Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein • Éloge de la pédagogie

Ø

Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett. « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down the worshipped object
Samuel Beckett • « The Unspeakable one
Underlined in « Jargon of the Authenticity » by T. W. Adorno • 1964

Ø

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain silent if he knows that something evil is being made somewhere. Neither sex or age, nor religion or political party is an excuse.

Bertha Pappenheim

point

© Micheline Weinstein

14 Octobre 2009

 

Éloge de la pédagogie

Exposé pour un débat autour d’un projet de petite structure du type « Maison Verte »  

Note liminaire

1 • L’exhibition masochiste à la TV, dans la lignée et l’esprit de son livre de confession, de Monsieur Le Neveu, a révélé encore plus nettement le désarroi dont souffrent les courants politiques, lequel sème une confusion des genres sans précédent. Un remarquable article de Marianne2, du 13 octobre 2009, signé Bénédicte Charles et Philippe Cohen, intitulé « Qui veut lyncher Benoît Hamon ? » nous permet heureusement d’y voir un peu plus clair. Mais voilà que, sans attendre, dans les jours qui suivirent cette exhibition, nous apprenons par une note dans le journal qu’un “psychanalyste”, appelons-le Monsieur Hasbeen, dont les péroraisons lui ont valu de se faire virer d’à-peu-près tous les média, a réalisé une émission qui sera diffusée début novembre sur une chaîne TV, rendant compte de l’“analyse” de l’Épouse de Monsieur Monmari accompagnée de celle de quelques fameuses figures “pipeul” de son entour d’ouverture.

Deux questions.

• Qu’en est-il, pour ce “psychanalyste”, du principe fondamental dans notre métier, hérité d’Hippocrate, transmis par Freud et, à leur suite, par les meilleurs cliniciens, à savoir l’obligation, pour l’analyste, de se soumettre rigoureusement à la loi du secret professionnel sur la vie privée des analysants, les siens et ceux des collègues, fussent-ils analysants / analystes, ainsi que de la simple discrétion, à titre d’exemple, sur sa propre vie privée, c’est-à-dire sexuelle ?

• Combien ?... le tarif d’une séance de ce “psychanalyste”, les jours ouvrables ?

La famille Hasbeen, qui a beaucoup essaimé, a produit également, dans cette même veine, un architecte, co-pressenti pour la réalisation du Grand Paris, nommé autrefois Monsieur Desbanlieues, qui ne craint pas la ringardise. Ainsi, dans les années 70, après avoir dit pis que pendre de Lacan lors de l’une des émissions de Michel Polac - cf. Archives de l’INA -, voici qu’aujourd’hui il désigne l’architecture comme le “Signifiant Maître”, constructeur d’édifices dont la structure s’élèverait sur trois ronds de ficelle : “le Réel, l’Imaginaire, le Symbolique”. Nous n’avons pas entendu, dans son discours, d’allusion au quatrième rond de ficelle du nœud borroméen de Lacan, le “symptôme”, lequel maintient fermement les trois précédents et qui, s’il est, pour l’un ou l’autre motif accidentel, coupé, les libère, ce qui écroule l’édifice, aléa qui caractérise - mathèmement -, toujours selon Lacan, l’effondrement dans une psychose.

Que l’“on” stigmatise ces remarques et celles d’autres auteurs contemporains, dont la pensée s’étaye, modestement, de leur libre-arbitre, nous laisse complètement indifférents.

2 • Dans le texte qui suit, je reprends, en partie seulement, ce que je dis et écris depuis 1967, et qui n’a pas intéressé grand’monde jusqu’à présent - excepté dans le registre du pillage sans vergogne. Ce n’est pas bien grave. N’ayant pas encore trouvé d’équivalent féminin, j’espère que cela ne saurait tarder, j’apaiserai mon éventuel chagrin en empruntant à la maxime affectueuse avec laquelle Freud adressait ses lettres privées à Karl Abraham,

« Coraggio Casimir » !

