Psychanalyse et ideologie

Psi . le temps du non

Max Arian

Sauvé par la Résistance juive en Hollande

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Uspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.  
Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Max Arian / 1er septembre 2014

 

Max Arian

 

Sauvé par la résistance juive en Hollande

pendant la Seconde Guerre Mondiale

 

 Récit

 

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Prononcé le 25 février 2014 au Warlooplein à Amsterdam lors de la Commémoration de la Résistance juive en Hollande

 

Il ne serait pas surprenant que quelqu’un vienne à demander : pourquoi cette commémoration ? Pourquoi devriez-vous particulièrement commémorer la résistance juive pendant la Seconde Guerre mondiale ? Après tout, il y eut aussi de nombreux non-juifs qui sauvèrent des Juifs, et beaucoup de Juifs, au sein de groupes, prirent part à diverses formes de résistance non exclusivement juive. Et il est vrai que la résistance juive seule n’aurait jamais pu accomplir le plus important de son travail – aider à cacher des Juifs - sans la coopération des combattants non-juifs de la résistance.

C’est pour deux raisons que je vais maintenant parler des formes spécifiques de résistance juive. D’une part, parce que l’importance de cette résistance est encore largement sous-estimée dans les Pays-Bas, de l’autre, parce qu’elle fut essentielle pour moi en tant que petit garçon. Sans la résistance juive, je ne serais pas ici aujourd’hui. Pas plus que sans la résistance non-juive. Et cela ne me concerne pas non seulement à titre personnel, mais à celui de centaines d’enfants juifs qui furent alors cachés.

Petit garçon juif, je suis né en mars 1940, près d’ici, à Amsterdam, dans le Rapenburgerstraat. Mes parents étaient des gens tout à fait ordinaires. Bien que vivant dans le quartier juif, ils n’étaient pas très religieux, mais ils se sont tout de même mariés à la synagogue. Avant de se marier, ma mère travaillait dans un atelier de vêtements où l’on confectionnait des tenues de cérémonie, mon père était commercial chez un peintre. Il était connu pour ses sympathies de gauche et pour ne pas supporter l’injustice. C’était aussi un sportif, il avait fait de la boxe. Il était donc évident pour lui de participer aux groupes principalement juifs qui se rebellèrent ici en février 1941, au moment où des hommes armés de WA [Weerbaarheidsafdeling], membres de la division armée du NSB [Mouvement national-socialiste aux Pays-Bas] sont venus ici pour malmener le quartier juif, maltraiter les Juifs, exhiber leur puissance sous la protection de l’Occupant allemand.

C’est ici, sur la Waterlooplein que des hommes juifs encore jeunes manifestèrent leur résistance. C’est pourquoi ce monument devant lequel nous nous trouvons commémore les résistants juifs tombés dans la guerre.

Ce fut la première manifestation de la résistance juive.

Lors de ce combat, un gamin de la WA, nommé Koot WA, fut blessé et décéda quelques jours plus tard. Naturellement, la presse pro-allemande en fit grand tapage.

Mon père fut blessé par un coup de couteau dans le dos, et fut amené à un poste de premiers secours dans le Jodenbreestraat. Malheureusement, cet endroit était minutieusement administré, de sorte que dès le lendemain, il fut facile de traquer mon père pour l’interroger. Mais le poste de police Daniel Meijerplein réussit à établir un rapport de façon à ce que, dans l’immédiat, rien ne puisse être fait contre lui.

Près d’un an plus tard, l’enquête sur la mort de Koot fut rouverte, et mon père arrêté dans un traquenard. Finalement, au bout de six mois de prison, en juillet 1942, il fut déporté dans le premier transport pour Auschwitz, où il a été tué comme plus d’un million de Juifs.

Vous savez je pense qu’en février 1941, par représailles à cette première manifestation de résistance, puis à d’autres affrontements, les Allemands déportèrent 425 jeunes hommes juifs à Mauthausen en Autriche, où ils furent tous tués dans des conditions terribles. Vous savez aussi que la population d’Amsterdam répondit à ce premier raid par la grève massive et courageuse de février 1941. Avec Piet Nak, l’un des initiateurs de cette grève, mon père fut jeté dans une cellule de la prison de la Weteringschans.

Mon père alors disparu vers une destination inconnue, ma mère essaya d’éviter de tomber dans les mains des Allemands. Mais elle fut tout de même arrêtée et ce fut mon oncle Nico de Klijn qui réussit à la libérer de la police. Mais elle fut arrêtée une seconde fois et conduite au Hollandsche Schouwburg [Théâtre d’Amsterdam], où l’on rassemblait les Juifs avant de les déporter. C’est alors que Nico de Klijn lui montra comment sortir par la cour du théâtre en passant par le jardin de la maison adjacente.

C’est dans et autour du Hollandsche Schouwburg, cet avant-poste de la déportation, qu’un groupe fut formé par de jeunes hommes et femmes juifs qui aidèrent leurs semblables à fuir, comme Jac. Van der Kar l’a décrit dans son livre Joods Verzet, la Résistance juive dont mon oncle faisait partie sous cette forme spécifique.

