Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein

Au sujet de la pulsion, suivi d’extraits de

Freud • « Abrégé de Psychanalyse »

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object.
Samuel Beckett
• “The Unspeakable one”
Underlined in « Jargon of the Authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point
ψ = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Micheline Weinstein   / 04 juillet 2011

Au sujet de la pulsion...

À ce sujet de la pulsion incontrôlée, puisque c’est de cela dont il s’agit dans la bruyante et peu ragoûtante affaire DSK, je souhaiterais donner à lire, pour celles et ceux qui ne les connaissent pas encore, quelques extraits de l’« Abrégé de Psychanalyse » de Freud, dans lequel sont collectés des écrits pédagogiques datant de 1938, publiés après sa mort en 1940.

Mais auparavant, quelques réflexions éparses, transmises de-ci de-là, par courrier, à des proches amicaux ou/et professionnels.

À mon étonnement, plus cette affaire avançait, plus son spectacle sexuel reculait, au profit de la réhabilitation d’un “honneur entaché” dont DSK aurait été victime.

Pourtant, côté spectacle et quelles que soient les déclarations contradictoires sur le mode de vie de Nafissatou Diallo, la présomption portant sur ses rapports avec un “milieu”  glauque du Bronx, destinés - pour qui ? - à moissonner une somme coquette - toutes choses étant étrangères stricto sensu aux violences sexuelles -, du spectacle sexuel, il y en eût, sinon en direct, du moins en simultané.

Je dirai crûment que, non seulement dans les tapis et autres mobiliers du Sofitel, mais à la face du monde, DSK a giclé partout ce que je ne nommerai pas.

D’autre part, s’il y eût “complot”, et peut-être y-a-t-il eu, qu’est-ce qui explique qu’un homme aussi intelligent, sinon par incapacité de contrôler sa compulsion, se soit laissé tomber dans le piège  ?

L’on a vilipendé un “puritanisme” américain et le terme “pervers” affiché par la presse américaine, favorisant la thèse du “séducteur”.

Et cela, comme si DSK aimait les femmes, en tant que personnes humaines, sujets parlant et pensant, précisons-le. Comme s’il ne les traitait pas brutalement en objets partiels de satisfaction immédiate. Comme s’il ne les harcelait pas pour assouvir sa frénésie compulsive...

Oubliant, pendant tout ce temps, de demander, ne serait-ce qu’à une seule femme si, franchement, en dehors de la recherche d’acquisition de bénéfices politico-financiers et autres privilèges, elle conçoit un rapport sexuel passager ou durable avec ce poussah congestionné qui de surcroît n’est plus de toute première fraîcheur.

C’est très étrange. Dans n’importe quel manuel sérieux de psychiatrie, l’on trouvera, au chapitre “perversions actives”, mises en actes, parmi leurs traits caractéristiques, les termes de “sadisme, harcèlement, fétichisme, violences sexuelles, échangisme... ” et j’en passe de nombreux...

L’on est moins discrets - les Américains aussi bien - éditorialement, sur les mœurs supposées de personnages célèbres, quand l’on farfouille infantilement dans la vie de Freud, de sa fille et de quelques autres, pour seule finalité de leur attribuer des écarts sexuels, sans avoir jamais voulu lire et entendre que cela ne les concernait pas, qu’ils se trompent de sujet. La psychanalyse, à l’image de la névrose qui est le négatif de la perversion active, avec laquelle elle est incompatible, a comme principe premier que les choses, elle les parle, les écoute, les théorise quand elle est douée, elle ne les fait, ne les agit, pas. Le renoncement aux pulsions, leur maîtrise en vue de les sublimer, ou les transcender si l’on préfère, présentent aux analysants, d’entrée d’analyse, la perspective de ce que devrait être sa fin, pour qui n’envisage pas de devenir analyste.

Mais c’est ainsi que j’ai été enseignée, et cela est un point de vue qui n’engage que ma conception personnelle de l’analyse, je ne suis pas tout à fait seule à la partager.

Il y a un point sur lequel il me semble que Freud n’a pas eu le temps de s’attarder pour l’étudier plus à fond. C’est celui de la sublimation justement. Je pense que, contrairement à ce qu’il expose et réitère parfois, les femmes sont beaucoup plus aptes que les hommes à sublimer leur pulsion sexuelle, c’est-à-dire à la diriger vers des tâches plus élevées, ce dont personne ne niera l’évidence quand elles occupent, dans quelque domaine que ce soit de l’éducation, de la politique, de la santé mentale ou physique, syndical, des postes à responsabilités - ces exemples sont publics uniquement pour faire bref.

Si Freud à son époque s’est limité aux traumatismes subis par les enfants, Anna Freud et son entour, pour la plupart analystes, mais aussi pédagogues féminins et masculins, avec celles que l’on nomme selon une certaine condescendance “Les féministes”, ont pris le relais pour attirer l’attention sur les violences portées à toute personne, quels que soient son âge, son genre (!), sa condition, sa provenance, toisée comme faible physiquement et/ou psychiquement - saluons ici le “courage” des assaillants ! -, dans l’impossibilité de se défendre.

