© Gil Jouanard 
                              Septembre 2009
                              Variations sur le silence...
                              Extraits de « Moments donnés »
                              Deux inédits de 
                              Gil Jouanard
                              précédés de
                              « Je ne comprends plus ce monde »
                              par
                              Micheline Weinstein
                              “Je ne comprends plus ce monde”, écrivait Freud 
                                à Eitingon le 6 février 1938, reprenant, 
                                en les modifiant à peine, les derniers 
                                mots de Marie Madeleine de Hebbel (citation 
                                exacte : “Je ne comprends plus le monde”). 
                              
                              Ainsi cette cavatine se faisait ma compagne, alors que j'allais paisiblement, 
                                par une belle journée d'arrière-saison, 
                                au devant d'une rencontre avec Gil Jouanard.
                              Je ne comprends plus ce monde où l'on braille tout le temps dans 
                                des micros assourdissants, où l'on tape 
                                sur les esprits à coups de rythmes à 
                                deux temps (boum-boum, boum-boum, boum-boum... 
                                ), qui sont l'indigence extrême de la musique, 
                                où le tapage, le bruit, s'appellent musique, 
                                où l'on s'apostrophe en termes de slogans, 
                                s'invectivant, où l'on pille et l'on pille 
                                comme des goinfres, où les “psys”, 
                                ne dédaignant pas les compromissions, se 
                                montrent pérorant dans les média, 
                                ne bronchent pas quand, parmi leurs intitulés, 
                                dans la meilleure presse, sur les bandes-annonces 
                                télévisuelles, il en est un qui 
                                s'écrit, de plus en plus souvent, “psychanaliste” 
                                avec un “i”, ce qui en dit long sur 
                                une connaissance minimale de Freud et sur la transmission 
                                de la psychanalyse, où les exhibitions 
                                - toujours d'origine sexuelle - sont érigées 
                                en savoir-faire banalisé, où l'argent, 
                                l'argent, l'argent...
                              Où la solitude morale que s'entr'administrent les milliards d'humains, 
                                où la déréliction, le dénuement, 
                                l'exclusion sous toutes ses formes et ses prétextes, 
                                les rivalités issues de la jalousie infantile 
                                ordinaire, donc idiotes, en ce qu'elles tuent 
                                l'émulation de l'esprit, pourraient se 
                                résumer en une expression tueuse : l'assassinat 
                                de la reconnaissance de l'autre, qui est vitale. 
                                Les humains s'entr'infligent des blessures narcissiques 
                                irréparables.
                              Outre la misère et la paupérisation matérielles, 
                                personne ne demande rien à personne, n'en 
                                attend rien, les chômeurs qui sombrent dans 
                                l'une ou l'autre débine ou, pour les mieux 
                                armés, ne sombrent pas, l'éprouvent, 
                                le savent et le disent, mais ce n'est qu'un exemple... 
                              
                              L'éloge des temps modernes, semblerait-il, est à l'horizontalité. 
                              
                              Bref, tout cela dans un vacarme bavard, tonitruant. 
                              Il n'y a plus aucune place pour le silence.
                              Il n'y a plus guère de place non plus pour la psychanalyse, dont 
                                la pratique se fonde sur la discrétion, 
                                sur le silence, garant du prix de la parole de 
                                l'autre, de l'écoute bienveillante 
                                de la parole du sujet, garant de sa vie privée. 
                              
                              La psychanalyse, faut-il le rappeler, consiste, et c'est cela sa limite, 
                                selon des principes théoriques et une pratique 
                                forgés par Freud, cependant qu'en continuelle 
                                évolution, à aider l'être 
                                humain, quel que soit son âge, en souffrance 
                                psychique littéralement invivable, 
                                à se reconstituer individuellement, de 
                                sorte de pouvoir rejoindre, à sa mesure, 
                                avec son style, ses goûts, ses désirs 
                                et ses imperfections, la collectivité, 
                                et y occuper sa place. Dans le fond, l'intégration, 
                                c'est cela. 
                              Tout le reste, à commencer par ce qui concerne l'analyse individuelle 
                                du futur analyste, ses études, sa formation 
                                accompagnée et contrôlée, 
                                ainsi que l'éthique de la psychanalyse, 
                                relèvent, comme chacun des autres “arts”, 
                                de sa discipline propre et ne ressortissent guère 
                                du domaine public. 
                              Mais ce n'est là que l'enseignement que j'ai reçu, il n'a 
                                aucune prétention à représenter 
                                une vérité intangible de la profession.
                              Bref, cheminant en silence, isolée du monde extérieur par 
                                l'air de ma cavatine, je me disais que je ne m'étais, 
                                hélas, pas trompée de siècle 
                                ; si l'on excepte les progrès techniques, 
                                rien n'a véritablement changé dans 
                                les conduites de la nature humaine.
                              C'est pourquoi, arrivée à bon port, j'ai demandé 
                                à Gil Jouanard ses variations musicales 
                                sur le silence.