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Je pense à l’application de la psychanalyse en pédagogie. Quand un enfant commence à manifester les signes d’un développement difficile, altéré, discontinu, inattentif, alors ni le pédiatre pas plus que le médecin scolaire ne peuvent rien y faire, même si l’enfant présente des symptômes névrotiques évidents, tels qu’anxiété, aversion pour la nourriture, vomissements, troubles du sommeil. Un traitement qui associe contribution analytique et mesures éducatives, réalisé par des personnes qui ne dédaignent pas de prendre en compte les conditions du milieu dans lequel l’enfant est immergé et qui se préoccupent de frayer une voie d’accès à sa vie psychique, réussit à la fois à réduire les symptômes névrotiques et à faire reculer les premières altérations de caractère.

Freud

La question de l’analyse par les non-médecins • 1926

 

Avant d’essayer de répondre, de mon seul point de vue, aux questions qui se posent à nous et qui nous ont été posées, au sujet de la réalisation d’un lieu d’accueil largement ouvert du type « Maison Verte », je souhaiterais donner très brièvement un aperçu de l’une des formes puissante de la résistance à la psychanalyse en France.

Freud, dans son « Autoportrait », remarque qu’elle consiste, pour les détracteurs, esprits supérieurs ou simples habitués de salons intellectuels mondains, en “l’opération classique de ne pas regarder dans le microscope pour ne pas voir ce qu’ils contestent.”

C’est ainsi que, depuis plus d’un siècle, se sont constitués des réseaux, voire des “lobbies” de résistance... à la psychanalyse, c’est-à-dire des cartels mondains de pouvoir et d’argent, aussi bien intellectuels que financiers (le monde de l’édition par exemple), l’un n’allant guère sans l’autre, lesquels, avec l’appui complaisant des média, empruntant sans vergogne au vocabulaire de la psychanalyse, en ont délibérément altéré, travesti, le sens.

Les média les plus “culturels”, en les livrant au public, balancent du “fantasme” à toute volée, stigmatisent un agissement individuel ou collectif par “schizophrénie”, un mouvement de masse anxieux par “psychose”, alors qu’il s’agit très simplement de “chimère”, parfois de “divagations”, de “perversité” - la main droite ignore ce que fait la main gauche -, d’un “conglomérat” accidentel, formé la plupart du temps à partir d’une catastrophe naturelle ou d’actes criminels.

Quant aux basses entr’accusations de “paranoïa” (et, depuis la dernière guerre, de “nazi”), qui ont remplacé le courant “t’es cinglé - meshugeh en ydish !!”, réciproquement jetées avec brutalité, grossièreté, à tout instant en pleine face comme l’injure maximale, elles sembleraient servir à camoufler une difficulté des locuteurs à écouter posément ce que l’autre a à dire en même temps qu’à essayer d’en comprendre le sens.

Comme je l’ai souvent relevé, ce qui ne sert à rien - car il y a chez eux ce que l’on rencontre dans les phénomènes de sectes : ils sont hypnotisés, stéréotypisés, n’entendent, n’écoutent rien de ce qui vient de l’extérieur, d’autre hormis les paroles de leur Maître, sont étanches et imperméables -, il semblerait que les analystes fonctionnent, pensent, parlent et écrivent depuis près d’un demi-siècle comme des journalistes - mais aussi la magistrature, les politiques, les enseignants... et inversement, qu’iceux se sont approprié le vocabulaire “psy” dont ils usent et mésusent en totale ignorance délibérée du sens, du contenu, du maniement, des concepts qu’ils exhibent et que la rue, les universités... répètent et resservent pour insulter, car fonctionnant comme des automates de la pensée, ils ne peuvent pas répondre quand on sollicite leurs lumières... 

Un exemple d’abus langagier, celui de l’utilisation du terme de “fantasme” : pour la psychanalyse, un fantasme est toujours pervers - fétichiste, chacun reconnaîtra le ou les siens -, en tant qu’émanant de la perversité infantile polymorphe non maîtrisée. Plus précisément et puisque la cartographie quasi invariante des fantasmes est relativement pauvre, il est individuel en ceci que c’est la représentation que se fait le sujet de son fantasme qui orientera son langage et sa conduite.

La contestation envers la théorie mise en place par Freud a commencé publiquement en France par un texte de Lacan, daté de 1936, intitulé « La Famille », où Lacan inaugure un nouveau “complexe” de son cru, “Le complexe du sevrage”.

Nous verrons plus loin l’importance, dès les années 50 des désaccords de Françoise Dolto sur des points essentiels des théories lacaniennes, très précisément au sujet de l’infans, c’est-à-dire, du bébé qui ne parle pas encore.