À la suite de quoi, ma mère fut arrêtée de nouveau, pour la troisième fois, et fut alors emprisonnée et battue comme criminelle spéciale dans le Hollandsche Schouwburg. Elle eut alors le sentiment que tout était perdu et qu’elle aussi partirait en transport. Elle réussit pourtant à donner clandestinement une lettre à mon oncle : faites que l’enfant soit mis en sécurité. Cet enfant c’était moi, un garçon de trois ans. L’ironie fut que mon oncle m’amena à la crèche qui faisait face au Hollandsche Schouwburg, là où les enfants étaient abrités avant d’être déportés. C’est ainsi, qu’à son insu, il m’apporta directement dans la gueule du lion.

Il le fit en toute confiance, car il avait appris que les enfants juifs étaient amenés clandestinement, à partir de la crèche, dans la campagne de la Frise et du Limburg. Il connaissait personnellement l’un des combattants de la résistance, Theo de Bruin, et savait aussi que, sous la protection de Walter Süskind, tout un réseau avait été formé à l’époque pour sauver des enfants. Évidemment, cela ne pouvait se faire sans la participation active du personnel de la crèche, en particulier des femmes et des jeunes filles qui travaillaient dans et autour de cette pépinière. Ce fut une part importante de la résistance juive spécifique. Ce travail ne pouvait être fait que par les Juifs, mais seulement avec la coopération de non-juifs : quatre groupes emportaient les enfants. Dans le groupe de Theo de Bruin, le groupe NV [Société Anonyme] fit en sorte que je sois placé dans le Limburg auprès d’une famille bienveillante.

Finalement, ma mère fut aussi secourue par la Résistance juive, alors que, après avoir été transférée à la Rietlanden [La roselière], elle était déjà assise dans le train qui devait la conduire à Westerbork, le camp de concentration Néerlandais. Les résistants juifs du Hollandsche Schouwburg lui ont montré comment elle pouvait s’échapper. Ils appliquèrent un insigne du Conseil juif sur son bras, qui lui permit de quitter le train et de se cacher dans un autre train. Là, elle fut ensuite prise en charge par ce groupe de résistance et emportée dans la camionnette vide qui avait livré de la nourriture à la gare. Elle fut alors conduite dans le Limburg, comme je l’avais été moi-même, où elle put se cacher, et où elle m’a trouvé après la Libération, le 5 mai 1945.

Je ne dirai pas ici avec quelle générosité la famille Micheels m’a accueilli et caché à Heerlen, et avec laquelle nous sommes restés en contact étroit jusqu’aujourd’hui. Je ne développerai pas ce qu’il en fut, après guerre, de ma mère et de ma grand-mère - qui est revenue du camp de Theresienstadt -. Elles ont reconstruit une vie avec moi. Ni le bonheur que j’ai trouvé auprès de Maartje, ma femme, de mes enfants et de mes petits-enfants. Ma mère avait six arrière-petits-enfants, voici dix ans, quand elle est morte en paix, à l’âge de quatre-vingt dix ans. Ses derniers mots furent pour s’excuser de ne pouvoir me faire à manger...

Je ne vais même pas vous en dire beaucoup ici sur le groupe NV, largement constitué de jeunes d’origine chrétienne, qui m’a sauvé ainsi que 400 autres enfants juifs. Après maintes objections, ils ont finalement accepté la médaille des Justes en 1982 à Yad Vashem. Cependant, ce que je veux vous dire maintenant, c’est que j’ai entendu beaucoup de ces amis de la Résistance regretter que les résistants juifs ne reçoivent pas une telle distinction : “Pour ceci”, disaient-ils : “sans la Résistance juive nous n’aurions jamais pu sauver tous ces enfants.”

Et je veux ajouter quelque chose qui peut-être pour une fois mérite une attention particulière. Quand je pensais à la Résistance juive, j’ai réalisé que cette résistance, qui concerne les enfants, commence avec les parents juifs, prêts au plus grand sacrifice qu’il nous est possible de penser : confier votre enfant à des étrangers. Sans savoir s’ils ne reverraient jamais leurs enfants, sans savoir ce que sera leur destin.

La plupart des Juifs, à cette époque, ne savaient, je crois, encore rien sur les chambres à gaz, certains croyaient que l’on était emmené au loin pour travailler très dur, alors, ils décidèrent de rester avec leur famille. Tout aussi naïvement, d’autres ont fait valoir que l’Est serait trop épuisant, et que la question se posait de savoir si les enfants survivraient à cette épreuve.

Mais ceux qui eurent le courage de renoncer à leurs enfants, quand, par chance, les circonstances s’y prêtèrent, témoignent pour moi d’un grand héroïsme. Je veux honorer ces parents, ici en particulier, qui souvent n’ont pas survécu.

Leurs enfants sont bien vivants, et pour la plupart ont fondé des familles. Ils sont maintenant septuagénaires ou même plus âgés, et il arrive à beaucoup de transmettre l’histoire, comme je l’ai fait aujourd’hui. J’espère que vous ferez de même.

 

 

ψ  [Psi] • LE TEMPSDU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2015