                              ø
                              Gil Jouanard
                              Le silence et ses alentours
                              Premier bruit du matin du premier jour de la neuvième années 
                                du vingt-et-unième siècle de l’ère 
                                arbitrairement déclarée chrétienne : 
                                claquement sec d’une portière d’automobile, 
                                aussitôt suivi du bref grommellement enroué 
                                du moteur du dit véhicule, qui ne fait 
                                pas trop d’histoires pour se mettre en marche, 
                                entraînant dans son élan la masse 
                                métallique du véhicule dont on peut 
                                supposer qu’une oreille exercée saurait 
                                reconnaître la marque et même sans 
                                doute le modèle.
                              Pour moi, qui suis devant la mécanique à peu près 
                                aussi ignorant que je peux l’être, 
                                par ailleurs, face aux cunéiformes sumériens 
                                ou aux idéogrammes chinois, je ne saurais 
                                rien dire d’autre que ceci : une voiture 
                                automobile de marque et de modèle inconnus 
                                est en train d’inaugurer cette hivernale 
                                matinée et cette année placée 
                                sous de moroses auspices en quittant son port 
                                d’attache, qui était, sans doute 
                                provisoirement, le trottoir situé devant 
                                l’entrée du Palais du Peuple, autrement 
                                dit l’immeuble que l’Armée 
                                du Salut implanta à cet endroit sans doute 
                                à l’époque où la Bièvre, 
                                qui avait coulé là depuis des siècles 
                                et peut-être des millénaires, s’est 
                                trouvée incarcérée sous des 
                                tonnes de bitume et d’asphalte, autant dire 
                                de goudron, punition que lui valut alors l’indécrottable 
                                puanteur que ses usagers, tanneurs et autres pratiquants 
                                de métiers salissants, lui faisaient dégager 
                                depuis au moins vingt générations 
                                d’êtres humains, mais aussi pour contribuer 
                                à la facilitation de la circulation urbaine, 
                                en cette époque cruciale, inaugurale du 
                                siècle vingtième, où les 
                                ancêtres de l’automobile matinale 
                                commencèrent à dévorer l’espace 
                                vicinal. 
                              Vroum vroum, pour reprendre la terminologie enfantine (qui ne rend au 
                                demeurant nullement compte de la nature exacte 
                                du bruit d’un moteur), et, hop ! C’est 
                                parti : a pu, toto…
                              Elle s’en est allée vers l’étrange destin des 
                                voitures dotées de moteurs à explosion : 
                                passé le big bang initial, puis le vroum 
                                vroum propulseur, elles se glissent, se faufilent, 
                                doublent, se font doubler, accélèrent, 
                                décélèrent, s’arrêtent 
                                pile au feu rouge, repartent de plus belle au 
                                vert, n’ont pas plus d’états 
                                d’âme que d’opinions sur quoi 
                                que ce soit, roulent, progressent et, finalement, 
                                sont mises aux arrêts de rigueur et assignées 
                                à résidence pour quelques minutes, 
                                quelques heures ou quelques jours, le long de 
                                trottoirs qui en ont vu d’autres et qui 
                                en verront à profusion aussi longtemps 
                                que durera leur vie de trottoirs bien disciplinés 
                                et muets comme des carpes (y en a-t-il encore, 
                                là-dessous, dans la Bièvre, des 
                                carpes ? Sûrement pas, ni même 
                                de ces castors qui, soit disant, donnèrent 
                                son nom de baptême à l’infime 
                                cours d’eau francilien, nom que l’on 
                                suppose donc extrait de l’occulte lexique 
                                dont la langue gauloise ne nous a laissé 
                                que quelques bribes, parmi lesquelles ce mot : 
                                cheval, qui fut attribué à l’ancêtre 
                                de l’automobile, de préférence 
                                à l’equus latin et même au hippos grec, que l’on consola en les employant toutefois 
                                dans des situations langagières relevant 
                                du grand ensemble cavalier). 
                              Ainsi, l’année s’ouvre (pour mes oreilles et pour 
                                leur inflexible Führer, ce cerveau doté de facultés cognitives 
                                puissantes et cependant raffinées, incluant 
                                une honnête maîtrise de la science 
                                étymologique), une année pleine 
                                de joies (au pluriel) et de bonheur (au singulier) 
                                chaleureusement souhaités par les fournisseurs 
                                de vœux en gros ou en détail, tandis 
                                qu’ils sont au bout de la chaîne fébrilement 
                                espérés par leurs réceptionnistes 
                                pris de façon plus individuelle et même 
                                assez résolument égoïste.
                              Le vroum vroum qui s’éteint lentement dans la nuit des passages 
                                protégés et des feux alternés 
                                a tenu son rôle avec expertise et une relative 
                                discrétion, dont je lui sais, ou sied, 
                                gré (à ne pas confondre avec grès, 
                                qui est une qualité de roche friable, même 
                                si le gré n’est pas notablement plus 
                                fiable et durable que la tendre pierre familière 
                                des bords du fleuve Rhin, lequel en compte un 
                                massif entier). Le ronron du moteur à explosion 
                                n’aura même pas duré ce que 
                                dure le gré, l’espace d’une 
                                ère géologique bien comptée. 
