Psychanalyse et idéologie 

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein

De la xénophobie ordinaire récurrente... [suite]

ø

Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon de l’authenticité » par T. W. Adorno • 1964

ø

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Bertha Pappenheim

Micheline Weinstein

fin décembre 2007
 
De la xénophobie ordinaire récurrente [suite... ]
 
Lettre à Élisabeth Roudinesco

Paris, le 30 décembre 2007

Chère Élisabeth Roudinesco,

Suivant le fil de ce qui pense pour moi, me vient alors à l’esprit et qui, tel l’inconscient, ne connaît pas la fuite du temps, je viens de reprendre vos remarquables « Note de lecture et commentaire du Livre noir de la psychanalyse » [Lien], du 29 août 2005, que vous aviez bien voulu nous autoriser à publier sitôt écrits sur le site Internet de notre association.

Par votre sérieux d’historienne de la psychanalyse, votre honnêteté intellectuelle que nul, pas même le milieu de l’édition, ne saurait contester, et pour pouvoir y répondre d’une écriture fluide, de façon solidement étayée, point par point, vous avez attentivement lu ce “non-livre”. “Non-livre”,  en ce qu’il collecte obsessivement, je vous cite,

“Les chiffres[qui] sont faux, les affirmations inexactes, les interprétations parfois délirantes. Les références bibliographiques sont tronquées et l’index est un tissu d’erreurs”,

ce qui est absolument exact, mais ce que je soulignerais d’abord, ce serait l’intention qui anime ce recueil et les éructations qui en résultent, un ramassis d’injures les plus vulgaires et les plus basses - dont vous êtes vous-même l’objet -, franchement xénophobes, destinées à invalider l’invention de Freud et en conséquence son apport aux sciences expérimentales. C’est-à-dire à discréditer le nom de l’auteur de la psychanalyse en même temps que son nom-même et par là, la discipline elle-même qu’elle représente et qu’elle exige.

Le sous-intitulé de ce recueil collectif, “Vivre, penser et aller mieux sans Freud”, ce “sans Freud” rappelle durement, brutalement, le “sans les chambres à gaz” des négationnistes, fussent-il ou non “révisionnistes”.

Chaque fois qu’inonde le marché un ouvrage de ce genre, acharné à attaquer l’être à la fois dans la chair, dans l’esprit, dans la vie intime, dans la place qu’il a occupée, occupe ou occupera, durant toute sa vie d’humain parlant et pensant, avant  de le commenter, c’est-à-dire d’abord de le lire pour pouvoir le faire intelligemment, il est permis, ne serait-ce qu’à la lecture de la 4e de couverture, de s’interroger sur les motivations de l’éditeur et sur la responsabilité intellectuelle du monde de l’édition dans le surgissement ultérieur d’accidents graves de l’Histoire.

Bien que je ne figure pas dans votre « Histoire de la psychanalyse en France », sans doute pour cause de non-appartenance, de mon fait, à un “Lobby” ou à un “Clan”, des “réseaux”, dont je n’avais nul besoin autrefois pour travailler en silence et en paix, loin des vacarmes, je souhaiterais tout de même m’attarder sur quelques passages de votre texte.

Il va de soi que l’on croise dans ce recueil des réalités, d’ailleurs intentionnellement amputées de leur contexte, comme on trouve quelquefois des pièces d’antiquités d’époque dans les décharges publiques.

Le mode de comparaison choisi par ce recueil pour détruire la théorie freudienne et éclabousser de sa hargne les analystes, est établi sur un seul maître-étalon, Lacan, comme unique représentant de la psychanalyse en France avec le mouvement, un raz-de-marée intellectuel qu’il a entraîné lequel, tel une mode, a recouvert, un par un et en bloc, tous travaux indépendants émanant de chercheurs et de praticiens extérieurs à son influence.

À aucun moment, dans ce recueil, la pratique effective de Lacan, ses hypothèses théorisées - celles d’un grand penseur heideggerien -, ses résultats thérapeutiques mais aussi didactiques, ne sont évoqués, pas plus que discutés.

