© Micheline Weinstein
    
    
   
   
 6 • Suite Journal ininterrompu
  par intermittence 2020
  
   
Extension des post-it en vrac
  
   
Ich will
  Zeugnis ablegen bis zum letzten
[Je veux témoigner
  jusqu’au dernier jour]
Victor
  Klemperer • Journal 1933-1947
  
   
   
Réponse à une suggestion
  
   
17 mai 2020
  
   
Chère***
  
 
  
À
  la suite de quelques remarques de ma part, développées par ailleurs, au sujet des
  institutions de toutes extraces hiérarchiques établies sur une structure que je
  désigne par perverse fixée dans l’infantile - et non “schizophrène”, selon l’emploi
  abusif en cours depuis un demi-siècle d’une terminologie psychiatrique
  détournée -, vous m’avez suggéré de “laisser tomber” mes interprétations concernant
    les conduites de collègues lacaniens.
  
J’avais omis de préciser que mon propos ne s’adressait pas à des
  patronymes de psychanalystes, mais était l’objet d’un travail subjectif que j’ai entamé voici 53 ans,
  dont celui inclus entre autres travaux, de ce « Journal 1967-2020 », sur
  l’évolution en France de la psychanalyse, de psychanalystes lacaniens à titre
  individuel, d’aréopages...
  
Vous dites qu’un tel, une telle, des tels, sont ce que j’intitule des
  pieds nickelés ou des loquedus, c’est-à-dire ne méritent pas d’être convoqués,
  chacun, chacune, par son nom, et je suis entièrement d’accord avec vous, outre
  qu’il n’est pas dans mon style d’indexer ad
    personam, en particulier ces gens-là.
  
Cependant, suis-je sans doute trop imprégnée de valeurs
  traditionnelles, j’estime qu’il est dommageable envers les êtres en souffrance,
  lesquels livrent leur vie à l’écoute de psychanalystes censés en avoir la
  charge, quand l’on s’intitule psychanalyste déclaré exercer la psychanalyse,
  tout en étant atteint de crétinisme.
  
Cette position serait-elle due à mon itinéraire biographique ?
  
Quand, autour de mes 17 ans, je me suis mise en quête de trouver un ou
  une psychanalyste pour entreprendre une analyse personnelle, par manque
  d’argent, j’ai tout d’abord contacté ce qui s’appelait encore l’Institut de la
  rue Saint-Jacques.
  
Il n’y avait
  pas de place disponible à titre individuel avant des mois, si bien qu’à l’image
  d’un rituel médical, me fut proposée une analyse par un expert autorisé devant
  des postulants analystes.
  
Ce fut exclu.
  
Pour aller ici au plus bref, n’ayant eu d’autre repère de par ma
  naissance dans un monde investi par la Terreur, et en l’absence d’un “Moi” qui
  n’avait pu se construire, la psychanalyse consistait à mettre à l’épreuve la
  question que se posent très tôt les enfants : d’où est-ce que je viens ?
  
La seconde qui la suit de près, celle de la sexualité : comment ai-je été fabriquée ? ne m’intéressait pas.
  
Pour ce non-moi d’alors, la psychanalyse était la seule discipline, à
  l’exception de l’art, qui symbolisait le décri de toute appartenance à une
  classe sociale, une coterie quelle qu’elle soit, bref, à une idéologie,
  consciente, inconsciente ou de fait.
  
Alors que je ne croyais pas aux lendemains qui chantent - encore moins
  depuis -, j’étais pourtant niaise.
  
Après quelques années d’errances d’un-e psy à l’autre, issu-e de tel ou tel enseignement, sans grand effet sur mon
  mal-être, dans un échange à bâtons rompus avec Françoise Dolto, j’ai fait
  allusion, outre à ma boulimie qu’elle connaissait pour la lecture, à mon goût pour
  la musique - ce langage universel immémorial - qu’elle connaissait également et
  partageait, de prédominance dite classique, mais aussi pour la voix, le jazz,
  prenant en exemples de références à l’époque Mahalia Jackson et Louis Armstrong [Go down,
    Moses… let my people go...].
  
F. D. m’a
  donc orientée vers la seule psychanalyste en la France d’alors, née dans un
  continent tropical de culture francophone, berceau du vaudou, assujetti à la
  colonisation à la fin du XIXe siècle, elle-même, l’expérience auprès
  d’elle me l’ayant appris, grande amatrice de musique.
  
C’est ainsi
  que se fit mon entrée concrète dans le milieu lacanien.
  
J’ignorais que
  pour un temps versatile mon analyste était située à la droite du Père,
  nommément Lacan.
  
Plus tard,
  pour amorcer ma formation à la pratique de la psychanalyse, je lui ai annoncé
  que j’avais choisi François Perrier pour contrôleur ou superviseur, à mon sens
  le meilleur clinicien et théoricien de France avec Dolto pour la clinique. Sa réponse
  fut d’une telle indécence que, sortant de chez elle en titubant, sur le
  bateau de son immeuble, j’ai glissé, suis tombée sur le c... et me suis cassé le coccyx, ce que l’on
  appelle en avoir eu  plein le c... de ce langage.
  
Et ai pris
  rendez-vous avec Perrier.
  
À l’usage,
  j’ai su que j’avais plongé dans une fournaise, celle de la méchanceté, des
  rivalités de pouvoir, des ragots, des faveurs et des vogues, des homicides
  intellectuels, de l’esprit et des mœurs de secte, par-dessus tout ça, de
  l’ignorance délibérée par des gens
  privilégiés grâce (si j’ose dire) à leurs affiliations familiales et culturelles.
  
Un exemple =
  des centaines d’ouvrages psys, de colloques, de discours collectifs ou
  individuels, traitent de la psyché des héritiers directs de la déportation des
  Juifs. Je ne m’en tiendrai ici qu’aux orphelins intégraux de déportés
  assassinés lors de la 2e Guerre
  Mondiale et antérieurement dans les pogroms, dépourvus de patrimoine qui puisse
  les cataloguer dans une classe sociale dite favorisée.
  
Or, dans la vie réelle, il n’est pas rare qu’“on” - pour la plupart, ce
  sont des psychanalystes lacaniens non-analysés* -, leur parle, agisse envers
  eux, parfois à l’aide de signifiants déterrés du vocabulaire du XIXe siècle ou ramassés dans la première moitié du XXe, sans un minimum
  de respect humain, les empilant en tas ou les assimilant, pour cause de
  traumatismes n’est-ce pas, à des “cas” psychiatriques, les “pôvres”, comme si la psychanalyse n’existait pas,
  autrement dit comme s’ils étaient invalidés à tout jamais d’une maîtrise de
  leurs symptômes.
  
“On” leur
  jette des calomnies ad personam,
  comme ça se fait dans des millions de familles en quelque sorte. Détenant la
  vérité unique et indivisible, “on” toise et méprise leurs apports sous toutes
  leurs formes, ceux de l’espèce féminine en tête et, si l’une de ses
  représentantes orpheline ou pas, fortunée ou non, n’est pas mariée, n’a pas
  conçu d’enfant, ose se manifester comme être pensant, c’est pire !  
  
Bon, j’en arrête
  là avec le bastringue lacanien.
  
Micheline W.
  
   
* Cf. François Perrier, Voyages extraordinaires en Translacanie •
  Mémoires, Lieu Commun, 1985