                                Il s’est d’abord atténué, 
                                assourdi, éloigné, puis effiloché 
                                et enfin, après avoir continué un 
                                moment de façon sporadique, il s’est 
                                éteint, ainsi que fait le souffle entre 
                                les lèvres d’un mourant.
                              Pauvre mourant, je lui souhaite bien du plaisir, quand il aura rejoint 
                                les couches superficielles de la croûte 
                                terrestre ou ce petit local, solidaire d’un 
                                vaste colombarium, en quelque recoin isolé du Père-Lachaise 
                                ou de tout autre lieu spécialisé 
                                dans l’inhumation des défunts. Ce 
                                qu’il va s’ennuyer ! Ce que l’éternité 
                                va lui paraître longue, fastidieuse ! 
                                Ce sera au point d’en mourir une seconde 
                                fois, d’ennui, quoique en pleine santé 
                                mortuaire et mortifère. 
                              Si le cas du cheval est clair comme de l’eau de la fontaine de 
                                Nemausus (source sacrée des Gaulois de 
                                la puissante tribu des Volques Arécomique), 
                                celui du colombarium reste rétif à mes efforts d’entendement. 
                                Qu’est-ce que la colombe, animal expert 
                                en roucoulades et doté de mœurs légendairement 
                                pacifiques, réputé d’autre 
                                part pour sa fidélité conjugale, 
                                a à voir ou à faire avec ce garage 
                                pour petits tas de cendres littéralement 
                                emboîtés, ou si l’on préfère 
                                enurnés ? 
                                Et qu’est-ce qui a bien pu (et cela depuis 
                                les temps anciens et l’énigmatique 
                                civilisation des kourghanes, des champs d’urnes 
                                et de tout le tintouin hallstattien dont nul n’ignore 
                                l’influence passée) pousser l’animal 
                                humain à brûler les cadavres de ceux 
                                de son espèce, lorsqu’ils passaient 
                                à gauche l’arme de poing, longuement 
                                mais très approximativement effilée ? 
                                En quoi était-ce plus respectueux que de 
                                les livrer sous forme d’engrais à 
                                la bonne terre arable où ils auraient commencé, 
                                enfin, à devenir utiles après avoir 
                                profité des dizaines d’années 
                                durant de la prodigalité de l’humus 
                                et du terreau unis comme un seul sol (et 
                                ce que je dis des gens de cette époque 
                                vaut pour ceux d’aujourd’hui) ? Entre 
                                nous, et sans vouloir semer la zizanie ni dire 
                                de mal de qui que ce soit, quelqu’un serait-il 
                                en mesure de me préciser quel pourcentage 
                                de matière humaine carbonisée demeure, 
                                de façon résiduelle, dans ce tas 
                                de cendre, où j’ai le regret de dire 
                                que, selon moi, le bois doit largement s’octroyer 
                                la part du lion ?). 
                              Mais cessons de cancaner et de tout faire pour discréditer les 
                                mœurs funéraires d’un nombre 
                                sans cesse plus élevé de nos contemporains 
                                (nombre auquel je précise qu’avec 
                                un vague relent de honte et une marque bien décevante 
                                d’inconséquence si l’on s’en 
                                tient aux propos qui précèdent, 
                                je souhaite voir s’adjoindre d’ici 
                                quelques années mon propre cadavre, priant 
                                donc ici-même mes exécuteurs testamentaires 
                                et funéraires d’avoir la bonté 
                                d’ajouter mes cendres à celles des 
                                adeptes de ces moeurs, la lente et fatale désaffection 
                                des cimetières par les familles compatissantes 
                                ayant tendance à s’accroître. 
                                Ce sera une façon d’échapper 
                                à cette triste fatalité qui veut 
                                que les familles, sans cesse occupées à 
                                sacrifier aux soins de mille urgences peu contournables, 
                                laissent peu à peu se dégrader l’environnement 
                                des pierres tombales, où l’on ne 
                                manque pas de remarquer l’efficacité 
                                du travail de réinvestissement prodigué 
                                par la matière végétale dans 
                                ceux de ces cimetières de campagne où 
                                la voirie communale est toute symbolique).
                              Parfois, on le voit, la parenthèse, qui noie certes pas mal de 
                                poissons en les immergeant entre ses serres extensibles 
                                quasiment à l’infini (ainsi qu’en 
                                sait habilement user l’art arabe du conte), 
                                la parenthèse donc permet de brasser large 
                                et de faire se démultiplier une question, 
                                une proposition, anodines en elles-mêmes, 
                                en des centaines de sous-entendus, d’attendus, 
                                de dérivations traversiers. Et, tout étant 
                                notoirement dans tout, on voit bien que la matière 
                                ne manque pas, à qui cherche désespérément 
                                à s’y retrouver ; et pour cela 
                                (de même que pour revivre il faut d’abord 
                                mourir et traverser les épreuves initiatiques 
                                de la chambre d’Osiris) il importe de s’aventurer 
                                jusqu’à la limite la plus extrême 
                                où l’on est à deux doigts 
                                de perdre le fil d’Ariane et de sombrer 
                                dans les ombres vacillantes de l’antre du 
                                Minotaure.