Au sujet de Lacan, ce n’est pas nouveau, nos chemins se séparent, chère Élisabeth Roudinesco, mais sans que cela ait, de mon côté, une quelconque incidence.

Ainsi, pourrait-on en effet s’étonner d’un psychanalyste, Lacan, se déclarant comme freudien quasi auto-dépositaire de ce nom et du métier, jouissant d’une notoriété considérable, en 1974 lors d’un congrès important à Rome, qu’il qualifie Anna, fille de Freud, de “chiure de mouche”. Qui est la mouche dont Anna Freud serait la chiure ? La mouche à quoi... ?

Est-il psychanalyste, celui qui, en séance plénière et bondée, à la Maison de la Chimie à Paris, écartant d’un revers futile les sérieuses retombées de son acte sur le transfert, donc sur l’analyse des analysant/e/s présents dans la salle, humilie publiquement l’une de ses premières et plus proches élèves, analyste de renom elle-même, arrivée très jeune des encore “colonies”  africaines pour recevoir en France l’enseignement réputé, et qui devient dès lors, par cette gifle, la risée de ses collègues ? Sur quoi, ce grossier opprobre, ce mépris ? Sur l’hypothèse, par cette analyste, d’un “mathème de la perversion”, lequel a fortement déplu au Maître comme n’étant pas une application de son enseignement. Je l’ai gardé, ce “mathème” depuis près de 30 ans, qui  attribuait une place topologique au fantasme dans la perversion, et pourrais mathématiquement autant qu’analytiquement démontrer que s’il a excédé Lacan, c’est que, selon toute vraisemblance, il le concernait de très près.

À propos du “fantasme” justement, l’une des conséquences des ukases portées par ces “Pontes” pour contrer la pensée vivace d’analystes indépendants, a abouti à l’aplatissement généralisé du vocabulaire de la psychanalyse. Si bien qu’aujourd’hui le terme de “fantasme” est balancé à tout-va comme une injure, sans aucun souci par les locuteurs de la signification de ce concept fondamental en psychanalyse.  “Fantasme” a essaimé jusqu’à envahir, tels les murs et cloisons de toilettes publiques, les rues, les télés, la presse, les prétoires, les académies, les universités... Il jaillit par automatisme, quel que soit le niveau de culture, dès que n’importe qui veut se débarrasser de la parole ou/et du témoignage de quelqu’un, auquel “on” la ferme vigoureusement et, par ce terme, qu’“on” fait suspecter en public de folie délirante. Cela rappelle avec inquiétude le siècle du goulag... sans qu’il ne soit même plus nécessaire de pratiquer l’exclusion physique jusqu’aux confins de la Sibérie...De même que l’accusation, avec ses références à la fois juridiques et psychiatriques, de “harcèlement”, est jetée par n’importe qui d’inculte délibéré à la face de quiconque pour la lui fermer, quand avec persévérance quiconque se risque à avancer ce qu’il considère et dont il témoigne comme, non pas une prophétie, mais sa vérité toute simple. Ou encore le terme de “narcissisme”, accusation placardée dans les médias par un secrétaire de parti, probablement mal conseillé par un “psy”, dont les pauvres calembours, les atteintes à la personne, passent pour de l’humour... C’est très courant, très banal. Peut-être serait-il mieux inspiré s’il se reportait aux remarques de Freud et de François Perrier, et voulait bien les assimiler,

Ironie Toujours un jugement qui fait toujours une victime

Humour Rien de plus désintéressé. Ne va pas sans une critique libre de soi-même. L’humour est aussi un dévoilement de l’objet sous un autre jour, mais dans une pudeur, une réserve, une contention qui n’est pas celle du comique avec ses effets de cirque, ses chutes répétées. L’éthique de l’analyste est de ce côté-là.

François Perrier • Petit glossaire...