En 1983 aussi, dans un texte que Françoise Dolto a écrit sur ma demande, et que j’ai lu à la fin de l’exposé que je présentais devant l’ensemble des Groupes Balint du Sud de la France, intitulé « De l’embryon à l’homme, la conquête du monde ».

Les intéressés pourront trouver le texte / tabou de F. D., que j’ai intitulé « Autour du Miroir », qui suivait ma communication et qui figure maintenant, 22 ans plus tard, dans le 2e tome de sa Correspondance, avec une note indue en bas de page, délibérément ignorante - j’avais transmis tous les documents originaux nécessaires -, ainsi que, bien antérieurement, dès que nous l’avons pu matériellement, le manuscrit en édition / papier et sur notre site, aux adresses suivantes,

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/dembryonahomme.html

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/dolto.html

Il commence ainsi,

Je dis que lorsque Lacan croit que l’enfant - qu’il décrit dans une assomption jubilatoire - se réjouit de voir l’image de lui-même dans le miroir, et que cela le structure dans son unité, il se trompe.

Dans le texte de Lacan, « La Famille », pour ce qui nous intéresse en tant que Juifs, femmes et hommes, nous pouvons trouver un étrange passage destiné à Freud et à sa découverte, je le cite,

« Le sublime hasard du génie n’explique peut-être pas seul que ce soit à Vienne - alors centre d’un État qui était le melting-pot des formes familiales les plus diverses, des plus archaïques aux plus évoluées, des derniers groupements agnatiques* des paysans slaves aux formes les plus réduites du foyer petit-bourgeois et aux formes les plus décadentes du ménage instable, en passant par les paternalismes féodaux et mercantiles - qu’un fils du patriarcat juif ait imaginé [sic !] le complexe d’Œdipe. »

* Agnat [lat. agnasci, naître à côté de] • Se dit des personnes qui, descendant d’une même souche masculine, appartiennent à la même famille.

Tous les documents, livres d’auteurs, et leurs références exactes figurant dans notre site, lequel résume un travail de presque 45 ans sur l’histoire de la psychanalyse, son évolution dans les domaines de la pratique, de la clinique et des théories, liée à celle de la Shoah, sautons quelques décades.

En 1974, lors d’un Congrès, Lacan, mettant en valeur son “objet a” - qui signifie, en ydish, “shmate” - qualifie publiquement d’“objet a”, autrement dit de guenille, de lambeau, de loque, de chiffon méprisable, Anna Freud, 79 ans, en termes [sic] de “chiure de mouche”. Inutile de chercher qui est la mouche dont Anna serait la chiure. C’était à Rome, après un déjeuner au cours duquel on avait bien bouffé et bien bu, personne n’a moufté.

Quelques années auparavant, dans la mouvance soixantuiteuse, les brillants élèves de l’École Normale Supérieure, dont le futur gendre de Lacan, quasiment tous Juifs, décrétèrent que depuis l’avènement de Lacan, ce grand ami de Martin Heidegger, plus n’était besoin de lire Freud. Dont acte, le slogan fit école, jusque dans les rangs de l’Institut de Psychanalyse - la SPP, fondé grâce à l’une des élèves de Freud, “Notre Chère Princesse”, Marie Bonaparte.

Ainsi se construisent et s’épanouissent les théories. Qu’elles soient basées sur l’enseignement d’un homme dont l’état d’esprit, le mode de penser et de transmettre, sont plus que discutables, cela n’a aucune importance. Ce qui ne conteste en rien les indéniables qualités de psychiatre et de philosophe de cet homme.

En psychanalyse, Freud avait nommé cette façon d’être “dénégation”.

Et à ce propos, je viens de relire « Le livre des snobs » de Thackeray, c’est un livre épatant.

Jusqu’aux plus récents psychanalystes traducteurs de Freud, moulés dans la théorie lacanienne, qui ne savent pas grand chose des concepts qu’ils traduisent et surtout ne sont guère intéressés par un travail approfondi sur ces concepts. Ils traduisent pour les universitaires et leurs élèves, lesquels se reproduisent en se multipliant au long des générations tels des clones, complètement identifiés au discours de leurs psychanalystes / enseignants, qu’ils avalent et restituent intégralement. Résultat : l’inconscient est, cela va de soi, totalement évacué, tout comme a disparu la fonction thérapeutique de la psychanalyse.