                              Il est donc bien clair que rien n’est clair. Et ce bruit qui s’est 
                                dissipé avec parcimonie avant de se dissoudre 
                                dans un remugle de pluie de saison fut une occasion 
                                aussi opportune que l’aurait été 
                                n’importe quelle autre, toute occasion étant 
                                habitée du dessein secret de faire son 
                                larron particulier. 
                              Larron d’occasion plutôt que dindon de la farce, j’ai 
                                choisi de saisir par les cornes le moindre aurochs 
                                de passage et de m’en servir de cheval d’arçon 
                                pour y effectuer des galipettes et des triples 
                                sauts périlleux. Tout saut est moins périlleux 
                                que celui qui nous fait journellement choir dans 
                                la sottise. A bas le saut du sot ; vive le 
                                saut de la sotie (qui s’écrit 
                                aussi sottie, 
                                sans doute pour s’étayer plus sûrement 
                                !)
                              Chut : l’an s’avance à pas de léopard. 
                                Sus à l’an qui vient ! A l’assaut de 
                                l’an que ven, 
                                comme on dit, du moins phonétiquement, 
                                en provençal !
                              Paris, 
                              ce 1er janvier 2009, autour de six heures 
                              Ce jour, 1er janvier de l’an pseudo 2009 (qui est en 
                                fait quelque chose comme l’an 45009 camouflé 
                                en dérisoire bibelot de sacristie), je 
                                ne sais que dire ni que penser du silence qui 
                                a pris en mains, depuis le lever de la grisaille 
                                de saison, l’atmosphère de l’urbs 
                                parisiensis. Impressionnant, en tout cas et quoi qu’il en 
                                soit, ce silence à décorner les 
                                bœufs Apis aussi bien que les vaches à 
                                pis. 
                              Un silence de derrière les fagots. Ceux qui le sentent justement, 
                                le fagot, ce sont ceux parmi lesquels se consument 
                                à petit feu l’âme obscure du 
                                philosophe de Rembrandt du Rhin, celle du Faust 
                                de Goethe, vieux beau brûlant ses dernières 
                                gouttes de sperme décati, celle du distrait 
                                Vater qui, n’en croyant pas les yeux de son Armes 
                                Kind, néglige 
                                l’offensive translucide des nixes et des 
                                Zwerge 
                                de Walpurgis, des djinns du désert et de 
                                tous ces envahisseurs touraniens qui viennent 
                                frapper aux portes d’Europe, la grasse châtelaine 
                                enlevée par les centaures sagittaires. 
                                
                              Ah, Leur Dieu, que la vie est simple et tranquille, dans sa si voluptueuse 
                                complication, quand soudain, du silence abyssal, 
                                sort un mutisme aussi radical que rédhibitoire !
                              Rien ne se passe, personne n’a lieu ; tutto va bene, alles 
                                in ordnung, 
                                à la virgule près. Verlaine peut 
                                prendre sur lui en sa cellule d’alcoolo 
                                où il ne sait plus s’il a tenté 
                                d’occire l’affreux Jojo ardennais 
                                ou s’il en fut la cible manquée de 
                                justesse. Il peut aussi se hasarder sans risque 
                                majeur à stipuler que cette paisible 
                                rumeur là vient de la ville.
                              La ville languit triste et solitaire, et elle insiste en bis : elle languit 
                                triste et solitaire. 
                                On dirait, à la fin, ces héros d’opéras 
                                comiques qui chantent la la la, la la, 
                                partons, la partons, la partons, 
                                et qui ne bougent pas d’un millimètre, 
                                plantés sur l’arc bandé de 
                                leurs cordes vocales. Alors que l’on sait 
                                parfaitement de quoi il retourne et que ce ridicule 
                                cache un pathétique de situation, surgi 
                                du fond de rien du tout, le jour où, chaman 
                                ou gribouilleur de parois calcaires, un ahuri 
                                s’avisa de constater que, seul au monde 
                                face à l’adversité et avec 
                                une espérance de vie de trois ou quatre 
                                dizaines de doubles semestres, il n’était 
                                pas grand-chose et cependant, ce qui veut dire 
                                toutefois, plus que tout. Comment se remettre 
                                d’un tel bilan de santé mentale ?
                              Que la pourriture, fût-elle incidemment partie un jour quelconque 
                                des tourbières du Jutland, a fini par recouvrir 
                                le monde : voilà ce qu’il ne 
                                peut éviter de se dire en son Internet 
                                mental de linotte, notre Prince d’Aquitaine 
                                à la tour abolie, naturalisé Danois 
                                de circonstance et par procuration.
                              Idiot putatif, le voilà qui s’avance démasqué, 
                                tel Casanova dégurgité par les cours 
                                royales et impériales pour enfin revenir 
                                s’échouer dans le cul-de-basse-fosse 
                                de sa putride enfance lombardo-vénitienne.