L’humour a non seulement quelque chose de libérateur, proche en cela de l’esprit et du comique, mais encore quelque chose de magnifique et d’émouvant, traits qui ne se retrouvent pas dans ces deux autres modes, issus de l’activité intellectuelle, d’acquisition d’un surcroît de plaisir. Le magnifique tient évidemment au triomphe du narcissisme, à l’immunité du Moi victorieusement affirmé. Le Moi se refuse à se laisser entamer par les contraintes de la réalité, à se laisser imposer la souffrance, il résiste fermement aux atteintes des traumas causés par le monde extérieur, dont il montre, bien plus, qu’ils peuvent devenir des agents d’un surcroît de plaisir. Ce dernier trait est la qualité essentielle de l’humour.

Freud • Der Witz.

Est-il sérieusement analyste, cet auteur lacanien dodu, féru de comparaisons avec l’ancien testament qui, tout au long de son article dans une revue collective consacrée au “Moïse... ” de Freud, pour décrire l’enseignement d’un rabbin, le nomme et le renomme : le “ Rabbit”, le “Lapin” en anglais, sans que personne ne moufte ? C’est resté tel quel depuis dans les archives et au dépôt légal.

Quand on songe au désir de Freud que la psychanalyse soit une œuvre de civilisation, à son respect de l’être humain, de la langue et de la belle, concise, écriture... la nostalgie nous gagne...


Revenons au collectif du « Livre noir... ». Là encore, ce collectif choisi par l’éditrice, lâche ses sanies à destination de lecteurs prêts à se jeter sur toutes les formes d’expressions de transfert négatif, et non pas seulement sur celles de la force contraire à la psychanalyse, qu’en français nous traduisons par “résistance” , laquelle est née en même temps que naissait la psychanalyse elle-même et persiste, perdure, solidement après un siècle.

Naturellement, ce collectif, parangon de l’ignorance, s’épargne de discuter, commenter, interpréter, puisqu’il ne les a pas lus, les propos qu’il réfute, exactement comme ont coutume de procéder les négationnistes, lesquels ménagent leur économie libidinale pour la consacrer, à l’aide d’une dénégation violente, d’une haine du savoir, à leur seul principe de plaisir : la destruction de l’autre ciblé arbitrairement.

Certes, il est arrivé à Françoise Dolto d’émettre des affirmations assez inadéquates pour la psychanalyse, notamment celles qui ont trait à l’abus sexuel par les adultes sur les enfants. Or, si l’on replace l’évolution de la transmission dans un contexte historique, il semble que certaines interprétations erronées en France aient été causées par le fait que les analystes, à la suite de leurs modèles américains - contrairement à Anna Freud, aux écoles anglaise et allemande -, aient reçu avant et juste après-guerre, une formation de surface, disons normative, convenable, mondaine qui les a amenés à établir leurs avancées théoriques comme si les adultes, que l’on tend ainsi systématiquement à dédouaner, étaient déjà analysés, c’est-à-dire comme s’il suffisait aux enfants de leur dire “non” pour que les adultes maîtrisent leurs excès pulsionnels irréparables.

En langage codé, comme s’ils ne s’adressaient qu’à des élèves déjà initiés en analyse sur leurs divans, les analystes/enseignants se sont mis à professer la fonction paternelle, maternelle, l’autre grand ou petit, la loi, l’interdit majeur, le fantasme et le reste, comme si le sens, la portée des concepts analytiques avaient été intériorisés, assimilés depuis l’école maternelle chez tout le monde avec l’arrivée de Lacan sur terre.

Ce collectif inappétissant est donc principalement occupé à stigmatiser les personnes dans leur être intime, à éructer sa haine. Soutenir, argumenter, critiquer les différents de points de vue, faire un travail d’intellectuels responsables de la transmission, sont remarquablement absents de cet ouvrage... qui, naturellement, se vend avec succès.

Il faut reconnaître que ses auteurs n’ont pas eu de mal à forcer la brèche de l’ignorance délibérée, hissée à la dignité d’une éthique.