Tout cela est cependant très profitable au commerce de l’édition.

Avec Françoise Dolto, nous reviendrons sur cette fonction thérapeutique disparue, et d’abord auprès des enfants, laquelle requiert beaucoup de travail, d’attention à l’autre, de patience, d’écoute et de soutien bienveillants, quelles que soient leurs provenances, les revenus de la famille, l’âge...

Du côté des adultes, qui [?] se pose la question d’une analyse personnelle ? La demande fondamentale d’analyse émane de celui et de celle qui ont épuisé toutes les autres voies d’apaisement possibles de leur douleur, celui et celle qui ne peuvent plus faire autrement, qui ne peuvent plus, selon leurs propres dires, “vivre, ou continuer de vivre, comme ça”. Rien de plus, rien de moins.

Que, par effets de modes, de mondanités, de pouvoirs intellectuels, de mercantilisme, le vocabulaire de la psychanalyse ait été vulgarisé, déformé, aplati jusqu’à la caricature - dénoncée d’ailleurs dans toutes les études en cours à propos de la parentalité, sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin -, notamment dans une France hypnotisée par l’Amérique de Woody Allen - Freud remarquait, et c’est évident, que le cinéma, à l’exception du documentaire, l’image, qui happent le regard et non l’ouie, ne lui paraissaient “pas possible de faire de nos abstractions une représentation plastique” -, cela témoigne, depuis près d’un demi-siècle, durement, du [manque de] respect que l’on porte à l’auteur de la psychanalyse ainsi qu’à sa découverte.

Et là, sur ce point précisément, l’humour, qui est dans notre pratique l’un des leviers essentiel de la réussite d’une analyse, qui redonne goût à la vie, s’avère inopérant, n’est d’aucun recours. Tout cela n’est pas très drôle.

Ce qui a nettement distingué les meilleurs cliniciens que la France ait connu - et ici, Françoise Dolto -, après guerre, c’est non seulement qu’ils continuaient d’étudier Freud, de rendre vivace l’évolution de sa théorie, mais aussi qu’ils étaient soucieux de faire émerger et de restaurer les qualités individuelles de chaque personne, une par une, dans et hors leur pratique analytique, anonymes, célèbres, de la plèbe jusqu’au Gotha... , de transmettre le respect que l’un doit à l’autre et réciproquement à tous les âges et dans chaque circonstance de la vie, dans tous les domaines, et d’abord aux enfants, qui sont l’avenir du monde, immergés dans un quotidien ancestral où les humains ne cessent de s’ingénier - fraternellement ! - à s’entr’exterminer.

Que F. D. et F. P., mes référents professionnels personnels, aient connu des désaccords de fond avec certains de leurs collègues, fussent-ils adulés ou / et en vue dans la “jet-set” des “Gotha”, quand bien même leurs critiques ne les épargnaient pas, je ne les ai jamais entendus énoncer la moindre parole désobligeante à leur égard.

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Venons-en maintenant à ce qui nous occupe plus directement, c’est-à-dire, de mon point de vue, à ce que j’ai compris de ce que souhaitait Françoise Dolto en créant sa « Maison Verte », ce qui lui fut très difficile, car elle ne pût surmonter les énormes obstacles institutionnels et administratifs uniquement grâce à sa notoriété ainsi qu’à ses relations individuelles.

Curieusement, les documents, à fortes connotations idéologiques, pour ne pas aller jusqu’à dire politiques, à disposition sur la parentalité ne font référence ni à Anna Freud, avec qui travaillait Maria Montessori, ni à Sophie Morgenstern, première analyste d’enfants à Paris, et “inspiratrice”, selon son terme, de Françoise Dolto, pas plus qu’à Françoise Dolto elle-même, Maud Mannoni, Mira Rothenberg, August Aichorn, Siegfried Bernfeld... , à leurs collègues et élèves successifs, en France et ailleurs qui, dans des conditions souvent plus que désavantageuses, depuis presque un siècle, s’occupent d’abord et avant tout de prévention.