                              Les choses changent certes, mais immuablement. Faisant du sur-place à 
                                vitesse supersonique. Et rien n’y fait, 
                                puisque rien non plus ne se crée ni ne 
                                se perd.
                              Tout est là, aseptisé, neutralisé, désamorcé, 
                                placé sous vide. Lyophilisé. Inoffensif. 
                                Ilot de sérénité au milieu 
                                du tourment universel. Nul et non avenu.
                              Ah, être le dernier non avenu, ne serait-ce pas un rêve digne 
                                de figurer en bonne place parmi les nobles aspirations 
                                de tout être digne de foi ?
                              Bien sûr que si, puisque ce que l’on dit sans avoir réfléchi 
                                est toujours ce qui se fait de plus proche de 
                                la vérité.
                              La la la la, la la, partons, la partons, la partons…
                              Paris, ce 1er janvier 2009, placé 
                                décidément sous le signe de la facétie.
                              Il m’est souvent arrivé, pour des raisons diverses -- naguère 
                                déposé là par un train de 
                                banlieue, mais l’étant aujourd’hui 
                                plutôt par l’une des lignes du Réseau 
                                Express Régional --, de descendre dans 
                                l’une de ces gares qui, excepté aux 
                                heures de pointe où la vie s’empare 
                                d’elles avec emphase, somnolent en bordure 
                                d’une petite ville dont on ne sait pas très 
                                bien si elle appartient à la « grande 
                                ceinture » de la région parisienne 
                                ou si elle vient déjà émarger 
                                au registre des communes du Vexin ou du Valois. 
                              
                              Elles ont en commun de s’ouvrir, sauf exception notable, sur un 
                                rond-point ou un square rachitique, dont un côté 
                                fait place à l’un de ces cafés 
                                peu fréquentés que l’usage 
                                (dont l’imagination n’est pas la qualité 
                                principale) a fait généralement 
                                dénommer « Le Terminus », 
                                voire « Café de la Gare », 
                                si ce n’est « Les Voyageurs », 
                                et qui occupe l’un des angles de l’avenue 
                                bordée de marronniers, de peupliers ou 
                                de tilleul, qui s’enfonce dans la chair 
                                anesthésiée de l’ancienne 
                                bourgade, aujourd’hui reconvertie en cité 
                                dortoir.
                              L’impression première produite par ce silence saharien, 
                                c’est que les stigmates ou du moins les 
                                symptômes très apparents de la mort, 
                                dont la vision gêne le visiteur au point 
                                de lui donner le sentiment de venir participer 
                                à une veillée funéraire, 
                                ont progressivement grignoté l’atmosphère 
                                de ce qui dut être, autrefois, un bourg 
                                rural riant et besogneux.
                              Plusieurs de ces conservatoires de la somnolence, où l’ennui 
                                doit se sentir à son aise, ont du reste 
                                gardé à portée de ruelle 
                                ou de chemin traversier des reliquats de l’ancienne 
                                campagne, voire même de cette forêt 
                                gigantesque qui faisait un pourpoint fleuri à 
                                l’insolente, si proche et si lointaine, 
                                capitale.  
                              Prenez Saint-Rémy-lès-Chevreuse : sitôt sorti 
                                de la station ferroviaire, et si vous prenez sur 
                                la droite, mettons pour monter à pied, 
                                en suant et soufflant plus que de raison, jusqu’à 
                                la lointaine abbaye de Port-Royal, ce ne sont 
                                vite plus que champs à bovins, enclos pour 
                                chevaux de loisir, murs d’enceintes pour 
                                propriétés recrues de mémoire 
                                historique, fermes reconverties en résidences 
                                pour chanteurs à la mode, banquiers de 
                                moyenne envergure, couples de professeurs des 
                                universités lutéciennes, épiciers 
                                en gros, colonels à la retraite, seconds 
                                rôles assez notoires pour s’offrir, 
                                moyennant emprunt, ce p’tit coin d’paradis 
                                (les premiers rôles disposant des moyens 
                                leur permettant de pousser plus loin l’investigation 
                                immobilière et d’acquérir 
                                une gentilhommière rénovée 
                                dans le Périgord ou une bergerie aménagée, 
                                modernisée et transfigurée par un 
                                architecte en vue, dans l’incomparablement 
                                dénaturé Lubéron).
                              Mais, sans vouloir vexer le Vexin qui valoît moult davantasge 
                                du temps que calèches et tilburys trottoient 
                                et gambadoient de par la campagne jolye, 
                                tout ceci me paraît sentir le sapin, et 
                                de les voir ainsi figées, ces villettes 
                                rabougries et exsangues, qu’aujourd’hui 
                                menacent de tout côté une coalition 
                                de cités d’urgence, de zones industrielles 
                                et de centres commerciaux, peu s’en faut 
                                que larmes me viennent à l’œil 
                                et s’aillent épandre et proliférer, 
                                après m’avoir inondé les paupières, 
                                au saillant de mes pommettes et au méplat 
                                de mes joues, de part et d’autre de mon 
                                visage recru de déconfiture et de désolation.
