiellement, 
                                qui vous est jeté en pleine face, jour 
                                et nuit, tout le temps. Et cela a une incidence 
                                préoccupante sur l’inconscient du sujet, 
                                il suffit, dans notre travail, d’écouter 
                                le récit des rêves actuels des jeunes 
                                analysants, voire des enfants... C’est comme si 
                                la théorie psychanalytique de la sexualité 
                                avait, au fil du temps, été rabattue 
                                au rang de la pornographie...
                              Bref, 
                                la mode, pour ne pas perdre de vue l’idée 
                                de départ qui était la vulgarité 
                                hissée à la dignité de l’éthique, 
                                est à l’atteinte directe, brutale, grossière, 
                                à la personne, morale ou/et physique, associée 
                                au mépris des réalisations, des 
                                l’œuvres, du patrimoine intellectuel, artistique 
                                ou simplement humain.
                              “On” 
                                dit, à partir d’une donnée biographique, 
                                privée, du Président de la République 
                                actuel, que la France, la République, n’ont 
                                plus de “père”. C’est bien 
                                mal connaître la relation entre les pères 
                                et les fils. S’il y a une absence d’autorité 
                                respectée en France, c’est celle d’un “Maître”, 
                                celui qui permet au “peuple” - “Les 
                                gens” - de le citer en exemple. 
                              Il 
                                y a, par contre, les quantités de caricatures 
                                de “Maîtres”, autrement dit 
                                des “maîtres sadiens”. Sans 
                                entrer ici dans une étude plus approfondie 
                                de la perversion, disons que le pervers est la 
                                caricature de celui qui se prend pour le “Maître”, 
                                dont les bordels, nobles ou de basses fosses, 
                                nous offraient des descriptions exemplaires, agrémentées 
                                de leurs accessoires répétitifs, 
                                de parodies de pères (!) fouettards ou 
                                fouettés... 
                              Alors, 
                                à l’intention de psychanalystes qui souhaiteraient 
                                effectuer une petite mise à jour, il serait 
                                intéressant de reprendre de près 
                                au sujet de ce qu’est un pervers, le “mathème” 
                                de la perversion proposé par Solange Faladé 
                                et à le soumettre à la critique, 
                                pour revoir un peu le tour qu’a pris le destin 
                                de la psychanalyse en France.
                              “On” 
                                pourrait aussi, puisque cela n’a jamais été 
                                fait, mettre à l’étude le concept 
                                “princeps” [sic !] de Lacan sur le “Stade du miroir” 
                                en regard de l’observation de Françoise 
                                Dolto, en désaccord sur le même sujet 
                                depuis 1954, reprise et réaffirmée 
                                en 1983, qui figure sur notre site.  
                              Revenons 
                                à ce qui concerne les psychanalystes français 
                                “en vue” (ah ! l’image !), et leurs 
                                “élèves”, pour la plupart 
                                issus du lacanisme. Il semblerait que les théories, 
                                qu’ils dispensent, qui le contesterait, et leurs 
                                comportements, ont constitué depuis plus 
                                d’un demi-siècle un ensemble en forme de 
                                vaste “paillasson” à l’usage 
                                des pieds de la psychanalyse américaine 
                                - “bling-bling”, restons modernes. 
                                Il est donc permis de s’interroger sur leur pratique 
                                de la psychanalyse quotidienne auprès de 
                                leurs analysants, notamment, sans être exhaustive, 
                                auprès des enfants et des sans grade particulier 
                                - vous, je, ils -, des non-inscrits au Bottin 
                                Mondain - les fameux “lobbies” -, 
                                ou encore dans les annuaires du spectacle, des 
                                universités, des écoles de journalisme, 
                                les “raouts”... Où, qui, sont 
                                leurs analysants, hors le “Show-biz” 
                                ?
                              Je 
                                sais où sont ceux ayant croisé par 
                                ici, il arrive assez fréquemment que je 
                                reçoive des nouvelles des années 
                                après leur analyse, et aussi des nouvelles 
                                des enfants nés pendant leur analyse, devenus 
                                maintenant parents à leur tour. Connaissant, 
                                de fait, mon mode de travailler, chacun et chacune 
                                s’en sont allés vers leur destin - leur 
                                “devenir” -, dissuadés, avec 
                                la dissolution transférentielle, de pratiquer 
                                la psychanalyse, métier trop astreignant. 