Tout d’abord, reprenons le principe fondamental à la base de ce qui nous anime dans ce projet, celui de “ bénévolat ”.

Le concept de bénévolat est puisé dans le terme latin de “benevolus”, formé à partir de “bene, volo”, “je veux du bien, je suis favorable à”. Le ou la “benevolens” est celui ou celle qui est “bienveillant, dévoué, animé des meilleures intentions” - nous retrouvons là la recommandation de Freud d’une “écoute analytique bienveillante”, c’est-à-dire patiente, paisible, attentionnée à autrui. Ce qui rejoint et est indissociable de l’obligation qui est celle, depuis toujours, du médecin, de l’éducateur, du soignant, quel que soit son titre professionnel, d’appliquer le principe fondamental, vieux comme Hippocrate, de “non nocere”, ne pas causer du tort, ne pas nuire.

Revenons au concept de bénévolat, qui exclut tout espèce de profit ou de rétribution personnelles.

Voici un exemple de bénévolat du temps de Freud, de la part de groupes locaux au sein de l’Association Psychanalytique Internationale,

Ces groupes locaux subviennent, avec leurs propres ressources - et grâce au mécénat -, aux besoins d’instituts, dans lesquels l’introduction à la psychanalyse est mis en œuvre selon un programme d’enseignement homogène, et les polycliniques, dans lesquelles les analystes confirmés et, sous leur contrôle, leurs étudiants, délivrent aux pauvres un traitement gratuit.

Freud

Autoportrait • 1925

Françoise Dolto n’a jamais reçu d’honoraires à Trousseau, aux Enfants Malades, pas plus qu’à la « Maison Verte » et autres départements institutionnels spécialisés.

Pourquoi ?

La raison en est très simple : si elle avait postulé, à titre personnel, à une quelconque rétribution, aucun local, aucune vacation, aucune création de lieu d’accueil, ne lui aurait été consentie.

Et si le terme de “bénévolat” gêne, en ce qu’on lui attribue une connotation confessionnelle de “charité”, remplaçons-le par celui de “mécénat spirituel”, qui permet de concilier laïcité et religion ou pour le moins, de s’entre-respecter, dans la double acception de : “qui est d’ordre moral, relève du domaine de l’esprit” tout en se montrant “fin, vivace” et, pourquoi pas, plaisant.

Françoise Dolto, vers le début des années 1970, pour élaborer son projet de « Maison Verte », a rendu maintes visites à la première “halte-bébés” bénévole privée, indépendante de tout courant et de toute école “psy”, La Cour des Noues. Parmi ses co-fondatrices, d’anciennes résistances protestantes. C’est à peu près à la même époque que F. D. s’est rendue en Israël, arpenter les kibboutzim, dont elle témoigne, avec la modestie qui la caractérise, s’être également inspirée.

Passons maintenant à la question qui a été posée de rétribution de l’encadrement, c’est-à-dire, plus crûment, à la question d’argent, absolument contraire à ce à quoi s’engagent les bénévoles, c’est-à-dire à donner en toute gratuité matérielle une part de son temps, quand ils estiment pour l’une ou / et l’autre raison pouvoir le faire.

De mon côté, je l’ai déjà dit et écrit, je considère ma participation bénévole, où et dans quelque domaine que ce soit, à égalité avec les témoignages de bénévolat (CD, DVD, livres, docus originaux... ) de la petite association que j’ai créée voici plus de 23 ans, comme ma double dette envers, inséparables, l’histoire des humains, c’est-à-dire envers les personnes successives - non-juives - qui m’ont sauvé la vie et envers l’histoire de la psychanalyse, son évolution sous ses différents aspects théoriques et cliniques, et enfin très particulièrement envers les remarquables analystes qui ont assuré ma propre analyse et ma formation d’analyste.

Il me semble qu’il y a, par rapport au concept de bénévolat, chez les psychanalystes, une confusion persistante sur la notion de paiement. Autrement dit que les psychanalystes associent leurs exigences personnelles d’émoluments au concept que Dolto définissait par “paiement symbolique”.

Le paiement symbolique concerne exclusivement à l’autre, ici l’enfant. L’encadrement n’est en aucune façon impliqué dans ce principe.