Par exemple, depuis 1983, date où Françoise Dolto m’écrivait une lettre/texte marquant l’un de ses nets désaccords avec Lacan, celui sur “Le stade du miroir”, que j’ai rendue publique quelques années plus tard, j’ai attendu de collègues qu’ils constituent un groupe de travail pour étudier, comparer les théories respectives et témoigner des réflexions auxquelles elles avaient incité. Ce texte figure depuis 2005 dans le second tome de la correspondance de F. D. édité par Gallimard et... toujours rien...

Par contre, je lis une brève dans un hebdomadaire, qui annonce pour 2008 un téléfilm où F. D. sera interprétée par Josiane Balasko, et pourquoi pas, mais ce n’est qu’une supposition, “sponsorisé” financièrement par la FNAC opulente. Après tout, Catherine Deneuve, à la mode américaine, a précédé Balasko en “faisant” la psychanalyste au cinéma, un cahier sur les genoux et un crayon à la main pour la prise de notes pendant les “séances”. Nous savons de tout temps que ce dispositif est incompatible avec l’écoute psychanalytique et la finesse d’interprétation, ne serait-ce qu’en ce qu’il annihile toute possibilité d’“insight”, bref, qu’il rend sourd.

Tant pis pour notre association, complètement à contre-courant, qui avait conçu le projet - lequel projet figure sur notre site généreux puisque ouvert au public et  assez fréquenté par des pilleurs de troncs - de marquer le centième anniversaire de naissance de F. D. par une année studieuse, laquelle aurait donné lieu à un colloque de psychanalyse, dans l’espoir de restituer à la psychanalyse son nom propre, et la place qui revient à celui qui l’a forgé, Freud. Pour cela, il aurait fallu reprendre sérieusement et paisiblement Freud dans le texte et à sa suite, pour ce qui concerne la psychanalyse, l’œuvre du meilleur clinicien que la France a produit avec Françoise Dolto, François Perrier, lequel n’intéresse pas grand monde non plus. Pourtant, ses « Voyages extraordinaires en Translacanie », non réédités, sont un complément, à mon sens indispensable, à votre œuvre d’historienne de la psychanalyse. Quant à « La chaussée d’Antin », qui rassemble l’œuvre de Perrier, toujours en vente car non-épuisée depuis sa réédition il y a 15 ans, c’est tout simplement un usuel de la théorie freudienne et de son évolution appliquées à la clinique, superbement écrit de surcroît (cf. également infra « Petit glossaire des concepts freudiens appliqués à la clinique selon François Perrier »[Lien]. 

Ç’eut donc été un colloque assez cadré, d’où le cinéma/documentaire/fiction aurait été résolument absent. En effet, si Freud et ses élèves refusaient et continuent de refuser au cinéma d’exhiber la psychanalyse, qui est exclusivement fondée sur le langage et donc sur l’écoute de la parole du sujet sans vis-à-vis incarné, c’est tout simplement pour éviter que l’image, projetée réellement en pleine face, tue tout à la fois les représentations psychiques, le champ de l’imaginaire, du rêve, celui de l’association libre... bref, celui des formations de l’inconscient. L’œil happé par l’image ferme l’oreille et vide l’esprit de sa pensée, c’est un phénomène envahissant, comparable à un lavage des cerveaux. C’était pour empêcher, par dessus tout, que la psychanalyse ne soit aplatie, arasée, banalisée, réduite à un divertissement, qui toujours, immanquablement, espère finir par en sonner le glas.

Le but du projet était clair : que la psychanalyse soit reconnue par son nom en tant que science expérimentale au moyen d’une Charte indépendante de tout autre, qui définisse les conditions d’accès à la pratique de la psychanalyse.

Depuis que nous avions annoncé notre projet sur le site, je me demandais qui allait le “piquer” et sous quelle forme. Maintenant nous savons, la démarche est  toujours la même par des collègues - mais oui, des “psychanalystes” - reconvertis pour leur retraite dans la production cinématographique, la plupart extrêmement fortunés, dont j’ai d’ailleurs publié les textes. Une partie de ces textes figure infra sur « L’inventaire » [Lien], après que - c’était encore le long temps imbécile où j’avais l’esprit dans les  nuages d’un monde de solidarité... illusoire - je les ai réécrits pour les rendre présentables. J’ai su très vite que leurs auteurs s’en étaient servi, sans citer leur source naturellement, complètement à mon insu, comme objets de “passe” lacanienne pour s’intituler ou se faire intituler “psychanalystes”.