                              Alors, à pas feutrés, comme pour ne pas déranger 
                                ce silence et pour ne pas laisser croire indûment 
                                qu’une âme continuerait de subsister 
                                et exister en ces lieux post apocalyptiques, je 
                                vais, je viens, tourne en rond, contemple cette 
                                porte cochère, apprécie ce meneau, 
                                soupèse l’âge de ce pan de 
                                rempart, soupire au-dedans de moi au rythme d’une 
                                pavane pincée sur la corde d’un luth 
                                digne de Vieux Gaultier ou de Jacques de Gallot, 
                                sinon du royal John Dowland. 
                              Puis, mettant à profit la prudence qui m’a fait acheter, 
                                en telle gare parisienne d’où j’étais 
                                matinalement parti, un billet valant pour le retour, 
                                je réinvestis à moi seul la petite 
                                gare qui vient se serrer autour de ma personne 
                                pour faire comme s’il y avait liesse et 
                                cohue, et je m’en vais au vent pas plus 
                                mauvais qu’un autre, retrouver ma Bièvre 
                                sans Bièvre, mes cordelières sans 
                                couvent, mon île aux singes sans plus la 
                                moindre ombre d’un vague primate ni celle 
                                de la plus modeste insularité. 
                              Bref, on l’aura compris : le monde n’est plus ce qu’il 
                                était.
                              Paris, ce dimanche 25 janvier 2009.
                              Quoique je sois depuis longtemps réveillé, j’aime, 
                                autour de cinq heures, m’attarder encore 
                                un peu dans les bras de la voluptueuse somnolence, 
                                mélange subtil de rêverie et de conscience 
                                claire. Ce matin, comme presque tous les matins, 
                                je fus tiré vers la coutumière réalité 
                                du dehors. Ce fut d’abord le sec et sonore 
                                claquement des talons effilés de chaussures 
                                féminines ; ce sont des habituées, 
                                ces chaussures-là, elles qui chaque jour 
                                à cette même heure, aux alentours 
                                de cinq heures trente, s’en vont probablement 
                                vers quelque bureau, soit à pied, soit 
                                par le bus ou le métro dont le Carrefour 
                                des Gobelins est l’embarcadère usuel. 
                                J’ignore à quoi peut ressembler leur 
                                passagère aux jambes alertes et aux jarrets 
                                vigoureux ; mais je me plais à l’imaginer 
                                aussi belle et désirable qu’on puisse 
                                l’espérer ; elle a de fait le 
                                rythme de marche d’une jeune beauté 
                                pleine de conviction et de confiance en elle-même.
                              L’autre bruit, qui m’a définitivement sorti de la 
                                douce torpeur, c’est celui, également 
                                familier, quoique moins ponctuel, du son qu’émettent 
                                en roulant sur le bitume les roulettes d’une 
                                valise. Nul bruit de pas ne l’accompagne, 
                                ce qui semble signifier que le tireur de valise 
                                est de sexe masculin, et que les semelles de ses 
                                chaussures ne sont pas ferrées (cas d’espèce 
                                désormais très fréquent, 
                                le crêpe ainsi que d’autres matières 
                                synthétiques souples ayant supplanté 
                                le cuir protégé à ses deux 
                                extrémités par ces petits arcs de 
                                cercles métallique conçus pour retarder 
                                l’usure du cuir).      
                              
                              Sans doute va-t-il lui aussi, par le 91, soit, en direction de l’ouest, 
                                à la gare Montparnasse, soit, vers l’est, 
                                à celle d’Austerlitz ou de Lyon. 
                                Et l’on peut tout imaginer : qu’il 
                                se rend à Trébeurden, à Agen 
                                ou à Carpentras pour y enterrer une vieille 
                                parente ; qu’il rejoint celle qu’il 
                                aime éperdument et songe en marchant 
                                aux caresses à venir ; qu’il se rend 
                                avec un espoir modéré à un 
                                rendez-vous d’embauche incertain ; 
                                qu’il profite de quelques jours de congés 
                                pour aller enfin visiter la Baie des Trépassés, 
                                le village et l’église romane de 
                                Conques ou le silencieux sanctuaire monacal de 
                                l’abbaye de Sénanque.
                              On peut tout imaginer au signal émis par ce roulement sur le bitume 
                                (ou peut-être vaut-il mieux dire l’asphalte), 
                                soudain chahuté par l’irruption passagère 
                                de pavés subsistant de l’ancienne 
                                couverture du sol urbain.
                              Leur point commun, outre le fait qu’ils passent sous mes fenêtres 
                                et qu’ils produisent un bruit aisément 
                                identifiable, c’est de passer quelque quatre 
                                ou cinq mètres au-dessus du lit de la Bièvre, 
                                dont la rue, ma rue, épouse scrupuleusement 
                                le parcours jusqu’à l’entrée 
                                de sa perpendiculaire, qui honore le nom de l’illustre 
                                inconnu Deslandres, où elle l’abandonne 
                                et la laisse, grossie de son bras vif, se jeter 
                                sous les voûtes souterraines du boulevard 
                                Arago, qu’elles traverseront, désormais 
                                étroitement confondues, afin de contourner 
                                les hauteurs de la montagne Sainte-Geneviève, 
                                puis d’aller se perdre dans le cloaque de 
                                la vieille Seine.