                                Beaucoup sont venus “aux renseignements”, 
                                ils ne sont pas restés bien longtemps, 
                                voire pas du tout.
                              Quand 
                                ont-ils le temps, ces “psys en vue” 
                                de permettre à leur pensée de se 
                                former à partir de ce qui leur vient à 
                                l’esprit ? Quand ont-ils du temps à ménager 
                                pour leur travail ? Quand ont-ils le temps de 
                                commencer par lire Freud ? Car le plus amusant, 
                                le plus curieux, lorsqu’un psychanalyste décède, 
                                c’est que l’on retrouve à la Halle aux 
                                Livres du Parc Georges Brassens son abondante 
                                bibliothèque analytique, pourvue de livres 
                                à l’état neuf, assez souvent aux 
                                pages non coupées, sans la moindre note, 
                                comme sont les livres de collection, ce pourquoi 
                                sans doute, même d’occasion, ils sont vendus 
                                si chers.
                              De 
                                telle sorte que n’importe qui, depuis quelques 
                                décades, s’intitule, sans que l’on ne sache 
                                rien de sa formation, “quelque chose et psychanalyste”. Du coup, une nouvelle sous-profession 
                                occulte a vu le jour et s’est installée 
                                : Etpsychanalyste.
                              Pour 
                                le reste, pour la diffusion d’ouvrages analytiques, 
                                la “réclame”, la “propagande”, 
                                la “com.” aujourd’hui, ces “psys” 
                                que j’évoque détiennent des parts 
                                de “marché”, parfois assez 
                                importantes, dans le monde rassemblé de 
                                l’édition, des médias - chaînes 
                                radio / TV, aussi bien publiques que privées 
                                -, du cinéma, du théâtre, 
                                de la “production” exclusivement financière 
                                bien que dite culturelle, en tous genres.
                              Ainsi, 
                                à l’image des jeux politiques d’une cruauté 
                                étonnante ou / et dans le monde des puissantes 
                                affaires, ces “cartels” ont toute 
                                latitude pour pratiquer l’Omerta intellectuelle 
                                et “casser” qui ils jugent susceptibles 
                                de leur faire de l’ombre, d’ailleurs ils le disent 
                                ouvertement. Ils ont donc toute latitude pour 
                                pratiquer, sinon l’“interdit de penser” 
                                que l’on condamne unanimement dans les dictatures, 
                                dont Freud faisait une caractéristique 
                                principale du pouvoir de la religion, mais a-minima l’interdit 
                                de rendre matériellement, “économiquement” 
                                comme on dit aujourd’hui, public le travail de 
                                pensée de l’autre, de celui qui n’est pas 
                                du “clan”. Et à arpenter les 
                                groupes analytiques pour se mettre en scène 
                                avantageusement, histoire de s’établir 
                                une clientèle sélectionnée 
                                en détournant les analysants de leurs confrères 
                                et consœurs.
                              Ce 
                                phénomène est de notoriété 
                                publique, pour qui cela intéresse, qui 
                                contribue à ce que l’on appelait du temps 
                                de Marx, le “Lavage [généralisé] 
                                des cerveaux” des “gens”, de 
                                plus en plus “aliénés” 
                                et étranglés par la détresse 
                                matérielle, auquel nous assistons aujourd’hui.
                              Juste 
                                un mot sur Marx, dont j’ignore si les adversaires 
                                acharnés du marxisme l’ont lu ou non. J’ai 
                                ici un exemplaire de la première édition 
                                en trois tomes en allemand de la correspondance 
                                entre Marx et Engels. Elle est prodigieuse d’intelligence, 
                                de qualité d’analyse, de qualité 
                                d’écriture, de goût insatiable du 
                                savoir, de références solides auprès 
                                des théoriciens majeurs, dans tous les 
                                domaines, de tous pays, auprès des artistes, 
                                philosophes, écrivains, scientifiques...
                              Il 
                                est vrai que lire, écrire, puiser, pour 
                                nourrir son évolution intellectuelle, sont 
                                des exercices indissociables du temps et, au mieux, 
                                mais là encore, de même que pour 
                                les activités matérielles, il y 
                                “inégalité des chances” 
                                qui sont les conditions environnementales de paix. 
                                Faute de quoi, il faut faire sans.