Le paiement symbolique représente le prix inestimable de sa parole par l’enfant, qu’il acquitte lui-même, selon ses moyens : une capsule de bouteille, un joli caillou, un dessin, un objet façonné de ses mains, 5 ou 10 cts... à l’exception naturellement des offrandes de séduction telles que bonbons ou autres sucreries réelles ou immatérielles...

Exemple en pratique privée : à la fin d’une première séance, une fillette l’acquitte en me donnant un diamant à mille facettes en plastique. Indépendamment, la mère règle les séances de son enfant, la fillette le sait. Mais pour tout enfant, quel que soit son âge, ait accès, disons à un mieux-être et à celui de sa mère, à la suite de Françoise Dolto, quand la famille est en difficulté, je ne perçois par séance que 5 €, de façon à ce que les adultes référents de l’enfant ne soient ni infantilisés ni déconsidérés à leurs propres yeux.

Ce pourquoi d’ailleurs, je n’ai accumulé aucune fortune à justifier devant le fisc.

Par contre, pour pouvoir exercer normalement en pratique privée, j’ai depuis toujours modulé mes tarifs selon les ressources des candidats à l’analyse, et ceux qui pouvaient se le permettre payaient assez cher pour ceux qui ne le pouvaient pas.

Il est arrivé maintes fois que Françoise Dolto, en pratique privée, procède ainsi et à l’époque ne demande à une mère complètement démunie comme on dit aujourd’hui, qu’une pièce de 20 cts.

Dans une structure institutionnelle bénévole du type « Maison Verte », les référents adultes versent l’obole de leur choix, en argent, au service exclusif de la collectivité.

Sans cette forme de pratique, une énorme partie de l’humanité resterait - et reste - en rade et la psychanalyse ne serait - n’est - accessible qu’à partir d’un niveau socio-économique relativement élevé, d’où sa récupération et son étiolement grâce au monde d’en-haut.

La seule rétribution envisageable, me semble-t-il, mais seulement après que l’institution soit réalisée et en état complet de fonctionnement, porterait sur les administratifs et le personnel - ménage, intendance... - inévitables au cas où sa bonne marche l’exigerait.

Les raisons d’origine de cette affaire de rétribution de l’encadrement humain à la « Maison Verte initiale » ne sont pas à aller trouver dans une charte théorique compliquée, elles sont d’une simplicité limpide : Françoise Dolto, avec son désir d’ouvrir un lieu d’accueil et d’épanouissement à tous les enfants de la terre, n’a trouvé personne pour contribuer bénévolement à poser la moindre première pierre à sa réalisation concrète.

À la question d’Évelyne sur une éventuelle immuabilité des règles de fonctionnement de l’initiale « Maison Verte » : Dolto, si elle était encore parmi nous, affirmerait expressément que chaque collectivité existe et fonctionne selon son style, selon les critères qui lui sont propres et qui lui semblent convenir aux besoins de ce pour quoi et pour qui elle s’est constituée.

En toute méconnaissance délibérée de cause, en toute ignorance des textes, des témoignages vivants, au sujet de Françoise Dolto, les théoriciens professionnels et non-professionels essayant de donner un sens acceptable à ce qu’ils avancent prudemment eux-mêmes comme le “non-concept”, la “notion floue” [sic] de parentalité, se sont curieusement gardés de mentionner Françoise Dolto, au prétexte que cette “Mamie Nova” [sic] de la psychanalyse aurait privilégié le tout-pouvoir absolu de l’enfant dans les domaines de son environnement familial et éducatif. L’ignorance délibérée - qui est la cause du “non” de notre association - de l’œuvre de Dolto, alors que ses détracteurs maîtrisent les outils conceptuels permettant l’analyse de ce que véhicule le langage, a pour unique visée de démolir quelqu’un en personne, dans son être-même, dont on ne partage pas les convictions spirituelles, et non de soumettre son travail à la critique : Lacan avait bien commencé qui raillait haut la “compassion” de Françoise Dolto devant des amphithéâtres bondés.

Outre que cette entreprise de démolition surfe sur les limites de la désobligeance, elle s’érige, telle le négationnisme, sur le marigot de la contre-vérité la plus nauséeuse.