                              Ces spéculations n’ont pas tardé à me faire 
                                sauter du lit, comme l’on dit prétentieusement. 
                                Car, en réalité, c’est plutôt 
                                de glissement hors du dit lit qu’il s’agit. 
                                Et me voilà une fois de plus assis là, 
                                face à cette encoignure que fait la jonction 
                                de deux des quatre murs de ma chambre, avec, sur 
                                le côté droit de mon visage et du 
                                regard qui l’anime, cette vue sur la rue 
                                encore plongée dans l’obscurité. 
                                Obscurité dont l’empire déjà 
                                fragile est à cet instant contesté 
                                par la lueur d’une fenêtre du premier 
                                étage du Palais du Peuple et par celle, 
                                plus vive, d’une salle de classe du Lycée 
                                juif d’en face.
                              Les passants du matin commencent à se faire moins rares ; 
                                mais, avec mon réveil plein et entier et 
                                avec la multiplication progressive des sources 
                                sonores, le bruit de leur pas perd de sa consistance 
                                et finit par se dissoudre dans la rumeur ambiante.
                              Paris, ce mercredi 28 janvier 2009.
                              Bruits du soir dans la rue où la patience noircit de quelques 
                                degrés. Et ce sont des choses de peu de 
                                prix qui développent leur faisceau d’habitudes. 
                                De la vie à l’encan ; du temps 
                                qui se laisse gaspiller sans rechigner. Une voix 
                                vient froisser la surface de ce continuum familier. 
                                Elle s’étire en langueur avant de 
                                s’effacer dans le lointain du prochain carrefour. 
                                Puis tout d’un coup plus rien
                              Une musique droit venue du dedans de ma tête vient remplacer les 
                                rares sons qui s’étaient peu à 
                                peu effilochés, puis dissous. Elle s’attarde 
                                un peu, sans que je cède à la tentation 
                                de lui emboîter le pas et de fredonner à 
                                mon tour, comme elle le fait sans retenue à 
                                l’intérieur de mon cerveau ; 
                                c’est que je ne tiens pas à me donner 
                                à moi-même l’impression d’être 
                                de ces vieux grigous qui se parlent à eux-mêmes 
                                dans la rue, et dont on voit remuer les lèvres, 
                                ou même dont on entend la voix ressasser 
                                ses miséreuses et pathétiques obsessions.
                              Concentrons-nous donc sur la montée en force de la nuit, sur le 
                                scintillement des lampadaires harcelés 
                                par une tenace humidité ambiante, sur le 
                                jaunissement progressif des fenêtres, ici 
                                de franche tonalité, là tamisé 
                                ou estompé par un entrelacement de rideaux 
                                unis ou ornés d’élégantes 
                                dentelles (de Malines ? D’Alençon ? 
                                De Taïwan ?). 
                              Du silence, de la paix, le tout saupoudré d’un peu de rêverie 
                                discontinue, d’idées volages ne cessant 
                                de passer de l’une à l’autre, 
                                et même par moments de s’interpénétrer, 
                                de se grignoter l’une l’autre.
                              C’est que les idées, tout comme les rêveries, s’y 
                                entendent pour faire irruption, fuguer aussitôt, 
                                batifoler, virevolter, faire le saut périlleux. 
                                Le mieux, c’est de ne pas leur attacher 
                                trop d’importance et de les laisser mener 
                                leur train à leur guise. Elles seules savent 
                                où elles vont ; elles ont bien de 
                                la chance.
                              La nuit aussi sait où elle va : à son summum, puis 
                                à son decrescendo, et enfin, dans un nombre 
                                d’heures et de minutes que le calendrier 
                                a toute compétence pour nous indiquer par 
                                anticipation, reprendre le large, s’enfuit 
                                au bout du monde, reprendre son souffle et son 
                                élan pour la prochaine fournée.
                              Au fait, n’était-ce pas la nuit que mon père boulanger 
                                vivait de la façon la plus avérée, 
                                la plus évidente, lui qui sifflait, chantonnait 
                                ou se fendait de plaisanteries rituelles afin 
                                de se maintenir en éveil et de tirer derrière 
                                lui la vigilance de ses deux ouvriers et de son 
                                mitron, alors que, le matin venu, il n’était 
                                plus qu’un animal fourbu, se traînant 
                                jusqu’au bistro, puis jusqu’à 
                                son lit (qui, à ce régime, ne tarda 
                                pas à être celui de sa mort précoce). 
                              
                              Paris, ce vendredi 13 février 2009.