                              Curieusement, 
                                depuis quelques décennies, en France tout 
                                au moins, lorsque vous êtes “graphomanes” 
                                - Freud, Marx, Engels... l’étaient -, ainsi 
                                que nous nous définissons sans nous être 
                                consultés, avec mon ami poète Gil 
                                Jouanard, le monde intellectuel l’“Intelligenzia”, 
                                vous toisent avec condescendance et... si vous 
                                persistez quand même, “on” vous 
                                flanque, sans vous avoir lu naturellement, cela 
                                ne “rapporte” pas, dans la catégorie 
                                des malades mentaux, des “monomaniaques”...
                              De 
                                nombreux auteurs ont tenté d’établir, 
                                assez péniblement, un pont entre le marxisme 
                                et la psychanalyse. Certes, il existe des passerelles, 
                                principalement sociologiques, comme pour toutes 
                                les disciplines relevant de la condition humaine.
                              Il 
                                suffit cependant, pour distinguer nettement l’écart 
                                entre la psychanalyse et la théorie marxiste, 
                                issue selon Freud de l’“obscure philosophie 
                                hégélienne” prisée 
                                par Lacan, de se reporter à ce qu’il en 
                                avait déduit et dont voici quelques extraits, 
                              [...]
                              Dans la théorie marxiste, il y a des thèses qui m’ont déconcerté 
                                comme celle qui veut [...] que les changements 
                                dans la stratification sociale procèdent 
                                l’un de l’autre par la voie d’un mouvement dialectique. 
                                Je ne suis pas sûr de comprendre correctement 
                                ces affirmations, elles ne sonnent d’ailleurs 
                                pas à mes oreilles comme “matérialistes” 
                                mais plutôt comme une lourde condensation 
                                de quelque obscure philosophie hégelienne, 
                                école par laquelle Marx a aussi passé. 
                                Je ne sais pas comment me libérer de mon 
                                point de vue de non-croyant, habitué à 
                                ramener la formation des classes dans la société 
                                aux luttes qui se sont déroulées 
                                depuis le début de l’histoire entre les 
                                hordes humaines peu différentes les unes 
                                des autres. [...] Dans la coexistence sur 
                                le même territoire, les vainqueurs devenaient 
                                les seigneurs, les vaincus les esclaves. Il n’y 
                                a pas là de loi de la nature ou de métamorphose 
                                du concept à découvrir ; en revanche, 
                                on ne saurait méconnaître l’influence 
                                qu’exerce la maîtrise progressive des forces 
                                de la nature sur les relations sociales des hommes, 
                                du fait qu’ils mettent toujours et en même 
                                temps les moyens de puissance nouvellement acquis 
                                au service de leur agressivité et qu’ils 
                                les utilisent les uns contre les autres.
                              [...]
                              J’ai presque honte de traiter devant vous un thème d’une telle 
                                importance et d’une telle complexité en 
                                quelques remarques insuffisantes ; [...] ce qui 
                                m’importe seulement, c’est d’attirer votre attention 
                                sur le fait que le rapport de l’homme à 
                                la maîtrise de la nature, à qui il 
                                emprunte ses armes pour combattre ses semblables, 
                                a une influence certaine sur ses institutions 
                                économiques. [...] La force du marxisme 
                                ne réside manifestement pas dans sa conception 
                                de l’histoire et dans la prédiction de 
                                l’avenir qui y trouve son fondement mais dans 
                                la démonstration perspicace de l’influence 
                                contraignante que les rapports économiques 
                                des hommes exercent sur leurs positions intellectuelles, 
                                éthiques et artistiques. Mais on ne peut 
                                émettre l’hypothèse que seuls les 
                                motifs économiques déterminent le 
                                comportement des hommes dans la société. 
                                Le fait indubitable que des personnes, des populations 
                                différentes se comportent de façon 
                                différente dans les mêmes conditions 
                                économiques exclurait déjà 
                                la seule et unique domination des facteurs économiques. 
                                On ne comprend absolument pas comment on peu négliger 
                                des facteurs psychiques là où il 
                                s’agit des réactions d’êtres humains 
                                vivants ; car sans compter que ces derniers ont 
                                déjà participé à l’instauration 
                                des conditions économiques, les hommes 
                                ne peuvent faire autrement, même sous la 
                                domination de ces conditions, qu’apporter dans 
                                le jeu leurs motions pulsionnelles originaires, 
                                leur pulsion d’autoconservation, leur goût 
                                pour l’agression, leur besoin d’amour, leur aspiration 
                                à l’acquisition du plaisir et à 
                                l’évitement du déplaisir.