Le plus étrange, de la part de ces analystes - mais aussi des institutions juives de référence dans le domaine de la déportation, du monde de l’édition... -, c’est qu’ils ne me connaissent pas [sic], pas plus qu’ils ne connaissent l’association ni le site. Les uns, très peu, me l’écrivent comme Simone Veil dans son dernier courrier, certains, peu également me l’on carrément dit bien en face, d’autres, la grande majorité, mettent la chose en pratique et nous ignorent comme si, effectivement, nous n’existions pas. Pourtant 200 auteurs, analystes pour la plupart, ont été publiés par notre association depuis 20 ans et sont gardés dans nos archives. Tous, naturellement ne figurent pas sur le site, cela ne leur porte pas ombrage puisqu’ils ne nous connaissent pas.

Je ne suis pas parvenue à saisir cette posture d’élimination et d’absence intrinsèque de respect envers les 40 bébés - pour les plus anciens devenus grands et presque tous parents - mis au monde par les analysant/e/s passés ici, pas plus qu’envers les analysant/e/s eux mêmes, de tous âges et toutes conditions, chacun/e porteur de ses signifiants, bien vivants - excepté évidemment ceux que j’ai accompagnés jusque dans leurs derniers instants. Et ne veux pas savoir d’où cette posture émane. Les plus honnêtes parmi les analystes femmes, mais 3 ou 4 seulement, m’ont déclaré de but en blanc, lors de rencontres de hasard dans la cité : “Tu sais, j’ai toujours été jalouse de toi”. J’ai salué leur franchise d’un grand merci.

C’est comme si Françoise Dolto, à qui une très jeune analyste en formation, avec qui je n’ai jamais coupé le contact et avec qui je déjeune régulièrement encore aujourd’hui, m’avait adressée quand j’étais gamine à la sortie de la guerre, ne m’avait pas aidée tout simplement à accepter de vivre. C’est comme si notre amitié, avec Françoise Dolto, n’avait duré près de 45 ans, jusqu’au jour de sa mort. C’est comme si Françoise Dolto n’avait pas préfacé « Histoire de Louise » et enregistré la préface sur bande magnétique. C’est comme si Françoise Dolto n’avait pas écrit le manuscrit de sa lettre/texte sur le miroir [Lien] en 1983... C’est comme si le Cardinal Lustiger, encore archevêque à l’époque, n’avait pas présidé un dîner de l’association [archives / vidéo de l’association]... c’est comme si... mon plus célèbre analysant, François Le Lionnais, ne m’avait pas laissé les manuscrits de ses rêves sublimes... c’est comme si...

Je garderai donc mes archives/Dolto personnelles et abandonnerai mes merveilleux projets. Il semblerait par contre que ce dont sont friands ces collègues dotés de confortables moyens financiers et des appuis qui vont avec, c’est d’emprunter sans vergogne et signer les emprunts à peine déformés de leur nom. De toutes façons, dépourvue, c’est de notoriété publique, de la puissance de l’argent, ignorée, de mon fait, des “lobbies”, des clans et des réseaux dont, de ma tour de crédulité résiduelle, il m’aura fallu plus d’un demi-siècle pour en mesurer la fonction meurtrière, avec la mort de Françoise Dolto mes projets auront toujours été impossibles à réaliser concrètement. C’est la raison pour laquelle, résignée à n’apparaître ultérieurement que dans les archives, bien après que j’aurai entrepris mon voyage dans l’autre monde, j’ai daté et déposé tous mes écrits depuis plus de 40 ans.

Une satisfaction posthume tout de même : on trouvera également dans mes archives une petite collection de lettres chaleureuses de toutes conditions et de tous âges, témoignant des résultats thérapeutiques - je ne crains pas ce terme méprisé - de ma pratique analytique.