                              Silence et solitude sont les deux récompenses accordées 
                                à tout adepte du lever matinal. C’est 
                                pour lui seul que sont ces séraphins sacrés 
                                qui sifflent sur sa tête. Car tout n’est 
                                là soudain qu’ordre et beauté 
                                et, fi du luxe, calme et volupté. Bien 
                                au tiède dans l’ouate atmosphérique, 
                                il peut enfin dédier son ouïe aux 
                                filaments de bruit qui s’insinuent à 
                                menus sons dans le filigrane du mutisme universel, 
                                où Pascal n’avait pas raison de trouver 
                                les causes de son effroi. Qu’il ne se passe 
                                rien, que nul ne vienne encore peser ou poser, 
                                n’est-ce pas l’antichambre de la félicité ?
                              Que le monde puisse appartenir à ceux qui se lèvent tôt, 
                                ce n’est certes pas forcément que 
                                justice ; mais c’est tout naturel puisque 
                                la concurrence y est quasiment nulle.
                              Je m’assieds, la nuit et moi nous dévisageons avec autant 
                                de bienveillance que de familiarité, et 
                                nous n’avons, elle et moi, pas un mot à 
                                ajouter à ce délicat entretien. 
                                Si bien que je replie presque aussitôt les 
                                mots que j’avais placés à 
                                droite et à gauche de ma conscience, et 
                                je bâille enfin aux corneilles, submergé 
                                par un tsunami de néant réparateur.
                              Paris, ce mercredi 1er avril 2009 ; 
                                quatre heures cinq du matin.
                              ø
                              Autre variation sur le silence
                              (fraîche 
                                sortie de la couvée de ce matin)
                              Il est fréquent que, par pure ignorance, l’on se laisse 
                                aller à comparer le silence du petit matin 
                                --qui, du moins dans ma rue, ne subit aucune espèce 
                                d’égratignure-- à celui que 
                                dut connaître la terre au temps des premiers 
                                hommes dignes de ce nom, disons, pour être 
                                large, au Paléolithique moyen. Or rien 
                                n’est plus faux car le monde, à cette 
                                époque, fourmillait de bruits qui ont progressivement, 
                                mais depuis assez longtemps, disparu à 
                                jamais de nos contrées civilisées.
                              Car, à cette heure-ci, la cinquième du second jour d’un 
                                mois que nous appelons arbitrairement « février », 
                                voici deux cent mille ans, mais également 
                                cinquante mille et encore cinq mille, l’endroit 
                                où se trouve ma chambre (mais je dirais 
                                cela de presque n’importe quel autre lieu 
                                de la planète) était recouvert de 
                                ce que l’on appelle joliment un « tapis 
                                végétal » dont la densité 
                                était inextricable. Et, au sein de ce paradis 
                                botanique, cela regorgeait de vies productrices 
                                inlassables de pépiements, de caquetages, 
                                de rugissements, de, beuglements, de meuglements, 
                                de glapissements, de hululements, de roucoulements, 
                                de hennissements, d’aboiements, de barrissements, 
                                de criailleries, de sifflements ; la terre 
                                en était débordante, délirante, 
                                et le matin en gésine donnait lieu à 
                                une symphonie animalière digne d’un 
                                Saint-Saëns qui eût condensé 
                                sa ménagerie dans l’unissons d’une 
                                seule et même ligne musicale.
                              Non, ce qu’il rappelle, ou plutôt annonce, ce silence absolu, 
                                c’est celui des ultimes instants de vie 
                                de notre bien éphémère planète. 
                                C’est un silence prémonitoire. Celui 
                                qu’on dit de mort. 
                              C’est que, depuis les temps héroïques de la palpitation 
                                continuelle du cœur luxuriant de la réalité, 
                                l’homme a sévi. Cela fait longtemps 
                                qu’il fait tout pour ne voir devant lui 
                                qu’une seule tête, celle de son clone ; 
                                désormais, il ne veut plus entendre qu’un 
                                seul bruit : celui produit par sa nuisance 
                                mortelle. Car il veut savoir d’où 
                                viendra la fin du monde et, à tout prendre, 
                                cela le rassure de savoir que ce sera de lui. 
                                Il en aura été le maître et,  
                                après lui, le Déluge !
                              Chut ! Que ceci reste entre nous ; des fois que les canaris 
                                et les mainates dans leurs jolies petites cages 
                                sur les balcons, où ils concurrencent les 
                                touffes de fougère et les plans de citronniers 
                                stériles,   apprennent la nouvelle 
                                et se mettent à appeler Hitchcock à 
                                la rescousse ! Cela soudain se mettrait à 
                                faire un barouf de tous les diables et de tous 
                                les bons dieux enfin réunis en une chorale 
                                œcuménique. Et c’en serait fini 
                                à jamais du silence matinal. Car il ne 
                                faut jamais réveiller le Jahvé, 
                                le doux Jésus ou le Allah (akbar 
                                comme pas deux) qui dort. Mieux vaudrait, pour 
                                l’avenir du monde, le barrissement du mammouth, 
                                le meuglement de l’aurochs ou le rugissement 
                                du lion des cavernes, celui qui avait si fière 
                                allure avec ses deux dents en forme de sabre.
                              Paris, ce mercredi 2 
                                septembre 2009.