                              [...]
                              Par sa réalisation dans le bolchevisme russe, le marxisme théorique 
                                a maintenant gagné l’énergie, la 
                                cohérence et le caractère exclusif 
                                d’une Weltanschauung, mais en même temps une 
                                ressemblance inquiétante avec ce qu’il 
                                combat. Initialement conçu lui-même 
                                comme une part de science, s’édifiant pour 
                                sa réalisation sur la science et la technique, 
                                il a cependant édicté un interdit 
                                de penser [sic, je souligne] aussi inexorable que le fut 
                                en son temps celui de la religion.
                              [...]
                              Comme 
                                quoi, contrairement à l’antienne populaire, 
                                l’histoire de la psyché humaine est un 
                                éternel recommencement à l’identique 
                                dont toutes les avancées et réalisations 
                                techniques, destinées au mieux-être 
                                matériel des humains, ne sont pas parvenues 
                                à neutraliser les résistances à 
                                évoluer vers un peu plus de civilisation. 
                                En témoignent, pour faire court, l’échec 
                                des Lumières, la réussite de la 
                                Shoah. 
                              En 
                                inventant la psychanalyse, en la nommant ainsi, 
                                en espérant mais, plus le temps passait, 
                                sans grande illusion, qu’elle serait reconnue 
                                comme une science expérimentale, le désir 
                                de Freud était de contribuer à ne 
                                jamais laisser faiblir le goût des humains 
                                pour l’intelligence, l’entendement, le savoir.
                              En 
                                témoignait sa méthode de travail, 
                                d’investigation, pour reprendre la terminologie 
                                de l’époque où, dès l’âge 
                                de 16 ans pour les traces qui nous sont accessibles, 
                                nous pouvons y retrouver sa passion pour la lecture 
                                dans les multiples domaines qui l’intéressaient, 
                                l’analyse des commentaires hérités 
                                de ses prédécesseurs. Puis,  à partir de sa mise en pratique 
                                de la psychanalyse, nous assistons à l’élaboration, 
                                pas à pas, de ses commentaires originaux, 
                                associés aux échanges vivants de 
                                vues avec ses contemporains de différentes 
                                générations et différentes 
                                disciplines, directs quand cela était possible, 
                                sinon abondamment épistolaires, souvent 
                                les deux. 
                              Et 
                                c’est cette méthode que Freud transmettait 
                                à qui voulait bien la recevoir. En cela 
                                il était un véritable Maître, 
                                ouvrant à ses élèves une 
                                large baie devant la forme qu’avait pris pour 
                                chacun son goût pour les voyages infinis 
                                et toujours inachevés dans le savoir.
                              Chez 
                                le maître sadien au contraire, pour peu 
                                qu’il accède à une chaire universitaire, 
                                rien de tel. Son “enseignement” peut 
                                être désigné comme dictatorial, 
                                sur un mode semblable à celui des gourous 
                                de sectes, il est fermé à tout autre 
                                que le sien, à tout apport extérieur. 
                                C’était étouffant, du temps de Lacan, 
                                et assez stérile, cela ne menait qu’à 
                                du psittacisme fasciné, halluciné.
                              Alors 
                                pourquoi ce titre « L’affront fait à 
                                Freud » par ceux des psychanalystes français 
                                qui ont fait de la psychanalyse, grâce aux 
                                puissances de l’argent / Roi - le “Roi / 
                                Dollar américain” selon Freud - de 
                                son nom, un vulgaire “Paillasson de l’Amérique”, 
                                depuis les années 60 ? 
                              Lacan 
                                avait lancé le slogan selon lequel “les 
                                psychanalystes sont des gens [sic] comme tout le monde”, tout le monde, trop 
                                content, s’y est conformé. Du coup, 
                                tout le monde fait comme tout le monde. Plus besoin 
                                de psychanalyse.
                              Ce 
                                qui était exactement au contraire de l’espoir 
                                de  Freud  et, avec et après lui, de ses plus fidèles élèves 
                                et amis. La vague lacanienne, son snobisme - sine 
                                nobilitas -, 
                                son avidité pour la mise en avant du chacun 
                                pour “Moi”, son tropisme vers le pouvoir, 
                                impossible à prendre sans la suprématie 
                                exclusive de l’argent, avec la disparition progressive 
                                des derniers psychanalystes, des meilleurs cliniciens 
                                et théoriciens que la France ait abrités 
                                et qui avaient commencé leur formation 
                                déjà avant guerre, a emporté 
                                haut la main l’adhésion générale, 
                                la soumission.