Dolto avait cette singularité, devenue une exception de la psychanalyse française, qu’elle prenait soin de chaque enfant en particulier, qui lui était confié ou qui s’adressait à elle, individuellement ou au sein d’une collectivité, le remettait sur son aplomb qui n’est pas forcément identique à celui d’un autre. Que l’on se reporte à son œuvre et, sans aller bien loin dans sa lecture, on trouvera les lois indispensables, pour notre métier, les lois symboliques construites à partir de la structure œdipienne que l’enfant - y compris les enfants mutiques, psychotiques, schizophrènes et autres appellations diagnostiques - doit respecter pour appartenir à la société des humains. À condition que l’enfant, dès sa conception désirée, ait été préalablement respecté. Ce que Janusz Korczak a intitulé, “Le droit de l’enfant au respect” lui transmettra le respect pour autrui, c’est aussi simple que ça.

J’ai été également surprise, à la lecture de ces documents sur la parentalité, de l’arsenal de dispositions mises en place pour endiguer les difficultés quasi-insolubles générées par les sociétés modernes de consommation en tous genres, dont la violence, l’analphabétisme, la xénophobie, les inégalités indécentes, et j’ajouterai en mon propre nom, la vulgarité ambiante élevée au niveau d’une éthique de vie à laquelle s’identifient les générations successives.

Il est certes impossible de réparer l’irréparable, alors endiguons au mieux, mais dans le même temps, essayons de faire entendre aux adultes que l’élevage de leurs enfants, comme on disait autrefois pour le distinguer de l’éducation, la construction de leur personnalité, leur éducation, sont une mise en œuvre à part entière, qui demande un travail préalable, puis une attention, une écoute patiente dès le plus jeune âge, voire dès avant leur conception, une approche des exigences qu’entraînent la maternité et la paternité, lesquelles nécessitent à la fois un obligatoire retrait de la suprématie du Dieu/Moi/Je, à la fois une aide extérieure, à la cellule nucléaire, un 3e terme indispensable. Seulement, pour une telle entreprise, il faudrait, comme on dit dans les sphères gouvernementales imposer “une égalité des chances” ! Je souligne les chances, de sorte qu’elles ne soient pas confondues avec les disparités matérielles, ni les utopies écroulées.

Maintenant, un mot sur la pédagogie. Cela fait très “tendance” chez les psychanalystes, de se déclarer puriste, c’est-à-dire ne pas se commettre avec la pédagogie, laquelle est, ce n’est plus à prouver, l’une des fonctions les plus difficiles à assumer, bien que l’une des plus mal payées. La pédagogie nécessite un temps, une patience, infinis, le désir de transmettre le savoir minimum à l’enfant, à l’élève de tout âge, avec les outils leur permettant de s’autonomiser, de choisir, chacun, librement, sa voie, à l’intérieur des contraintes qui lui sont imposées.

On le sait, Lacan, qui a magnifié ce noble purisme, détestait la pédagogie, laquelle lui aurait fait perdre du temps, donc de l’argent, contre une piètre, voire une absence totale de compensation pour son narcissisme. Être pédagogues, c’est accepter de donner, de transmettre son modeste savoir, contre rien en échange, pas même être payés convenablement.

Tout cela, c’est bien beau, mais alors, que deviennent les enseignements de Freud et, pour ce qui nous occupe ici, de Françoise Dolto qui, par désir de transmettre, occupèrent une très majeure partie de leur vie professionnelle à la pédagogie ?

S’il y a une “politique de civilisation” possible de l’être humain parlant et pensant, c’est seulement par la pédagogie qu’elle aboutira, tous les autres discours sur ce thème ressemblent plutôt à du blabla... autrefois, on disait, “du flan”...

Sans pédagogie, quid de la formation de l’encadrement d’une modeste structure du type « Maison Verte » ? Formation, par des professionnels, d’autant plus délicate qu’une Maison Verte n’est ni une institution psychiatrique, ni une halte-garderie, ni une crèche. « Libre de toute visée thérapeutique », selon le vœu de Françoise Dolto, ce doit être, autant que cela se puisse, disponible, une pépinière d’accueil et d’éveil à la parole et au langage, en tant que lieu, sur le long terme, de prévention de la délinquance, de la prison, de la folie, un havre d’échanges conviviaux et apaisants pour les adultes, un joli parterre de printemps de la vie.

M. W.

14 Octobre 2009

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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