Je reviendrai sur ce thème de l’emprunt, de la soumission délibérée au principe de plaisir, à un minimum de dépense d’économie libidinale, un peu plus loin quand j’aborderai plus directement, par deux lettres, les manifestations actuelles de la xénophobie ordinaire récurrente.

Vous le notez,

La crise de la psychanalyse, qui est réelle aujourd’hui, a des causes multiples qui ne sont jamais évoquées par les auteurs, lesquels ont abandonné tout esprit critique pour se livrer à des dénonciations extravagantes.

Ce « Livre noir... » se distingue par ceci que,

[La diffamation] vise non seulement les membres des associations qui composent le mouvement (la carrière et les relations personnelles) mais aussi les associations elles-mêmes et la discipline dont elles se réclament.

De nombreux passages de ce livre sont également diffamatoires et pourraient faire l’objet d’une expertise par des avocats. Il serait sans doute préférable d’en rire tant la farce est énorme. Mais, de nos jours, plus la ficelle est grosse et plus la croyance est forte. N’oublions pas l’impact que peuvent avoir dans l’opinion publique les livres qui dénoncent de prétendues conspirations.

Comme le clamait Gœbbels, plus les slogans assenés sont gros et courts, mieux ça marche, les individus, faisant masses, les mettent en actes...

Votre texte se termine pas un constat que l’on reçoit avec désespérance, tant il est réel,

...quoiqu’il en soit, et compte-tenu de l’impact [que « Le livre noir... »] aura sur l’opinion publique, et notamment sur les patients en souffrance, il nuira à l’ensemble de la communauté psychanalytique, si celle-ci persévère à méconnaître les querelles historiographiques et les débats de société qui se sont développés, dans le monde entier, depuis vingt ans et qui, d’ailleurs, ne touchent pas seulement leur discipline.

En effet, le mal est accompli, l’œuvre de destruction de la psychanalyse a dépassé tous les pronostics..., beaucoup grâce à l’enseignement de Lacan, lequel prophétisait la mort de la psychanalyse après sa propre mort, et grâce, comme vous le soulignez, au terreau sur lequel il a pu croître. L’œuvre de destruction s’est nourrie autant de l’intérieur que de l’extérieur, par la démission des analystes eux-mêmes en regard d’une position éthique dont ils ont négligé de se préoccuper ou qu’ils ont oublié de maintenir pour mieux se faire valoir, à titre individuel, et se faire connaître par les médias. Ce qui a grandement ouvert la voie au succès de la diffamation de la psychanalyse que vous relevez.

En cela, en effet, le vœu des psychanalystes qui ont permis cette œuvre de destruction s’est réalisé : ils sont comme tout le monde. Or si l’analyste est et surtout se comporte “comme tout le monde”, c’est la mort de la psychanalyse. Bravo.

ø

Cette seconde partie de ma lettre un peu longue sera justement un témoignage de l’“être comme tout le monde”. Vous ne m’en voudrez pas si je suis obligée, comme bien souvent, de ne m’étayer que de mon expérience personnelle, je n’ai personne d’autre à disposition, pour les raisons que j’ai évoquées plus haut. Cependant, soyez assurée qu’il ne s’agit pas ici de mettre en avant ce détestable “Moi” dont la grande histoire ne m’a pas dotée, mais seulement d’une observation, à partir de choses reçues, par un simple témoin de son temps né à Paris sous l’Occupation.

C’est pourquoi j’ai intitulé, encore une fois, cette lettre « De la xénophobie ordinaire... ». Ordinaire, en ce qu’elle émane autant du monde intérieur propre à chaque être parlant et pensant, que du monde extérieur, révélant ainsi les comportements humains.

Commençons par le courrier, à peine modifié, cela va de soi, en direction du monde analytique, lequel s’adresse à ces mêmes gens dont les coutumes sont déjà largement décrites dans plusieurs textes sur le site,

Micheline Weinstein

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2015