                              La 
                                principale difficulté de la psychanalyse, 
                                pour tenter rendre une vie de l’esprit et du corps, 
                                vivable, supportable, à un être humain 
                                chez lequel tous les autres essais “thérapeutiques” 
                                ont échoué, est que sa spécificité 
                                consiste à explorer l’inconscient  à partir du seul langage. 
                              Or, 
                                à l’inverse des disciplines telles que 
                                les sciences dites exactes, les mathématiques, 
                                la physique par exemple, lesquelles jouissent 
                                d’un grand respect, à l’aune de ce qui 
                                intimide et que l’on ne comprend guère, 
                                le langage de la psychanalyse a emprunté 
                                au langage de domaines très divers avant 
                                que Freud ne donne à ses concepts un sens 
                                bien précis, non interchangeable.
                              C’est 
                                l’ensemble de ces concepts, ce vocabulaire de 
                                la psychanalyse, qui constituent une “méthode 
                                originale d’investigation”, à partir 
                                non plus de définitions préétablies 
                                sur diagnostics recensés, formatés 
                                et étalonnés, mais à partir 
                                de ce que nous enseignent les formations de l’inconscient, 
                                lequel est un rébus, au départ d’une 
                                analyse,qui nous permettent de lire le sens des 
                                symptômes physiques et psychiques irréductibles, 
                                restés énigmatiques devant tout 
                                autre forme d’approche.
                              Or, 
                                d’un langage compréhensible, toute personne 
                                peut faire ce que bon lui semble, en toute bonne 
                                foi. Sauf les psychanalystes. L’affront à 
                                Freud réside dans ce fait que les psychanalystes, 
                                par négligence, pour satisfaire au “principe 
                                de plaisir” que j’ai renommé “principe 
                                de paresse” ou pour arriver plus vite à 
                                exercer une activité conçue comme 
                                prestigieuse, plutôt que de recueillir précieusement 
                                et sauvegarder le langage forgé par Freud, 
                                dont la connaissance représente la base 
                                théorique indispensable pour la pratique 
                                d’une discipline aussi nouvelle aujourd’hui qu’il 
                                y a un siècle, l’ont laissé tomber 
                                en délitescence.
                              Le 
                                pouvoir de la psychiatrie d’une part, n’a cessé 
                                de vouloir peser de toute sa masse - et continue 
                                -, contre le désir formel de Freud, dans 
                                le but de s’accaparer la psychanalyse, jusqu’au 
                                point d’essayer d’en faire son pré carré 
                                exclusif ; d’autre part, contre le désir 
                                tout aussi formel de Freud, la philosophie a tenté 
                                - et continue - un contre-pouvoir à la 
                                psychiatrie, en tirant vers elle la psychanalyse. 
                                Et ce par des discours tendant à invalider 
                                la découverte de Freud en arguant par exemple 
                                que le terme d’”inconscient“ existait 
                                déjà avant lui, sous-entendant que 
                                ce serait une preuve de non-paternité de 
                                la discipline elle-même et de son efficacité 
                                ; répandant, arguments philosophiques et 
                                calembours de Lacan à la rescousse, que 
                                la psychanalyse n’est pas une science, ni humaine, 
                                ni du langage, ni de rien... Tout cela a produit 
                                ceci que les résistances n’ont pas failli 
                                d’un gramme et essuient toujours leurs pieds sur 
                                la psychanalyse, dont il est évident maintenant 
                                qu’elle ne sera jamais reconnue comme science 
                                expérimentale.
                              Freud 
                                craignait que la psychanalyse ne devint la domestique 
                                ou / et la “danseuse” de la psychiatrie. 
                                De même, dès Totem et Tabou, 
                                il comparait le système philosophique, 
                                depuis la fin des Lumières, à une 
                                caricature écrivait-il, du système 
                                du délirant.
                              Aujourd’hui, 
                                soyons plus terre à terre, reconnaissons 
                                humblement que tous les pouvoirs qui se sont opposés 
                                à la psychanalyse en tant que science expérimentale 
                                autonome, à part entière, ont réussi 
                                à ce que la psychanalyse ait été 
                                ravalée, en France en tous cas, à 
                                l’état de “paillasson” public.