C’est ce chemin, encore difficile, emprunté depuis 3/4 de siècle par les générations qui ont précédé la nôtre, que nous continuons de suivre.

Nous lirons dans l’un des extraits ci-dessous - mais aussi dans d’autres écrits, tels « L’Homme aux Loups », « Constructions en analyse »... - , que Freud n’a jamais rejeté les retombées catastrophiques consécutives aux traumatismes sexuels.

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Freud

Abrégé de Psychanalyse

Extraits

Les pulsions

Nous nommons Pulsions les forces que nous présumons sous-jacentes aux tensions causées par les besoins pressants du Ça. Elles sont représentatives des exigences du corps auprès de la vie psychique. Tout en étant à l’origine de chaque activité, les pulsions sont de nature conservatrice ; chaque tentative, par un organisme vivant, d’accéder à un nouvel état, se heurte instantanément à une mobilisation des forces, destinée à rétablir l’état antérieur.

[...]

La technique analytique

[...] une première déception nous attend, un premier avertissement à la pondération. Pour que le Moi du patient soit un allié précieux au cours de notre travail commun, il est indispensable, aussi dures les pressions exercées par les puissances hostiles soient-elles, qu’il ait conservé un certain degré de cohérence, un fragment de discernement envers les exigences de la réalité. Or, il ne peut être attendu émanant du Moi du psychotique, lequel ne peut respecter un tel accord [celui du protocole analytique]. Peut-il seulement l’appréhender Car il nous aura, notre personne et l’aide que nous lui proposons, très bientôt éjectés et expédiés dans cette région du monde extérieur qui, pour lui, ne signifie plus rien. Si bien que nous reconnaissons que nous devons renoncer à expérimenter, auprès du psychotique, notre protocole thérapeutique. Peut-être renoncer définitivement, peut-être à titre provisoire seulement, jusqu’à ce que nous ayons découvert une autre méthode qui lui serait davantage adaptée.

[...]

Névroses et psychoses sont les états dans lesquels se manifestent les dysfonctionnements de l’appareil psychique. Nous avons choisi, pour objet de notre étude, de nous limiter aux névroses, puisqu’elles seules paraissent accessibles à notre méthode de traitement psychique.

[...]

Avant de procéder à notre description, présentons l’un de nos principaux résultats. À l’inverse par exemple des maladies contagieuses, les névroses n’ont pas de déterminants spécifiques. Il serait oiseux d’y chercher des agents pathogènes. Elles se relient à ladite norme par des transitions assez fluides et, par ailleurs, il y a peu d’état reconnu comme normal où l’on ne puisse mettre en évidence une ébauche de tracé névrotique.

[...]

Ce sont aux disharmonies quantitatives qu’incombe la responsabilité des insuffisances et de la souffrance des névrosés. L’origine de toutes les formes que prend la psyché de l’humain est à trouver dans l’interaction des dispositions innées avec les événements accidentels vécus. Ainsi, au cours de la vie, telle pulsion précise peut se révéler trop puissante ou trop faible, telle faculté particulière peut s’étioler ou ne pas suffisamment se développer. Par ailleurs, les impressions extérieures et les expériences vécues peuvent imposer, selon les êtres humains, des exigences plus ou moins grandes, et ce que l’un peut surmonter de par sa constitution, sera pour un autre une tâche beaucoup trop difficile. Ces différences quantitatives détermineront la diversité des résultats.

[...]

L’expérience analytique nous enseigne qu’il y a assurément une exigence pulsionnelle dont la réalisation échoue très précocement ou qui ne se résout que partiellement et qui, à une certaine époque de la vie entre exclusivement ou de façon prépondérante en ligne de compte dans la genèse d’une névrose.

[...]

N’oublions pas non plus d’inclure l’influence de la civilisation comme clause de la formation d’une névrose. Le barbare, nous le constatons, n’a aucun mal à se porter comme un charme, tandis que pour l’humain civilisé se maintenir en bonne santé est une tâche rude.

[...]

Les abus sexuels, les altérations des mœurs

Notre attention doit être en tout premier lieu retenue par les répercussions de certaines influences qui, si elles ne frappent pas tous les enfants, sont cependant fréquentes. Ainsi les abus sexuels commis par des adultes sur les enfants, leur détournement par d’autres enfants un peu plus âgés (fratrie)... et, ce à quoi l’on ne s’attendait pas, le profond trouble qui les agite, quand ils participent en tant que témoins visuels ou auditifs, aux ébats sexuels entre adultes (les parents) et cela à une époque où l’on n’aurait imaginé ni que de telles scènes puissent les intéresser, ni qu’ils puissent en saisir le sens, sans que leur mémoire n’ait la faculté d’en garder les marques.

[...]

La satisfaction immédiate des pulsions

[...] une satisfaction immédiate et brutale de la pulsion exigée par le Ça entraînerait le plus souvent de dangereux conflits avec le monde extérieur et mènerait au naufrage. Le Ça ne connaît aucune sollicitude envers la sauvegarde de la pérennité, il ignore l’angoisse.

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ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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